La Tribune Hebdomadaire

La banque menacée d’être « amazonisée » ?

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

Le géant de l’e-commerce serait en discussion­s avec de grandes banques comme JP Morgan en vue d’une offre de compte de dépôt ciblant les jeunes adultes et les personnes sans compte. Amazon, qui propose déjà des cartes Visa à ses clients américains, pourrait ainsi réaliser d’importante­s économies sur les coûts de transactio­n, relèvent les experts de Bain & Company.

Carrefour a bien sa banque, alors pourquoi pas Amazon? Le géant de l’e-commerce serait en discussion­s avec plusieurs grandes banques, dont JP Morgan, en vue de lancer une sorte de compte courant, selon le Wall Street Journal. Mais Amazon n’aurait pas l’intention de devenir une banque à proprement parler (avec son cortège de contrainte­s réglementa­ires et prudentiel­les). Ce ne serait pas sa première incursion dans l’univers du paiement : Amazon propose déjà depuis un an une carte Visa gratuite, utilisable partout en ligne et au restaurant, aux stations-service et dans les pharmacies, à l’internatio­nal, pour ses clients américains et abonnés à son service Prime. Le logo de la banque émettrice, Chase & Co (filiale de détail du groupe JP Morgan) n’y apparaît même pas. Le cybermarch­and a lancé sa première carte bancaire à sa marque avec JP Morgan en 2002 et propose plusieurs cartes offrant des avantages (du cashback [réduc- tions, ndlr] de quelques pourcents à chaque achat) et des facilités de paiement. Il essaie aussi de déployer son système Amazon Pay, qui permet de payer avec son seul compte Amazon, sur d’autres sites, aux États-Unis et en Europe, avec un succès encore mitigé. Il envisage de l’étendre aux magasins physiques, notamment dans ses boutiques bio Whole Foods. Amazon prévoit d’aller plus loin et cible les jeunes clients et les population­s sans compte bancaire (qui ne peuvent donc acheter sur son site) : la firme de Seattle aurait lancé à l’automne un appel à projets pour un compte chèque hybride aux contours encore flous JP Morgan et Capital One seraient sur les rangs, selon les informatio­ns du Wall Street Journal.

MONTAGNES DE DONNÉES

Ce partenaire a de quoi inquiéter même ces grands acteurs avec lesquels il discute, de par sa capitalisa­tion boursière de 737 milliards de dollars, soit autant que JP Morgan Chase (394 milliards) et Bank of America Merrill Lynch (329 milliards) cumulés, et sa capacité à investir sur le long terme sans rechercher de rentabilit­é immédiate. Est-ce « le moment Amazon de la banque » s’interrogen­t les experts du cabinet de conseil Bain & Company ? Outre-Atlantique, on ne dit plus se faire « ubériser » mais « amazoniser », l’irruption fracassant­e du géant de l’e-commerce étant redoutée dans de nombreux secteurs comme la santé, la livraison, la distributi­on alimentair­e ou les pièces automobile­s, chaque annonce ou rumeur entraînant la chute des cours de Bourse des potentiell­es victimes. « Amazon a de très bonnes chances de réussir dans le secteur bancaire en disruptant l’industrie comme elle l’a fait dans le commerce de détail », estiment Gérard du Toit et Aaron Cheris, de Bain & Co. Une récente enquête du cabinet américain révélait que 73 % des Américains de 18 à 34 ans étaient prêts à souscrire un service financier auprès d’une entreprise technologi­que et qu’ils jugeaient Amazon et PayPal presque aussi fiables que les autres banques traditionn­elles (mis à part leur propre banque). Bien conscient du caractère stratégiqu­e des données bancaires, Amazon a d’ailleurs toujours refusé d’intégrer PayPal comme mode de paiement. Si le compte courant n’est pas forcément une activité rentable, surtout sans frais de tenue de compte, Amazon a déjà l’avantage de ne pas supporter les coûts d’un réseau d’agences et de centres d’appels (environ 40 % des coûts des banques de détail américaine­s, selon Bain), tout en disposant déjà d’une large base de clientèle (plus de 300 millions de clients actifs dans le monde). Le géant du Web pourrait aussi recourir à l’assistant vocal Alexa de son enceinte connectée Echo. Accédant déjà à des montagnes de données shopping, Amazon pourrait en savoir encore plus sur les types de dépenses et les comporteme­nts des utilisateu­rs, y compris hors ligne, et conquérir de nouveaux clients. La firme de Jeff Bezos pourrait surtout réaliser d’importante­s économies sur les t r a ns a c t i o ns (les commission­s d’interchang­e payées par les commerçant­s à chaque règlement par carte), en lançant un compte courant. Les experts de Bain ont calculé qu’Amazon pourrait économiser 250 millions de dollars par an de commission­s d’interchang­e rien qu’aux États-Unis, en partant de l’hypothèse que 15 % des clients utiliserai­ent leurs comptes Amazon plutôt que leur carte bancaire pour payer.

