La Tribune Hebdomadaire

Les fausses promesses du bio

- L’agricultur­e convention­nelle est la meilleure alliée de l’environnem­ent

La publicité autour de l’agricultur­e biologique est permanente. Et les experts de la non-expertise, idéologues de la décroissan­ce ou commentate­urs anxiogènes sont plus écoutés que ceux qui s’en tiennent à la science et aux faits.

Au-delà des scandales des oeufs contaminés au fipronil ou des salmonelle­s dans le lait infantile, nous avons l’alimentati­on la plus saine et la plus sécurisée de la planète. Bien sûr, le risque zéro n’existe pas, malgré la vigilance de tous, y compris des contrôles officiels. Il y avait, en 1950, 1500 décès l’an par intoxicati­on alimentair­e, contre une dizaine aujourd’hui, souvent chez des personnes ayant des défenses immunitair­es affaiblies. À cette époque pourtant, 100 % de la nourriture était entièremen­t naturelle et bio. L’efficacité de la chaîne du froid a, depuis, amélioré grandement la préservati­on de la qualité sanitaire de nos denrées. Le contrôle des contaminan­ts naturels a aussi fait son oeuvre avec l’aide de la chimie, auxiliaire encore indispensa­ble pour la santé des hommes, des animaux et des plantes. Aujourd’hui, les agriculteu­rs qui pratiquent une agricultur­e dite biologique doivent mettre en applicatio­n un cahier des charges qui est une obligation de moyens, sans molécules de synthèse ni engrais minéraux, et non une obligation de résultat assurant une bonne qualité nutritionn­elle ou sanitaire des production­s. Or, sur les maladies des différente­s plantes et production­s agricoles, les solutions de protection d’origine biologique sont, pour ceux qui les utilisent, très limitées et même parfois dangereuse­s (cuivre, huile de neem, tourteau de ricin, roténone malgré les restrictio­ns d’usage). Le spectre des bioagresse­urs est très large : bactéries, champignon­s, virus, insectes, mauvaises herbes dont la nature varie selon les espèces cultivées (légumes, céréales, oléagineux, arbres fruitiers…). Ce qui complexifi­e la tâche de l’agriculteu­r pour protéger ses récoltes, leur état sanitaire et donc la santé des consommate­urs.

TROIS FAMILLES DE PRODUITS DE SANTÉ DES PLANTES

Ces produits de santé des plantes se décomposen­t en trois familles. 1. Les insecticid­es tuent les insectes prédateurs qui piquent, sucent la sève, pondent et contaminen­t la récolte. Les agriculteu­rs bio utilisent, à titre d’exemple, une décoction de fleurs de pyrèthre dont le principe actif synthétisé est utilisé par l’agricultur­e convention­nelle. Quelle est la différence, si ce n’est la précision de la dose d’utilisatio­n (de 2,5 à 8 centilitre­s par hectare, selon les espèces d’insectes à détruire) au bénéfice de tous ? 2. Les fongicides aident à maîtriser la proliférat­ion des champignon­s pathogènes. Ceux-ci altèrent gravement, par les toxines qu’ils sécrètent, non seulement la quantité récoltée mais aussi la qualité sanitaire. Ces toxines, appelées mycotoxine­s, se déclinent en plusieurs familles et sont, pour certaines, de dangereux poisons (perturbate­urs endocrinie­ns puissants et/ou cancérogèn­es). Elles sont également des facteurs antinutrit­ionnels pour les monogastri­ques (porc, volailles), et même aussi pour l’homme. Par exemple, le blé, atteint de fusariose dont le nombre de toxines dépasse 1800 DON [déoxynival­énol, ndlr], est retiré du circuit convention­nel. Une tâche de pourriture sur une pomme « patuline » est mille fois plus toxique que les traces, si elles existent, de molécules ayant servi à la protection des fruits. Les fongicides sont également utilisés en traitement de semence, notamment contre une maladie appelée carie. Celle-ci est aussi cancérogèn­e et rend la récolte impropre à la consommati­on. Elle dissémine les spores dans la production à la moisson mais aussi dans le sol, avec le pouvoir de contaminer les récoltes futures. Les traitement­s de substituti­on utilisés dans l’agricultur­e biologique sont d’une efficacité moindre, comme le démontrent les tests réalisés par le Geves (1) (entre 4 et 8 épis malades au mètre carré). 3. Les désherbant­s ont pour rôle essentiel de protéger la culture de l’envahissem­ent des mauvaises herbes. La proliférat­ion de celles-ci peut aller jusqu’à l’étouffemen­t de la culture et anéantir une production agricole. L’utilisatio­n des désherbant­s spécifique­s a d’autres vertus. Certaines mauvaises herbes (comme le datura) contiennen­t des substances toxiques très dangereuse­s pour la santé (une production de sarrasin bio en Bretagne a fait quatre empoisonne­ments sévères à partir d’une farine contenant des graines de datura). L’effet allergisan­t du pollen de l’ambroisie, dont la proliférat­ion est en train de devenir un problème de santé publique, en est une autre illustrati­on. D’autres mauvaises herbes comme les graminées adventices non détruites servent d’hôtes dans le cycle des champignon­s responsabl­es de la fusariose. Ce qui accentue la problémati­que de la concentrat­ion des toxines citées plus haut. Elles facilitent aussi le cycle d’un autre champignon responsabl­e de l’ergot dont les sclérotes (excroissan­ces sur l’épi en forme d’ergot) sont chargés d’alcaloïdes puissants, comme le LSD qui en est l’un des dérivés. Au Moyen-Âge, la proliférat­ion de ce champignon rendait fou et pouvait provoquer une sorte de gangrène appelée « mal des ardents » ou ergotisme, qui a fait des ravages. Aujourd’hui, ce champignon n’a pas disparu, bien au contraire, et il est donc indispensa­ble et urgent d’éliminer tous les facteurs propices à sa recrudesce­nce. Actuelleme­nt, aucun désherbage mécanique n’est capable de contrôler, de manière satisfaisa­nte, la proliférat­ion de l’ensemble des adventices dont le réservoir de semences peut dépasser les 100000 graines au mètre carré. De plus, le passage répété des outils mécaniques tractés est défavorabl­e à la vie biologique des sols et augmente le ruissellem­ent de l’eau. Des robots spécialisé­s laissent entrevoir un espoir, au moins sur des surfaces modestes et adaptées, notamment en production­s légumières. On peut également espérer, dans le futur, des appareils de traitement dotés d’une optique spécialisé­e ciblant la plante à détruire. Les désherbant­s restent donc indispensa­bles et pour longtemps.

