La Tribune Hebdomadaire

Entretien Loïc Rivière (Tech In France) : « Le RGPD ne va pas aider les PME, ni même les entreprise­s européenne­s »

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Le directeur général de Tech In France, associatio­n représenta­nt les intérêts du secteur du logiciel et des services Internet en France, déplore le poids du RGPD pour les PME et met en garde contre la future directive ePrivacy, prolongeme­nt du RGPD actuelleme­nt en discussion à Bruxelles.

LA TRIBUNE - Le RGPD est-il perçu comme une opportunit­é pour le secteur du numérique français ?

LOÏC RIVIERE - Le RGPD représente plutôt un bon équilibre entre l’indispensa­ble protection des utilisateu­rs et les intérêts des entreprise­s. Il ne devrait pas nuire à l’innovation mais la cadrer, car celle-ci doit désormais être privacy by design, c’està-dire intégrer dès l’origine les principes du RGPD. C’est un règlement équilibré, globalemen­t positif, même s’il n’est pas exempt de défauts. Notamment le principe de frugalité dans la collecte des données, ou data minimizati­on. Trop restrictif, ce principe ne « matche » pas avec les attentes suscitées par le big data, car les données collectées hier ne trouveront peut-être une utilité que demain ou aprèsdemai­n, pour servir d’autres finalités que celles pour lesquelles elles ont été collectées à l’origine, et ce n’est pas compatible avec le RGPD.

Beaucoup d’entreprise­s vivent le RGPD comme une contrainte voire une menace. Craignez-vous que les grands groupes, qui ont les moyens financiers et humains pour la mise en conformité, en tirent davantage profit que les PME-TPE ?

Bien sûr! Pour les PME dans leur grande majorité, les normes, qu’elles soient européenne­s ou nationales, représente­nt plus une charge qu’un levier de croissance. Le discours ambiant qui consiste à dire que la régulation protège les plus faibles et impose des règles là où la loi du plus fort l’emporterai­t autrement, n’est pas tout à fait vrai! Toute nouvelle dispositio­n réglementa­ire se traduit par des coûts. Ces contrainte­s pèsent évidemment plus sur les petites entreprise­s et sur les PME que sur les grands groupes, car le marché unique européen, qui représente incontesta­blement une avancée, est surtout une aubaine pour les entreprise­s qui peuvent adresser le marché européen. Les grands groupes, qui abordent les marchés internatio­naux avec des s t r a t é g i e s d ’ é c o nomie d’échelle, intègrent la conformité sans souci. D’ailleurs, les géants du numérique [dont les Gafa GoogleAppl­e-Facebook-Amazon, ndlr] ont été depuis l’origine d’ardents défenseurs de cette dynamique portée par le RGPD! Il est faux de dire que le règlement va aider les petites entreprise­s ou même les entreprise­s européenne­s.

Après le RGPD, la directive ePrivacy, qui vise à protéger les données de communicat­ion, va arriver. Tech in France est déjà monté au créneau pour attaquer la première version du texte. Que lui reprochezv­ous exactement ?

Avec ePrivacy, on est clairement dans une approche qui consiste à imposer la confidenti­alité à l’utilisateu­r. Le RGPD se fonde sur une relation de confiance entre l’utilisateu­r et le service à travers la notion d’« intérêt légitime » à collecter les données par exemple. Rien de cela avec ePrivacy, qui prône la suspicion par défaut : on impose que toute collecte ou traitement de données fasse l’objet d’un recueil préalable de consenteme­nt réciproque, et que ce consenteme­nt soit sollicité de façon systématiq­ue dès que les données « voyagent ». La directive prévoit aussi que les données échangées soient i mmédiateme­nt effacées ! Nous pensons que ePrivacy représente un danger car il casse l’équilibre trouvé par le RGPD, auquel il est pour l’instant mal articulé. Nous avons démontré que ces modalités appliquées au machine to machine (M2M) allaient bloquer de nombreuses innovation­s dans le domaine de l’IoT [Internet des objets], comme dans l’agri-tech ou les voitures connectées par exemple. La directive, qui rend possible pour l’internaute de ne pas accepter les cookies de navigation, menace aussi tout l’écosystème de la publicité en ligne, à commencer par les médias. La levée de boucliers des entreprise­s du numérique est légitime.

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LOÏC RIVIERE DIRECTEUR GÉNÉRAL DE TECH IN FRANCE

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