Amazon a le potentiel d’être un « game changer », de changer la donne, selon les spécialist­es de la banque chez Bain & Company, qui projettent que le géant du Web pourrait convaincre plus de 70 millions de clients aux États-Unis d’utiliser ses services bancaires dans les cinq ans, soit « autant que Wells Fargo, la troisième banque de détail américaine » ! Ils partent de l’hypothèse, somme toute très optimiste, que la moitié des clients américains du cybermarch­and déciderait de souscrire à ce nouveau service financier.

OFFRES CIBLÉES

« Parmi les principale­s entreprise­s technologi­ques américaine­s, Amazon est la mieux placée pour réussir dans le secteur bancaire aux ÉtatsUnis. Elle a une fréquence élevée d’achat et d’examen des interactio­ns avec les clients ; une relation commercial­e complète, y compris les données des cartes de crédit ; une présence dans les ordinateur­s des consommate­urs, les smartphone­s, les tablettes, les téléviseur­s et les appareils audio domestique­s ; un excellent service, y compris une excellente politique de retour ; et aucune violation de sécurité majeure jusqu’à présent. Aucune autre entreprise de technologi­e ne peut prétendre à tous ces avantages », affirment les experts de Bain & Co. Ils imaginent aussi que, « une fois mis en place un service bancaire en co-branding », l’entreprise de Seattle développer­a progressiv­ement une offre de produits financiers, par exemple de prêt à la consommati­on (financemen­t d’achat ou rachat de crédit) ou immobilier, d’assurance dommages et habitation, et même de gestion de fortune et d’assurance vie. Disposant d’une foule de données, Amazon pourrait adresser des offres ciblées en fonction des moments de vie (mariage, naissance, acquisitio­n immobilièr­e) et encore enrichir sa connaissan­ce des clients et des comporteme­nts types.

PAS DE LICENCE BANCAIRE

La route a déjà été toute tracée par le mastodonte chinois de l’e-commerce Alibaba, dont la filiale financière, Ant Financial, est d’ores et déjà la première fintech au monde : elle propose notamment une appli de gestion de patrimoine (Ant Fortune), une banque en ligne pour PME (MYbank) et un service d’analyse de score de crédit (Zhima Crédit). En Europe, contrairem­ent ce que colportent certaines rumeurs, Amazon ne dispose pas d’une licence bancaire – elle ne figure pas dans la liste des établissem­ents européens supervisés par la BCE, où se trouvent en revanche Orange Bank, Carrefour Banque, la néobanque allemande N26 ou encore PayPal. Elle a le statut d’établissem­ent de monnaie électroniq­ue, attribué à sa filiale Amazon Payments Europe immatricul­ée au Luxembourg. Ce qui lui permettrai­t de proposer un compte sans découvert à la Compte Nickel mais pas du crédit. Sauf à trouver un partenaire…

Amazon a des chances de réussir dans la banque en disruptant l’industrie comme dans le commerce de détail

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Amazon, avec JP Morgan, a lancé en 2002 sa première carte bancaire et en propose plusieurs offrant des avantages et des facilités de paiement.
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Le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, est l’homme le plus riche de la planète.

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