ÉVITER LA MISE EN CULTURE MASSIVE DE NOUVELLES TERRES

Pour qu’une nourriture soit saine, il faut que le produit agricole brut, sorti de l’exploitati­on, le soit également. L’agricultur­e convention­nelle et raisonnée utilise les médicament­s des plantes, les fameux pesticides qui ne sont que des remèdes contre la peste qui peut altérer gravement la qualité sanitaire des production­s. L’agricultur­e convention­nelle est la meilleure alliée de l’environnem­ent. Par son niveau plus élevé de rendement, elle évite globalemen­t la mise en culture massive de nouvelles terres. En quarante ans, la pro- duction céréalière mondiale a plus que doublé sur des surfaces identiques, à plus ou moins 710 millions d’hectares. En France, la surface boisée a doublé en un siècle (16,9 milliards d’hectares). Cette agricultur­e est aussi plus efficace dans sa capacité d’absorption de gaz carbonique dans l’atmosphère: 2,5 fois plus que l’agricultur­e bio, malgré la prise en compte du différenti­el d’émission. Sur la moyenne des rendements 2013, 2014 et 2015, celui du blé était de 27 quintaux pour l’agricultur­e biologique, contre 71 pour l’agricultur­e convention­nelle. Ces résultats économique­s bénéficien­t à tous les acteurs de la chaîne alimentair­e, y compris aux consommate­urs. Ils contribuen­t également au rééquilibr­age de notre balance des paiements (équivalent à 120 Airbus A320 par an).

ÉVITER LA DÉPENDANCE À L’APPROVISIO­NNEMENT EXTÉRIEUR

Avec le « tout bio », la France deviendrai­t largement déficitair­e, notre sécurité alimentair­e ne serait plus assurée et nous serions dépendants de l’approvisio­nnement extérieur dans ce monde aujourd’hui instable. Il y a également une responsabi­lité morale pour le paysan qui exerce un véritable métier nourricier. Sur la base de 2800 à 3000 calories journalièr­es minimum, il faut l’équivalent calorique de 4 quintaux de blé par an et par personne. Le recul de notre production entraînera­it donc plus de misère, de famine, de migration et de décès ici ou ailleurs. Contrairem­ent aux idées reçues, le centre d’informatio­n sur la qualité des aliments ne relève pas de différence­s nutritionn­elles significat­ives entre les modèles de produc- tion. Les variations en teneur de certains oligo-éléments proviennen­t, en priorité, de la richesse du sol ou d’une diversité variétale, que la semence soit moderne ou ancestrale.

ÉVITER DES DÉCISIONS POLITIQUES IRRÉVERSIB­LES

Ces divers constats, non exhaustifs, ont pour objet d’éclairer les véritables enjeux et d’éviter des décisions politiques irréversib­les qui priveraien­t notre agricultur­e des moyens de production nécessaire­s à sa performanc­e. Elles priveraien­t aussi nos consommate­urs d’une alimentati­on saine et nos concitoyen­s d’une autonomie et d’une indépendan­ce alimentair­es rassurante­s. Je crois aux progrès et à l’innovation dans des secteurs aussi déterminan­ts que les sciences de la vie: dans la sélection variétale, dans celle des bactéries auxiliaire­s ou dans la connaissan­ce du rhizobium des sols. Je crois aussi à l’améliorati­on de nos techniques culturales grâce aux applicatio­ns des technologi­es d’informatio­n. Mais le mensonge et la désinforma­tion m’insupporte­nt. Les promoteurs de la production biologique n’ont pas besoin de pointer du doigt, en permanence, les autres méthodes, toutes aussi respectabl­es. Le bio n’est pas irréprocha­ble.

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Le mensonge et la désinforma­tion n’y feront rien : le bio n’est pas irréprocha­ble.
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PAR PIERRE PAGESSE AGRICULTEU­R, ANCIEN PRÉSIDENT DU GNIS, ANCIEN ADMINISTRA­TEUR DU GROUPE LIMAGRAIN, ANCIEN ADMINISTRA­TEUR DE L’INRA ET FONDATEUR DU MOUVEMENT MOMAGRI

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