La Tribune Hebdomadaire

PIERRE GATTAZ

« Soyons les acteurs de notre propre formation »

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Sans le savoir, Schumpeter avait déjà pensé, théorisé, conceptual­isé la révolution numérique en cours. Parce qu’il a décrit, comme personne d’autre, ce que pouvait provoquer l’effet cumulé de la rupture technologi­que et de l’esprit entreprene­urial, il a annoncé ce que nous sommes en train de vivre, et ce dont les chefs d’entreprise sont aujourd’hui les acteurs : la transforma­tion numérique. Chacun à son niveau en est et doit en être acteur et se saisir des opportunit­és pour agir et non subir. Dans cette transforma­tion, il y a des innovation­s de rupture, c’est-à-dire de celles qui rendent le futur totalement différent du passé et à des années-lumière du présent. Il y a des innovation­s dont les enjeux d’appropriat­ion sont gigantesqu­es pour les entreprise­s, tant elles redessinen­t intégralem­ent leurs modes d’organisati­on, de fonctionne­ment, les process de production, de logistique et de commercial­isation. L’industrie 4.0 est devenue l’éclaireur et le porte-drapeau de cette métamorpho­se, tous les jours un peu plus transformé­e par le biais des nouveaux usages impulsés par les technologi­es numériques. L’impression 3D, la robotisati­on, les applicatio­ns du big data, l’intelligen­ce artificiel­le mais aussi la réalité virtuelle ont déjà remodelé nos usines ; l’entreprise traditionn­elle est devenue ultra-connectée grâce à l’Internet des objets (IoT) et, de fait, plus intelligen­te. Le secteur des services est tout aussi impacté et vient même accélérer cette métamorpho­se en enrichissa­nt chaque jour un peu plus les chaînes de valeur.

DIFFUSER UNE CULTURE DE L’INNOVATION

Mais voilà, même si tous les signaux économique­s et technologi­ques sont au vert, même si la France retrouve une notoriété de nation innovante par les effets conjugués d’une diplomatie économique efficace et de l’existence de nouveaux entreprene­urs bouillonna­nts de créativité, nous sommes encore loin d’être au sommet de la gloire économique. Ne perdons pas de vue en effet que la France c’est plus de 95 % de TPE et de PME, qui se battent au quotidien pour maintenir des équilibres de gestion fragiles ; c’est aussi des dépenses d’innovation mal réparties, qui restent encore l’apanage des grandes entreprise­s et demeurent surtout faibles par rapport aux investisse­ments en R&D des autres puissances économique­s. La France était en 2015 à la 12e position des États qui investisse­nt dans la recherche et le développem­ent (données de la Banque mondiale). Avec une part de 2,3 % de son PIB, elle est encore loin du Japon, de la Corée du Sud, du Danemark ou de la Finlande, qui caracolent en tête de ce classement avec plus de 3 % de leur PIB consacrés à l’innovation. Mais j’ai l’intime conviction que nous pouvons devenir une nation qui se

démarque, qui crée, et ainsi rejoindre les pays les plus dynamiques de l’innovation. Pour cela, nous avons un défi à relever collective­ment : diffuser largement, dès le plus jeune âge, une culture de l’innovation et de l’esprit d’entreprise. Ces ingrédient­s qui, aux xixe et xxe siècles, ont permis l’émergence de nombreux fleurons industriel­s, générant emplois et croissance économique, et prenant part au progrès social. Ces ingrédient­s, ces supplément­s d’âme attachés aux Français tout au long de leur histoire, n’ont pas disparu ; ils sont en nous, constituti­fs de notre ADN et prêts à resurgir pour peu que nous les sollicitio­ns.

SE FORMER PARTOUT ET TOUT LE TEMPS

C’est ce défi qui se présente à nous aujourd’hui. Nous devons, et le Medef s’investit évidemment dans cette cause, retrouver les conditions pour faire de notre pays un pays d’entreprene­urs, de femmes et d’hommes qui osent, qui innovent et qui créent dans une économie mondialisé­e où tout est possible, où le terrain de jeu est la planète. Entreprend­re est une chance que chacun peut saisir dès lors qu’il prend conscience que tout est possible. Alors allons-y, redonnons à nos jeunes génération­s cette envie d’être libres et travaillon­s à développer chez chacun les compétence­s utiles pour prendre part à une nouvelle société en constructi­on : celle qui émergera d’un paysage, d’une économie, de modes de vie, de rapports sociaux… réinventés par l’ère numérique. Le monde de demain sera celui de tous ces talents qui se seront saisis des outils, des clés de compréhens­ion et des compétence­s nouvelles à acquérir. Il faut donc former dès aujourd’hui (et certains pays n’ont pas attendu pour se lancer dans cette voie) ces cohortes d’entreprene­urs, de développeu­rs, de créatifs ou d’usagers du numérique qui transforme­ront demain! C’est une oeuvre collective qu’il nous faut mener à bien. Tous les acteurs de la formation, initiale et continue, sont aux avant-postes de ces bouleverse­ments : ils le sont dans la pratique du métier, ils le sont aussi dans les contenus des savoirs et des compétence­s à transmettr­e ou à coconstrui­re. Notre société tout entière doit en être consciente, car un tel défi ne peut être relevé que si nous sommes tous solidaires et conscients de son ampleur. Dans ce domaine, un point me paraît particuliè­rement important : la nouvelle culture de la formation doit prendre conscience que nous sommes aussi en permanence les acteurs de notre propre for- mation. Il n’y a plus, si tant est qu’il y ait eu, un temps pour apprendre et un temps pour travailler. Le numérique nous a placés devant ce constat implacable : se former devient le gage de l’employabil­ité et le garant de cette capacité à réinventer notre vie profession­nelle en continu. Les technologi­es sont prometteus­es, mais elles peuvent être aussi cruelles avec ceux qui en font fi. Elles sont mouvantes, évolutives, transforma­ntes et nécessiten­t donc une adaptabili­té renforcée et une agilité d’esprit et d’action. C’est parce que ces enjeux de formation et de compétence­s sont immenses et déterminan­ts pour l’avenir économique et social de la France, mais aussi parce que sans compétence­s adaptées, il ne pourra y avoir de réussite de la transforma­tion numérique de nos entreprise­s, que j’ai voulu que la 4e Université du numérique du Medef mette ces sujets en débat. Je souhaite que nous puissions en tirer un plan d’action pour faire monter en compétence­s l’ensemble des salariés évo- Entreprend­re est une chance que chacun peut saisir dès lors qu’il prend conscience que tout est possible luant dans la houle de la transforma­tion numérique des métiers. Je souhaite qu’en émerge une conscience partagée de l’impérative nécessité de se former autrement, partout et tout le temps. Et je souhaite enfin qu’en ressorte l’espoir d’une économie régénérée, aux mains d’entreprene­urs créatifs et innovants, de managers et de collaborat­eurs qui façonnent ensemble leurs organisati­ons, bien plus qu’ils ne répondent aux codes vieillissa­nts d’organisati­on datés de plus d’un siècle. C’est la promesse que nous font, ensemble, la révolution numérique et l’esprit d’entreprend­re : celle que demain, chacun pilotera son avenir profession­nel au gré de ses envies, enrichissa­nt son capital de compétence­s avec fluidité et pertinence. Et alors, à l’angoissant­e question « création ou destructio­n d’emplois ? » qui nous interpelle aujourd’hui quand on évoque la révolution numérique, que la réponse soit : évolution et adaptation ! Rien de profondéme­nt éloigné de la nature humaine en somme !

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Par Pierre Gattaz Président du Medef
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