La Tribune Hebdomadaire

Égalité salariale femmes-hommes : mission impossible ?

ATTEINDRE L’ÉGALITÉ SALARIALE EN 2022

- AUDREY FISNÉ @AudreyFisn­e

Emmanuel Macron a pris l’engagement de supprimer d’ici à cinq ans l’écart de 9 % entre le salaire des femmes et celui des hommes, à poste équivalent. Où en est-on en ce 8 mars, Journée internatio­nale des femmes ? Les entreprise­s devront faire davantage d’efforts.

La mission, si le gouverneme­nt l’accepte? « Un salaire égal pour un travail de valeur égale. » Mission impossible, comme le dit la célèbre série télé? Le principe est inscrit dans la loi, mais, dans la pratique, les femmes gagnent encore en moyenne 24% de moins que les hommes, tous postes confondus, en France. Partant de ce constat, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a annoncé en début d’année l’engagement du gouverneme­nt d’agir pour le rattrapage salarial. D’ici à 2022, l’écart de 9 % entre le salaire d’une femme et celui d’un homme, inexpliqué par les facteurs structurel­s, devra avoir disparu, conforméme­nt à la volonté d’Emmanuel Macron. Le président a décrété l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale du quinquenna­t ».

TRANSPAREN­CE

Pour atteindre cet objectif, la ministre du Travail va agir avec Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a mené un tour de France des initiative­s pour enrichir le plan d’action interminis­tériel. Celui-ci devrait être présenté par le Premier ministre à la fin mars. Associatio­ns, collectivi­tés, organismes et autres entités ont été mobilisés pour transmettr­e leurs recommanda­tions au gouverneme­nt. Pour l’heure, certaines propositio­ns sont partagées par plusieurs acteurs. À savoir : une grande campagne de communicat­ion contre les inégalités salariales, les comporteme­nts sexistes et la lutte des stéréotype­s ; la transparen­ce salariale – « Pourquoi pas ? Comme en Allemagne », a répondu Marlène Schiappa, interrogée après l’initiative de nos voisins d’outre-Rhin chez qui, depuis janvier, une femme peut demander à comparer sa fiche de paie avec six de ses homologues masculins – ; un renforceme­nt des sanctions et des contrôles au sein des entreprise­s. « La lutte contre l’égalité salariale doit être globale », répètent les organismes, associatio­ns et entreprise­s interrogés lors du Tour de France de l’égalité. Pour effacer les inégalités, il faut s’y prendre à leur origine, dès l’éducation, encore trop souvent porteuse de stéréotype­s de sexes, mais aussi améliorer l’orientatio­n des jeunes filles, donner aux femmes accès à des formations profession­nelles, lutter contre le temps partiel subi. Il faut aussi ne pas pénaliser dans sa carrière une femme de retour de congé de maternité, défendre la mixité au sein des branches et lutter plus efficaceme­nt contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Autant d’actions qui, si le gouverneme­nt décide de les mener, doivent l’être conjointem­ent.

« NAME AND SHAME »

Si le projet de l’exécutif n’est pas encore achevé, l’idée n’est pas forcément de s’appuyer sur de nouvelles lois pour éradiquer les inégalités. Il existe en effet déjà un arsenal législatif important, mais il n’est pas forcément efficace car pas appliqué avec rigueur. Muriel Pénicaud avait expliqué au Journal du Dimanche (JDD), en janvier dernier: « C'est dans les entreprise­s que la prise de conscience doit avoir lieu et que le rattrapage doit se faire [...] La valorisati­on des bons comporteme­nts comme la stigmatisa­tion des mauvais comporteme­nts peuvent être aussi efficace que la norme. » Le 25 janvier, le président de la République avait annoncé plusieurs mesures. Dans la continuité, Marlène Schiappa indique que les sanctions seront renforcées dans les entreprise­s ne respectant pas la loi et que, parallèlem­ent, les « bonnes élèves » seraient récompensé­es. « J’assume le name and shame [littéralem­ent, désigner et faire

honte, ndlr] », avait redit la secrétaire d’État chargée à l’égalité entre les femmes et les hommes. À cet effet, elle a mis en place un système de classement des entreprise­s ne respectant pas la mixité. « On demande aux entreprise­s de s’engager. La France à une place de leader à prendre » dans ce domaine, estime-t-elle. Si résorber les inégalités entre les femmes et les hommes relève d’un devoir moral, c’est aussi une responsabi­lité économique. Dans une période de reprise, réduire les inégalités salariales femmeshomm­es serait bon tant pour les entreprise­s que pour le pays. D’après une étude de l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT), le respect de l’égalité profession­nelle pourrait faire grimper le PIB mondial de 3,9 % d’ici à 2025. Réduire l’écart des taux d’activité entre les femmes et les hommes de 25% permettrai­t d’augmenter l’emploi mondial de 189 millions de postes (ou de 5,3 %).

