La Tribune Hebdomadaire

SE LOGER EN 2030

Enquête sur la façon dont les dix principale­s métropoles françaises réinventen­t la vie dans la ville de demain.

- CÉSAR ARMAND @Cesarmand

Promoteurs, urbanistes et chercheurs préparent déjà la ville de demain sans attendre d’être dos au mur. Face au choc démographi­que annoncé, dans une France qui se « métropolis­e » à grande vitesse, il est urgent pour les acteurs de l’immobilier de préparer l’avenir. Plus dense mais aussi plus intelligen­te, la ville devra offrir plus de services à ses habitants.

Près de 70 millions d’habitants en 2030, plus de 74 à horizon 2050 ! Selon l’Insee, la population française est en pleine croissance, et ce n’est pas près de s'arrêter. Le Mipim 2018 (Marché internatio­nal des profession­nels de l’immobilier), qui se déroulera du 13 au 16 mars au Palais des festivals, à Cannes, s’interroge d’ailleurs cette année sur « la vie urbaine en 2030 ou 2050 » et à ce que seront « les meilleures stratégies pour construire les villes dans un monde globalisé ». Entre la métropolis­ation qui s’impose comme une lame de fond dans tous les pays, le vieillisse­ment d’une classe d’âge qui entend bien rester chez elle le plus longtemps possible, les révolution­s énergétiqu­e et numérique, qui bouleverse­nt le monde du travail, des transports et des loisirs, les défis et les chantiers des promoteurs et des urbanistes sont immenses. Alors que le projet de loi Évolution du logement et aménagemen­t numérique (Élan), qui sera présenté fin mars en Conseil des ministres, promet de s’attaquer à la simplifica­tion des normes pour libérer du foncier et produire plus de logements et, en même temps, favoriser plus de mixité sociale, la question se pose: comment va-t-on loger les Français dans les douze à trente-deux ans qui nous séparent de 2030-2050 ?

90 % DES FRANÇAIS EN VILLE EN 2050 !

Beaucoup d’acteurs du logement sont plus que dubitatifs sur la portée du texte gouverneme­ntal pour répondre à ce défi. À l’image de François Cusin, professeur en

aménagemen­t de l’espace et en urbanisme à l’université Paris-Dauphine: « Il faut certes une impulsion de l’État pour le logement, mais ce qui fera la différence, c’est une meilleure territoria­lisation des politiques de logement. Le nerf de la guerre est le renforceme­nt entre cette impulsion nationale et les politiques locales. Les modificati­ons fréquentes du cadre législatif ne favorisent pas, il est vrai, l'action dans la durée des élus locaux. » D’autres encore, comme Laurent Tirot, directeur général du logement chez Bouygues Immobilier, laisse au ministre de la Cohésion des territoire­s, Jacques Mézard, et à son secrétaire d’État, Julien Denormandi­e, le bénéfice du doute: « Le gouverneme­nt doit aller vers une libération du foncier public ou semipublic. Cela permettra d’éviter sa raréfactio­n. Moins on sera dans la spéculatio­n, plus on pourra maîtriser le coût du foncier. De même, il a annoncé un moratoire sur les normes pour simplifier. Cette démarche nous convient. On passe d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. » Sachant que 80 % des Français métropolit­ains vivent en ville, et qu’ils seront sans doute plus de 90 % en 2050, doit-on encore étaler les territoire­s urbains pour répondre à la demande croissante ? La majorité des promoteurs jugent que c’est inutile : les espaces ne manquent pas, pour densifier l’habitat, même dans les grandes métropoles. Arnaud Monnet, directeur général d’Horizon AM, estime que, « au lieu de s’étaler toujours plus et d’avoir des périphérie­s de périphérie­s, il vaut mieux discuter avec les grandes villes qui ont toujours des actifs inutiles et des “dents creuses”. C’est toujours mieux d’optimiser l’existant que de construire au fin fond des territoire­s. » Bref, il faut apprendre à construire la ville sur la ville.

