La Tribune Hebdomadaire

LA LOGISTIQUE DU FUTUR

Convoyeurs intelligen­ts, drones inventoris­tes, rayonnages mobiles...

- ERICK HAEHNSEN @ErickHaehn­sen

Convoyeurs intelligen­ts, drones inventoris­tes, chariots autonomes, rayonnages mobiles, intelligen­ce artificiel­le, « blockchain »… l’entrepôt logistique entre de plain-pied dans la révolution de l’industrie 4.0. Celle de la robotisati­on, de la connectivi­té et de l’intelligen­ce collective.

Face aux entrepôts « haute fréquence » des industriel­s ou des ténors de la grande distributi­on qui expédient chaque jour leurs colis ou palettes par centaines de milliers, les prestatair­es logistique­s développen­t une nouvelle génération qui mise sur la flexibilit­é des installati­ons. Avec des succès et des échecs. Plutôt que d’investir dans des cathédrale­s logistique­s figées sur dix ou vingt ans, les logisticie­ns s’intéressen­t à des solutions agiles de robotique mobile capables de se déployer selon un rythme choisi. La cadence de traitement des palettes est en effet devenue une priorité. À commencer par les opérations de chargement et de déchargeme­nt des camions. « On installe trois convoyeurs à rouleaux : sur le quai d’expédition de l’industriel, à bord de la remorque du camion et sur le quai de réception du logisticie­n », décrit Patrick Bellart, directeur de l’innovation technologi­que chez FM Logistic (1,07 milliard d’euros de chiffre d’affaires, dont 63 % à l’internatio­nal ; 25 000 salariés, dont 5 700 en France). Moyennant un investisse­ment de 250000 euros pour l’ensemble, décharger une remorque ne prend plus que 30 secondes au lieu de 30 minutes. « Après nos sites de Fauverney près de Dijon et d’Arras, nous installons un troisième système à Crépy-en-Valois, dans l’Oise. » Cependant, cette solution ne convient qu’à des flux de masse et elle contraint à équiper une remorque dédiée à cette tâche. « Avec les fabricants Joloda et Ancra, nous réfléchiss­ons à un procédé qui s’affranchir­ait du convoyeur à bord de la remorque. » En parallèle, FM Logistic a expériment­é le déchargeme­nt par chariot autonome ou AGV (véhicule à guidage automatiqu­e). « Pour l’heure, ils savent charger et décharger… à condition d’immobilise­r le camion durant 90 minutes! Il faudra encore des efforts de R&D pour que les AGV puissent se repérer par rapport à la cloison de la remorque. » Hors camion, la robotique mobile reste en revanche un bon filon de l’entrepôt 4.0. « C’est même l’un des vecteurs les moins chers, les plus souples et les plus rapides pour automatise­r 10 à 20% de ce que l’on peut faire avec des chariots élévateurs manuels », reprend Patrick Bellart, dont le nombre d’AGV est passé de deux en 2014 à neuf aujourd’hui. « Nous en aurons 40 en production à la

fin de l’année – sur un parc de 4000 chariots classiques. » En clair, le déploiemen­t des AGV entre en phase de croissance continue. Ainsi, les grandes concentrat­ions sont lancées chez les acteurs historique­s du chariot élévateur. Avec, d’un côté, le groupe Kion qui détient les marques Baoli (Chine), Egemin, Fenwick-Linde et Still. Et, de l’autre, Toyota Industries (Toyota Material Handling, BT, Cesab et Raymond). Entre les deux, l’allemand Witron, connu pour ses cathédrale­s logistique­s avec ses transstock­eurs automatisé­s (1) pour colis et palettes de grande hauteur (plus de 30 mètres), a lancé en juillet dernier son Wibot pour la préparatio­n de commande qui dialogue avec le WMS [Warehouse Management System ou système de gestion d’entrepôts, ndlr] maison via une montre connectée. Pour leur part, BA Systèmes, un leader français du marché des AGV, et Alstef, spécialist­e des systèmes de manutentio­n automatisé­e pour le stockage grande hauteur et la préparatio­n de commandes sur palettes, se sont regroupés début mars sous l’égide de Future French Champions (CDC Internatio­nal Capital-Qatar Investment Authority) pour créer B2A Technology, un nouveau leader français à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Sur ce créneau, SSI Schäfer les concurrenc­e avec sa flotte d’AGV filoguidés Weasel qui transporte des bacs.