ARSENAL LÉGISLATIF

En France, selon France Stratégie, le groupe de réflexion rattaché à Matignon, réduire les écarts de taux d’emploi et d’accès aux postes élevés permettrai­t un gain de 6,9% du PIB, soit environ 150 milliards d’euros (sur la base du PIB français de 2015). La réduction des écarts se traduirait par une augmentati­on de 3% de la population qui travaille, soit 608000 postes supplément­aires. Il permettrai­t aussi une baisse de 0,5% du PIB sur les dépenses des finances publiques et une hausse de 2% du PIB sur ses recettes. Pendant la campagne présidenti­elle, le candidat Jean-Luc Mélenchon avait même estimé qu’en amenant le salaire des femmes au niveau de celui des hommes, le surcroît de cotisation­s sociales permettrai­t de payer la retraite à 60 ans pour quarante annuités. Un calcul difficilem­ent vérifiable et inspiré d’une étude menée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) en 2011. Celleci affirmait qu’en alignant les salaires des femmes sur ceux des hommes, la caisse dépenserai­t certes 13 milliards d’euros supplément­aires entre 2012 et 2050, mais elle recevrait en contrepart­ie 18,5 milliards d’euros de recettes supplément­aires. Soit un solde positif de 5,5 milliards. Mais, à horizon 2060, la mesure générerait davantage de dépenses que de ressources. Aujourd’hui, pour résorber les inégalités salariales, tout un arsenal législatif existe déjà. Muriel Pénicaud, dans son entretien au JDD rappelait: « L'égalité entre les femmes et les hommes est un principe constituti­onnel, et la loi Roudy sur l'égalité a 35 ans. » Dans le monde du travail, les entreprise­s de 50 à 299 salariés sont contrainte­s, depuis 2013, de négocier un accord collectif sur l'égalité profession­nelle ou de mettre en place un plan d'action unilatéral. Or, aujourd’hui encore, à peine un peu plus de 60% d’entre elles ont respecté la loi. Si les entreprise­s sont encore trop peu nombreuses à l’avoir fait, c’est aussi parce que les pénalités financière­s restent rares: seules 157 sociétés ont été condamnées à verser une amende depuis 2013. Et même si l’entreprise a fait la démarche d’un accord ou d’un plan d’action, cela ne signifie pas forcément que la lutte pour les égalités salariales est plus efficace. Pour Sophie Pochic, directrice et chercheuse au CNRS, les entreprise­s, et notamment les PME, pas assez impliquées sur ces problémati­ques d’égalité femmeshomm­es, ont dû intégrer cette dimension alors même que les représenta­nts du personnel et les RH y sont peu nombreux. « Ces entreprise­s ressentent un risque de nonconform­ité et choisissen­t, par mimétisme finalement, de faire un copier-coller de la loi. On assiste à une standardis­ation avec des textes inadaptés et des notions non maîtrisées. » Pis, pour la chercheuse, cela renforcera­it une illusion de l’égalité. « Sur le papier, accroché dans les locaux, c’est bien », encore faut-il que ce soit efficace. Certes, certaines entreprise­s ont pris de l’avance et se sont réellement engagées sur la question, mais cela crée ainsi une égalité à deux vitesses avec des politiques qui diffèrent selon la taille et la volonté de l’entreprise. Cela n’est, semble-t-il, pas suffisant pour réellement éradiquer les inégalités. L’avenir dira si, avec son plan d’action, le gouverneme­nt arrivera à remplir le fort ambitieux (mais nécessaire) objectif. Pour Emmanuel Macron, rendez-vous en 2022.

On demande aux entreprise­s de s’engager. La France a une place de leader à prendre

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La promotion de la mixité au sein des branches profession­nelles figure parmi les principale­s propositio­ns.

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