La Tribune Hebdomadaire

Le T4, la dernière aérogare de Roissy

- FABRICE GLISZCZYNS­KI @FGliszczyn­ski

En 2050, Roissy sera plein comme un oeuf, Orly aussi. On ne créera pas un troisième aéroport parisien. Il faudra aller ailleurs...

Le gestionnai­re des aéroports parisiens va lancer en 2018 les études détaillées de la constructi­on du T4, un nouveau terminal d’une capacité de 30 à 40 millions de passagers, dont la première tranche est prévue pour 2024, avant les Jeux olympiques de Paris.

C’ est la dernière grande phase d’agrandisse­ment de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle qui se prépare. Celle qui va permettre à l’aéroport du nord parisien de pouvoir repousser la saturation de ses aérogares, aujourd’hui prévue à l’horizon 2023-2025, à 2050. Le groupe ADP, gestionnai­re des aéroports de Paris, va en effet lancer cette année les études détaillées du terminal 4, un nouveau terminal d’une capacité de 30 à 40 millions de passagers réservé essentiell­ement à Air France et ses alliés. La première tranche, pouvant accueillir entre 7 et 10 millions de passagers, est prévue en 2024, peu avant le début des Jeux olympiques de Paris. Évoqué depuis des années, le terminal 4 est un projet colossal. « Avec ce terminal, ADP aura un nouvel Orly », a indiqué le 23 février Augustin de Romanet, le PDG d’ADP, lors de la présentati­on des résultats financiers 2017 du groupe. La comparaiso­n en dit long sur l’immensité du projet. Avec plus de 30 millions de passagers l’an dernier, Orly n’est ni plus ni moins que l e 10e aéroport européen. Ce projet est facilité par le fait qu’ADP est propriétai­re du foncier des plateforme­s parisienne­s, un sujet qui suscite d’ailleurs des craintes dans la perspectiv­e d’une privatisat­ion du groupe aéroportua­ire, aujourd’hui détenu à 50,6 % par l’État (voir La Tribune du 1er mars). « Grâce à la maîtrise du foncier par ADP, grâce à la configurat­ion des lieux et à cette emprise foncière, nous avons la possibilit­é de construire la future grande infrastruc­ture de CDG. C’est la dernière grande infrastruc­ture de Roissy-Charles de Gaulle, la dernière grande occasion que nous avons pour accueillir du trafic et porter la croissance du trafic aérien. Après, ce sont des changement­s de paradigmes, il faut raser, reconstrui­re... », a indiqué Edward Arkwright, directeur général exécutif du groupe, chargé du développem­ent, de l’ingénierie, et de la transforma­tion. La constructi­on du terminal 4 va s’étaler sur une période de vingt ans. « C’est un projet qui va s’étaler dans la durée, que nous allons essayer de “phaser” pour lisser les investisse­ments, accompagne­r la courbe du trafic » , a ajouté Edward Arkwright.

SUPPRESSIO­N DU T3

Avec le terminal 4, la capacité des aérogares de Roissy atteindra 120 millions de passagers, sachant que le terminal 3, réservé aux compagnies charter et à certaines low cost, sera supprimé d’ici à quinze ans, car il se situe sur la zone où sera construit le nouveau terminal. Avec ce dernier, Roissy peut répondre à la croissance du trafic jusqu’à l’horizon 2050. « En 2050, Roissy sera plein comme un oeuf, Orly aussi. On ne créera pas un troisième aéroport parisien. Il faudra aller à Lille, à Nantes ou à Tours... pour aller prendre un vol interconti­nental. Mais d’ici à 2050, Paris peut absorber la croissance grâce à ses réserves foncières », a précisé Augustin de Romanet. Le timing du terminal 4 est-il le bon, sachant qu’en 2017, Roissy a accueilli 69,5 millions de passagers, à seulement 10,5 millions de la capacité maximale de ses terminaux, laquelle se situe autour de 80 millions de passagers, comme l’avait indiqué Augustin de Romanet dans une interview accordée à La Tribune en 2014? À cette époque, le PDG d’ADP avait précisé que ce seuil de 80 millions de passagers serait atteint vers 2023-2025, au moment donc de l’ouverture du terminal 4. La direction d’ADP n’a, en revanche, pas indiqué l’horizon de saturation des aérogares actuelles. Pour autant, celles-ci n’ont pas changé. Selon certains experts, les prévisions de trafic tourneraie­nt autour de 2,3 % en moyenne entre 2018 et 2025. Par conséquent, avec ce scénario, CDG ne serait pas (ou à peine) saturé quand le terminal 4 ouvrira ses portes. Les statistiqu­es de trafic des dernières années confortent ce scénario. Si l’on projette en effet le taux de croissance moyen observé à Roissy entre 2012 et 2017 (+ 2,4 % par an) à la période 2018-2025, Roissy pourra absorber sans problème la croissance du trafic jusqu’à l’ouverture de la première tranche du terminal 4 en 2024. Autre exemple, il a fallu sept ans (entre 2010 et 2017) pour augmenter le trafic de 10 millions de passagers. S’il faut sept ans à nouveau pour accueillir 10 millions de passagers supplément­aires et arriver à la capacité maximale de CDG, le terminal 4 arrivera à point nommé.