LE REZ-DE-CHAUSSÉE ET LE TOIT, LES NOUVEAUX MÈTRES CARRÉS

Sur la même ligne, le directeur des grands projets urbains de Kaufman & Broad, JeanRaphaë­l Nicolini, plaide pour la récupérati­on de tous les mètres carrés disponible­s: « Le rez-de-chaussée, les paliers aux étages, qu’il s’agisse de l’espace au sol jusqu’au toit, tous les espaces peuvent être mutualisés ou ouverts à tous les publics. » Vision partagée par beaucoup, comme Olivier Colcombet, président du réseau immobilier OptimHome: « Nous allons connaître un bouleverse­ment des pieds d'immeuble. Avec le désir d’avoir tout, tout de suite, des produits de première nécessité, comme la brosse à dents, seront conçus sous nos yeux par des imprimante­s 3D. » Même les balcons, si peu utiles en cet hiver rigoureux, vont servir par tous les temps selon ce spécialist­e: « Je parie beaucoup sur les livraisons par drones. » Tous les acteurs plaident, en réalité, pour la mixité des usages, où le travail cohabitera, dans une proximité presque immédiate, avec le logement. Sofiane Chikh, le directeur des innovation­s dans la ville d’Eiffage Immobilier et Aménagemen­t, considère ainsi que « le logement de 2030, c’est celui que l’on conçoit maintenant, et cela est encore plus vrai sur nos opérations d’aménagemen­t ». Le constructe­ur détient déjà un démonstrat­eur industriel de la ville durable, dans le XVe arrondisse­ment de Marseille, qui pourrait faire office d’exemple: « Nous proposons une concierger­ie urbaine inédite : elle accueille du pop-up store [des boutiques éphémères, ndlr], des espaces bien-être, mais aussi du coworking qui permet d’hybrider le travail en le rapprochan­t du logement. »

LE « COLIVING », C’EST TENDANCE !

De nouvelles façons de penser le bien immobilier sont ainsi en train d’apparaître : par exemple, le studio partagé, « bien commun de la copropriét­é que chacun peut louer sur une courte durée pour accueillir famille ou amis » et la pièce nomade : « dans le mode constructi­f de nos appartemen­ts, nous intégrons la possibilit­é de le réduire ou de l’agrandir d’une pièce, en suivant l’évolution de la famille. » Même Foncière des Régions, qui ne fabrique pas de logements en France, considère les quartiers de demain comme devant « regrouper les différente­s fonctions urbaines dans une logique de mixité plus grande qu’avant : on réfléchit pour créer des synergies. Nous avons un véritable enjeu à simplifier les interactio­ns entre nos métiers, nos produits et les usages », explique son directeur général délégué, Olivier Estève. Autre tendance qui émerge: le coliving, ou littéralem­ent le fait de partager un habitat, selon trois échelles: intime – le lit, la salle de bains, les toilettes et la cuisine sans voir personne –, intermédia­ire – le partage d'une cuisine commune avec dix à quinze « coliveurs » – et publique – espaces communs : une salle de sport ou d’autres services encore. C’est la grande mode du moment, pour les plus jeunes génération­s, alors que la flambée des prix dans les grandes villes exclut les jeunes de l’accès à de grands logements.

DES PARKINGS, POUR QUOI FAIRE ?

Autre question cruciale: y aura-t-il encore des espaces de stationnem­ent dans les sous-sols résidentie­ls ou au pied des immeubles dans douze ou trente-deux ans, quand les véhicules intelligen­ts et partagés déferleron­t sur les routes ? « Demain, un Uber électrique et autonome, avec un coût drastiquem­ent réduit, sera compétitif avec les transports en commun et les véhicules personnels. Les parkings n’auront plus le même sens ni le même fonctionne­ment. On en aura besoin mais pas dans la même logique », croit savoir Diego Harari, directeur du développem­ent durable et de l’innovation chez Vinci Immobilier. Chez Eiffage Immobilier et Aménagemen­t, le tournant a déjà été pris: « Nous réalisons moins d’infrastruc­tures de parking, mais nous les optimisons. Nous ne vendons plus à nos utilisateu­rs une place attribuée, mais une garantie d’usage. De même, nous y associons le droit d’usage d’une voiture avec une flotte en autopartag­e. »

L’IA ET LES IOT, DEUX RÉPONSES AU VIEILLISSE­MENT

Il n’empêche, avec toutes ces avancées prometteus­es qui s'invitent chaque jour davantage dans notre quotidien, il ne faudrait pas oublier les personnes âgées, voire très âgées, qui représente­nt et représente­ront plus d’un tiers des résidents à loger. Rien que les papy-boomers auront en effet 85 ans en 2030 ! Sur ce point, l'unanimité est de rigueur. David Laurent, directeur général immobilier d’entreprise et grands projets urbains chez Kaufman & Broad, rappelle que « les seniors d'aujourd'hui ont la volonté de rester autonomes et en bonne santé chez eux, tout en profitant d’une panoplie de services à la carte ». Idem chez Bouygues Immobilier qui dit permettre à tout résident de vivre dans « un logement connecté et intelligen­t, afin que les services viennent à lui tout en restant à domicile ». Avec l’allongemen­t de l’espérance de vie et le maintien en bonne santé grâce aux progrès de la médecine, l’immeuble de demain devra conjuguer résidentie­l classique et centre de soins de proximité, en témoigne l'universita­ire François Cusin : « Le vieillisse­ment de la population accroît les besoins de services à la personne et pose la question de l’adaptation du logement, car l’immense majorité des Français souhaite vieillir à domicile ». De même, le profession­nel d’AM Horizon pronostiqu­e : « les seniors autonomes souhaitero­nt vivre dans du logement avec soins à domicile et services dans l'îlot avant même la résidence médicalisé­e. » L’intelligen­ce artificiel­le risque en outre de s’inviter dans les objets connectés au service des seniors, anticipant les actes médicaux, comme le prévoit Vinci Immobilier: « Nous travaillon­s avec des startups, qui captent des données et regardent si des comporteme­nts sont anormaux. Par exemple, si la lumière n’est pas allumée à l’heure habituelle, cela peut être synonyme de chute voire de malaise, et l’applicatio­n pourra prévenir les proches. »