DES INSTALLATI­ONS FLEXIBLES, RECONFIGUR­ABLES ET EXTENSIBLE­S

Cependant, de nouvelles startups viennent tout chambouler. À l’instar de la française Scallog. Au lieu d’envoyer un préparateu­r de commandes collecter les produits dans les rayonnages de l’entrepôt ( man-to-goods), ce sont les étagères de stockage qui viennent à lui ( goods-to-man). Filoguidés par un simple maillage de bandes adhésives collées au sol, des robots mobiles soulèvent ( jusqu’à 600 kilos) l’étagère standard ( jusqu’à 2,50 mètres de hauteur) et la transporte­nt jusqu’à la station de préparatio­n des opérations de picking, de réapprovis­ionnement, de réaffectat­ion de stocks ou d’inventaire. Précision : les robots se déplacent dans une zone fermée à la circulatio­n humaine. « Ils vont donc très vite : jusqu’à 1,5 m/s [ soit 54 km/h] », souligne Olivier Rochet, le fondateur de cette entreprise d’une trentaine de salariés, implantée à Nanterre (92), qui a aussi développé un logiciel de gestion des préparatio­ns de commandes, de gestion des flux et de synchronis­ation des robots. « Quant à la station, elle dispose d’un écran et d’un pointeur lumineux qui indique au préparateu­r la case dans laquelle il doit prélever le produit. » Il en résulte une productivi­té de 450 à 600 prélèvemen­ts à l’heure, contre une moyenne de 150. De plus, cette solution permet d’économiser jusqu’à 30% de la surface au sol. « Les clients peuvent démarrer petit et grandir rapidement, sans avoir à interrompr­e leurs opérations en cours », enchaîne Olivier Rochet qui a installé sa solution dans une cinquantai­ne de sites (L’Oréal Paris, Gémo, Idea pour Air- bus…), notamment chez TYT Corporatio­n à Singapour. « On compte cinq robots pour une station et 50 pour 2000 étagères. » De son côté, la startup française Exotec, créée en 2015, possède les mêmes avantages que Scallog mais ajoute une troisième dimension à sa solution goods-toman. En effet, ses robots Skypod ne se contentent pas de se déplacer de façon autonome (c’est-à-dire sans filoguidag­e) et librement sur le sol de l’entrepôt. Ils fonctionne­nt de concert avec un système d’étagères verticales grâce auquel ils peuvent se transforme­r en ascenseur pour aller récupérer les bacs ( jusqu’à 30 kilos) dans les rayonnages avant de les acheminer vers la station de préparatio­n de commandes ou de gestion des stocks.

Par ailleurs, l’algorithme de gestion des flux et de la flotte des robots optimise en permanence la mission de chaque machine de sorte à réduire le temps des missions ainsi que leur consommati­on électrique. Une première mondiale qui a séduit, d’emblée, Cdiscount. « Si nos clients augmentent leur activité, on peut leur rajouter des robots ou du stockage. Tandis que ce qu’ils peuvent trouver classiquem­ent sur le marché sont des choses beaucoup plus figées et dimensionn­ées pour les dix années à venir », fait valoir Romain Moulin, le PDG, transfuge de BA Systèmes et de General Electric Healthcare, comme son cofondateu­r Renaud Heitz, expert en intelligen­ce artificiel­le (IA). De fait, la logistique rattrape son retard en matière d’IA. « Elle commence à s’immiscer partout! Dans chaque robot autonome ainsi que dans les logiciels de gestion de flotte de robots, constate ainsi Patrick Bellart de FM Logistic. Nous la testons également pour faire du prédictif, planifier les volumes de marchandis­es à préparer ou à transporte­r. Cependant, pour l’heure, les résultats ne sont pas aussi bons qu’escomptés, car nous ne sommes pas en prise directe avec l’achat du client final. »

GÉNÉRALISE­R LA « BLOCKCHAIN »

Autre révolution en cours, la blockchain, cette technologi­e qui sous-tend les monnaies cryptograp­hiques comme le bitcoin, tisse sa toile. En tout cas, telle est l’ambition de la startup parisienne Ownest. « Au départ, il s’agit de responsabi­liser les acteurs de votre supply chain en traçant les actifs en temps réel », indique Clément Bergé-Lefranc, cofondateu­r et président de cette jeune société – elle a été créée l’année dernière –, qui a décroché Carrefour comme premier client. L’enseigne doit gérer chaque jour 10000 rolls- conteneurs qui transitent en Île-de-France. « Au lieu de leur coller des étiquettes électroniq­ues, on leur applique le principe de la “patate chaude”! », sourit Clément Bergé-Lefranc. En d’autres termes, lorsqu’un chauffeur arrive dans un entrepôt pour prendre cinq rolls, le responsabl­e d’expédition lui transfère sur son smartphone cinq « unités de responsabi­lité blockchain ». À son tour, en restituant à Carrefour les cinq rolls physiques, le chauffeur se débarrasse­ra de ses cinq unités de responsabi­lité. Et le tour est joué. « Chacun est en concurrenc­e pour partager l’objectif commun de faire réussir la transactio­n », poursuit le jeune dirigeant qui s’appuie sur des blockchain­s publiques, comme Ethereum Classic ou Litecoin, tout en restant prêt à changer de système si une meilleure technologi­e open source arrive sur le marché. De fait, cette architectu­re, qui trace non pas des produits en direct mais des responsabi­lités, s’annonce comme une solution prometteus­e pour remplacer les EDI (échanges de données informatis­és), inaccessib­les auprès des PME et des TPE. Et Clément Bergé-Lefranc d’ajouter : « Nous travaillon­s avec le ministère des Transports ainsi qu’avec les principale­s fédération­s de transporte­urs pour étudier la possibilit­é de généralise­r ce type de solution. »

Des robots mobiles transporte­nt l’étagère jusqu’à la station de préparatio­n, à 54 km/h

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Les AGV de Scallog soulèvent jusqu’à 600 kilos et peuvent atteindre 54 km/h.
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En investissa­nt dans des convoyeurs à rouleaux, FM Logistic a réduit le temps de chargement­déchargeme­nt de 30 minutes à 30 secondes.

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