LA CROISSANCE DU TRAFIC EST FRAGILE

Pour autant, la prudence est de mise. Car, au cours des sept dernières années, la croissance du trafic d’ADP à Roissy a été freinée par les déboires d’Air France, qui représente la moitié du trafic de CDG, par la crise qui a frappé de manière générale le transport aérien jusqu’en 2015, par les attentats en France et en Europe en 2015 et 2016, et également par le gel des droits de trafic à partir de 2012 aux compagnies du Golfe. Or, aujourd’hui, Air France et le secteur du transport aérien vont mieux. Si la menace terroriste est toujours forte, la croissance économique semble repartie, en France en particulie­r. De quoi espérer un trafic dynamique dans la mesure où l’élasticité du trafic aérien à la croissance du PIB est de l’ordre de 2,3. En outre, si l’État faisait un geste vis-à-vis des compagnies aériennes en allégeant les charges qui pèsent sur elles, et si Air France parvenait à augmenter sa compétitiv­ité intrinsèqu­e, la compagnie pourrait mettre à bien un projet de forte croissance rentable comme la direction en a l’ambition. Auquel cas, le terminal 4 risquerait d’arriver un peu tard. Certes, la croissance du trafic de 5,4 % à CDG en 2017 a profité d’un effet de rebond par rapport à une année 2016 marquée par les attentats en France et la menace terroriste, mais si ce taux de croissance se maintenait au cours des prochaines années, les aérogares de Roissy arriveraie­nt donc au maximum de leur capacité dès 2020, à quatre ans de l’ouverture de la première tranche du terminal 4.

ROISSY SATURÉ EN 2050 ?

Reste aussi à savoir à quel horizon CDG accueiller­a 120 millions de passagers. ADP, et certains experts, le fixent vers 2045-2050. Rappelant que la capacité maximale envisagée de Roissy était fixée à 35 millions de passagers quand l’aéroport a ouvert en 1974, certains estiment que ce débat n’a pas lieu d’être. Avec les nouvelles technologi­es de traitement des passagers au sol, le terminal 4 pourrait même, selon eux, être en mesure à terme d’accueillir non pas 120 millions mais 130 ou 150 millions de passagers. Reste à voir si le contrôle aérien serait en mesure de traiter un plus grand nombre d’avions. Certains pensent que oui, au regard de la performanc­e de l’aéroport londonien de Heathrow, qui accueille 79 millions de passagers (10 millions de plus que CDG) avec seulement deux pistes, quand Roissy en possède quatre. Une hypothèse qui laisse Augustin de Romanet perplexe. « Si on projette la qualité du contrôle aérien britanniqu­e et de l’exploitati­on d’Heathrow à CDG, cela fait 158 millions. Mais aucun aéroport n’accueille 158 millions de passagers. Il y a des effets de saturation que l’on ne connaît pas bien encore. Je ne suis pas sûr que CDG puisse aller jusqu’à 158 millions de voyageurs », a-t-il indiqué. On n’en est pas là. L’heure est en effet à la conception de ce fameux terminal. Et ce ne sera pas une partie de plaisir. Au nord des terminaux 2F et 2E, le hub d’Air France, la constructi­on du terminal 4 constitue aux yeux des dirigeants d’ADP un véritable défi puisqu’il faudra assurer la continuité des passagers et des bagages entre les opérations actuelles d’Air France et le terminal 4. Un train pour amener les passagers et un convoyeur de bagages devront donc être construits. « C’est un dossier qui fait s’arracher les cheveux », pointe Augustin de Romanet. « Le terminal 4 sera construit sur une parcelle très étroite, de manière intensive. Il doit être flexible, personne ne sait quelle sera la nature du trafic en 2050, si une zone Shenghen existera toujours. Il ne faut surtout pas qu’on le pense en prenant nos fonctionna­lités d’aujourd’hui », fait valoir Edward Arkwright.

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La constructi­on d’un nouveau terminal en continuité avec les opérations actuelles (passagers, bagages...) va relever du casse-tête.

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