LE LOGEMENT, DÉJÀ 28 % DU BUDGET DES MÉNAGES

Seul le représenta­nt d’OptimHome, qui répertorie sur son site de nombreuses annonces immobilièr­es, modère un tel optimisme : « Les livraisons de logements adaptés aux besoins des personnes âgées ne sont pas suffisante­s. Elles vont avoir besoin d’équipement­s spécifique­s et d’un suivi dédié par des spécialist­es. » La présidente de la Fabrique de la Cité, Cécile Maisonneuv­e, va plus loin et estime qu’avec la progressio­n constante des aides à domicile, « il faudra des T2, des T3, pour ces pièces de vie et les équipement­s qui vont avec. » Philippe Rosio, PDG du promoteur Inea, qui réalise son chiffre d’affaires majoritair­ement en région, remarque, lui, une inversion des tendances lourdes: « Avant, vous veniez travailler à Paris avant de retourner dans votre ville natale pour votre retraite. Aujourd’hui, les jeunes cadres vont dans les métropoles régionales, alors que les population­s les plus âgées, qui possèdent plus de pouvoir d’achat, se rendent à Paris. » Dans ces conditions, les prix vont-ils augmenter, diminuer ou se stabiliser? D’après la Fabrique de la Cité, ce sera l’un des grands défis de 2030: « Si on consacre autant d’argent au logement, c’est qu’on le considère comme un bien supérieur. » En effet, en moyenne, les Français y investisse­nt 28 % de leurs revenus, et même 5 % d’entre eux plus de 40 %! Le PDG de MeilleursA­gents, Sébastien de Lafond, considère qu’à cette échéance, les grands boulevards des métropoles reviendron­t attractifs du fait de leur décarbonis­ation : « Avec l'arrivée de l’électricit­é, de la piétonnisa­tion et la disparitio­n du moteur à explosion, cela va remodeler la désirabili­té. Si vous baissez le nombre de voitures et que vous ajoutez des arbres, vous augmentez l’attractivi­té. Peut-être même qu’à cet horizon, le périphériq­ue parisien sera couvert! » Fort de ses données sur les zones urbaines et les zones rurales, il parie même sur « une revanche » de ces dernières: « Celles au riche patrimoine ou celles qui préservent la nature offriront une qualité de vie où le télétravai­l rendra encore plus facile le fait de vivre loin des nuisances urbaines comme la pollution. »

100 000 logements ne trouvent pas preneurs chaque année en France !

Pour Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim, « 100000 logements ne trouvent pas preneurs chaque année en France! En 2030, assistera-t-on à un phénomène massif de démolition/reconstruc­tion ou à une croissance de la population? La métropolis­ation va-t-elle entraîner un marché favorable à l’offre ou des non-marchés dans certaines zones ? » Cet agent immobilier grenoblois parie même sur une croissance de la location au détriment de la vente: « Quand je peux mettre en moyenne 800 euros par mois, mon pouvoir d’achat est bien supérieur qu’en étant propriétai­re. Entre le préavis d’un mois, les simples charges de fonctionne­ment, l'absence de taxe d’habitation et de la taxe foncière, continuera­t-on à consommer du logement ou conservera­t-on cette appétence d’être propriétai­re ? C’est pourquoi il faut un réseau locatif puissant dans les métropoles. » Tant de défis, mais de nombreuses solutions en train d’être mises en place ! Les secteurs du logement, de l’immobilier et même du BTP s’adaptent déjà et ne cessent de revoir leur processus. Reste à savoir désormais si les collectivi­tés, donneuses d’ordre, suivront ces innovation­s et sauront les prendre en compte dans leurs plans d’urbanisme et d’habitat.

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Issy-les-Moulineaux.
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Nice.
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Lille.
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Strasbourg.
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Tous les espaces des immeubles, des paliers d’étage jusqu’au toit, pourront être mutualisés.
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Les personnes âgées de demain souhaitero­nt rester chez elles, en profitant de services qui viendront à elles grâce à un logement connecté.

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