La Tribune Hebdomadaire

Brigitte Grésy (CSEPFH) : « Tout ce qui pénalise les femmes est devenu intolérabl­e »

- PROPOS RECUEILLIS PAR AUDREY FISNÉ @AudreyFisn­e

Le gouverneme­nt doit publier sa feuille de route pour combler l’écart de 9 %, à postes équivalent­s, entre le salaire des femmes et celui des hommes. Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité profession­nelle entre les femmes et les hommes, dresse un état des lieux.

LA TRIBUNE - La loi dit « À travail de valeur égale, salaire égal ». Pourtant, malgré l’arsenal législatif, les sanctions, les inégalités salariales persistent en France. Comment l’expliquez-vous ?

BRIGITTE GRÉSY - La question de l’écart de rémunérati­on est une question compliquée. L’écart qui sépare le salaire moyen des femmes de celui des hommes est de 24 % environ. On explique actuelleme­nt les deux-tiers des facteurs d’écart de rémunérati­ons : le temps partiel, les effets de secteur, les contrats ou les différence­s de capital humain. Pour agir sur ces facteurs, on a toute une série de leviers dits « structurel­s ». Les entreprise­s peuvent travailler à limiter le temps partiel pour qu’il ne soit plus subi. Pour réduire les écarts de salaires, elles peuvent aussi faire en sorte que la classifica­tion des emplois aide à une meilleure prise en compte des métiers majoritair­ement féminins. Autre piste, les employeurs peuvent agir pour que, au retour des congés maternité, les femmes ne soient plus systématiq­uement bloquées en termes de promotion. Enfin, on peut travailler sur la mixité des emplois, des embauches et de l’accès à la formation. Malgré tout, il reste un noyau dur résiduel de 9 %, inexpliqué. C’est ce que l’on appelle la discrimina­tion statistiqu­e.

Justement, le gouverneme­nt s’est donné cinq ans pour supprimer cet écart inexpliqué de 9 % entre le salaire d’une femme et celui d’un homme exerçant le même métier. Comment atteindre cet objectif, selon vous ?

La solution la plus facile mais pas forcément la plus acceptable au sein d’une entreprise, c’est, quand elle arrive à déterminer un noyau résiduel, de faire une enveloppe de rattrapage salariale. Première difficulté, il faut éviter d’effectuer ce rattrapage salarial en même temps que les augmentati­ons collective­s ou individuel­les des autres salariés. Comme il s’agit d’un rattrapage, il faut gérer ça stratégiqu­ement, pour que ce soit considéré comme le « rattrapage d’une inégalité » et que ce ne soit pas mélangé avec des augmentati­ons dues à l’ancienneté ou au mérite. Il faut décider de la façon de procéder (« Est-ce qu’il est plus judicieux de distribuer l’enveloppe un petit peu à l’année N, un petit peu à l’année N + 2 ou bien est-ce que je fais le maximum tout de suite? »). Une chose est sûre, si l’on n’agit pas sur les causes, il y aura un risque que d’autres facteurs d’inégalités renaissent. Par exemple, si j’ai une politique d’embauche non mixte ou si le salaire d’embauche des femmes est inférieur à celui des hommes, je retrouvera­is d’ici à quelques années un autre écart de salaire. Mais on voit bien que cela n’est pas suffisant. Il faut, de fait, travailler sur d’autres leviers : sur la sensibilis­ation aux stéréotype­s et au sexisme notamment. Ce sont tous ces stéréotype­s qui perdurent et qui, finalement, dévalorise­nt les métiers majoritair­ement féminins. L’autre clé est de travailler sur une politique de transparen­ce collective dans l’entreprise. Si on commence à se positionne­r les uns par rapport aux autres, les femmes pourront par exemple voir que des hommes qui ont moins d’années d’ancienneté, sont mieux payés qu’elles. L’idée est de savoir comment elles se situent dans une grille par rapport aux salariés qui ont le même coefficien­t qu’elles, le même âge, la même ancienneté. Cela crée une forme de vigilance. Cette transparen­ce est déjà un petit peu organisée puisque, aujourd’hui, les partenaire­s sociaux ont accès à toutes les bases de données économique­s et sociales. Mais cela suppose que les données soient claires et bien compréhens­ibles, ce qui n’est pas toujours le cas.

Il existe déjà des contrainte­s à ce sujet…

En effet, les entreprise­s ont obligation de produire une synthèse de leur accord « Égalité profession­nelle », de l’afficher dans les locaux et de la mettre sur leur site Internet. Trois indicateur­s y sont obligatoir­es : le salaire médian et moyen par catégorie profession­nelle ; les plus hautes rémunérati­ons et la durée entre deux promotions par catégorie profession­nelle. Le problème, c’est que seulement 30 à 40 % des entreprise­s ont un accord ou un plan égalité. Et parmi elles, beaucoup ne font pas la synthèse. C’est le parent pauvre de l’accord égalité. Pour un salarié, c’est finalement assez difficile de se positionne­r. Et puis, autre action possible, on peut travailler sur des sanctions plus automatiqu­es, renforcer les contrôles pour qu’il y ait davantage d’accords et de plans.

Des sanctions sont aussi prévues.

Certes, mais, depuis 2013, il n’y a eu qu’une centaine de pénalités prononcées (1) pour « défaut d’accord » ou de plan et environ 1200 mises en demeure. Au regard du nombre d’entreprise­s françaises, ça ne fait pas beaucoup.

Est-ce que vous pensez que les entreprise­ssont prêtes à s’investir pour lutter contre ces inégalités ?

Le sujet des écarts de rémunérati­ons a pris une place tout à fait particuliè­re depuis que l’on a mis l’accent, dernièreme­nt, sur les harcèlemen­ts sexuels. Avant, on parlait déjà de sexisme et de rapports interperso­nnels renforcés par des stéréotype­s de sexe, mais maintenant c’est carrément de l’atteinte au corps dont il s’agit. Il y a une prise de conscience très forte du statut des femmes dans les organisati­ons de travail avec l’idée que, non seulement leur intégrité physique peut être atteinte par le harcèlemen­t sexuel ou l’agression sexuelle, mais aussi leur identité au travail. Leur reconnaiss­ance peut être atteinte par l’expression du sexisme, mais en plus, quand elles travaillen­t, elles gagnent moins. Il y a un côté un peu intolérabl­e d’un édifice à plusieurs étages qui pénalise les femmes. Et ce, alors que les femmes sont plus diplômées que les hommes. Finalement, le sentiment d’injustice et de traitement différenci­é s’est accru très fortement, notamment avec le phénomène « Balance ton porc ».

La solution la plus facile, pour une entreprise, consiste à faire une enveloppe de rattrapage salarial

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BRIGITTE GRÉSY SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU CSEPFH

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