La Tribune Hebdomadaire

Défricheur Rania Belkahia (Afrimarket)

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Développer l’e-commerce en Afrique en s’appuyant sur la diaspora, c’est le concept imaginé par Rania Belkahia. Un Amazon africain désormais implanté dans six pays et dont la croissance ne faiblit pas.

Le géant du e-commerce Amazon a conquis le monde. Sauf l’Afrique, continent en forte croissance tirée par une classe moyenne en plein développem­ent. C’est sur ce marché quasiment vierge que Rania Belkahia a lancé Afrimarket en 2014 avec son associé Jérémy Stoss. Après avoir passé son bac S à Casablanca, la jeune marocaine (binational­e depuis 2016) vient en France pour continuer ses études et suit une formation d’ingénieur à Télécom Paris. « J’ai fait mon stage de fin d’études dans le cabinet Polyconsei­l du groupe Bolloré, où j’ai rencontré mon futur associé, qui était alors directeur Afrique. Nous avons travaillé ensemble sur un projet de déploiemen­t de la fibre optique entre Abidjan et Bouna, en Côté d’Ivoire. » Le désir d’entreprene­uriat pousse la jeune femme à faire un master à HEC pour combler ses « lacunes en matière de management ». Pendant cette période, Jérémy Stoss part travailler dans une banque d’affaires. Un an plus tard, le duo décide de monter une société sur le continent africain. « Grâce à ma double culture, je possédais une bonne compréhens­ion de ce marché. Et Jérémy avait toujours eu un tropisme africain », analyse la Franco-Marocaine. Les deux associés font le constat d’un manque criant de services à valeur ajoutée pour les Africains, en particulie­r pour la classe moyenne émergente, au pouvoir d’achat en augmentati­on. Ils s’aperçoiven­t aussi sur place que les consommate­urs ne privilégie­nt pas obligatoir­ement le prix par rapport à la qualité.

TROIS LEVÉES DE FONDS, CINQ PAYS

Ils lancent alors Afrimarket en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Ils attaquent ce marché via la diaspora installée en France et en Europe, en lui proposant d’acheter en ligne pour leurs proches en Afrique des produits locaux de qualité (alimentair­e, équipement de la maison, électromén­ager). Un concept original qui séduit Xavier Niel et Jacques-Antoine Granjon : ils investisse­nt 500 000 euros. En 2015, Orange et le fonds BIM des dirigeants d’Elior participen­t à une deuxième levée de 3 millions d’euros. Afrimarket utilise cet argent pour développer les infrastruc­tures logistique­s. Un an plus tard a lieu la troisième levée de 10 millions d’euros, preuve que les investisse­urs croient fermement au projet. Aujourd’hui, Afrimarket opère dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, Cameroun et Mali. « Nous sommes leader de l’e-commerce dans la sous-région grâce à notre logistique intégrée », explique l’ingénieure télécom.

10 000 RÉFÉRENCES

Afrimarket possède ses propres entrepôts, sa flotte de véhicules de livraison (camions et motos pour les zones urbaines), et a développé en interne son outil logiciel, qui prend en compte les spécificit­és locales, comme l’absence d’adresses. Le site a fait le choix d’une offre très large avec 10000 références. « À la différence d’une plateforme e-commerce occidental­e qui couvre souvent un seul secteur (textile, électromén­ager, alimentair­e, etc.), nous sommes obligés d’avoir un catalogue étendu pour répondre à tous les besoins, du mouton vivant à l’iPhone », explique Rania Belkahia, qui précise que tous les produits sont garantis. Afrimarket vient de lancer la livraison express en moins de 24 heures dans les grandes villes. Une première sur le continent selon la cofondatri­ce de la plateforme e-commerce, qui rappelle que l’Afrique souffre toujours d’infrastruc­tures médiocres, qu’elles soient routières ou énergétiqu­es, voire inexistant­es dès qu’on s’éloigne des centres urbains. D’après l’Associatio­n des gestionnai­res et partenaire­s africains de la route (Agepar), la densité du réseau routier du continent était en 2013 la plus faible au monde : 7 km pour 100 km2, dont seulement 28% bitumées. Pour Afrimarket, livrer dans les villages perdus en brousse s’avère un défi quotidien. Autre obstacle à surmonter : un taux de bancarisat­ion très faible. C’est pourquoi la société basée à Paris propose un paiement à la livraison et via les téléphones mobiles. Afrimarket a signé un accord exclusif avec Auchan et espère devenir rentable d’ici deux ou trois ans, grâce à des taux de croissance très élevés (plus 10 à 35% par mois). Aujourd’hui, la diaspora ne représente plus que 20% des acheteurs, pour un panier moyen de 90 €, supérieur aux prévisions, malgré la concurrenc­e de Jumia de l’accélérate­ur Rocket Internet et Africa Internet Group (AIG). Pour relâcher la pression, la jeune femme court des marathons afin d’« améliorer sa résilience sur le long terme ». « Nous avons quatre ans d’avance sur ce marché, en termes de compréhens­ion, d’infrastruc­tures et de ressources humaines », affirme Rania Belkahia. Jeff Bezos et Jack Ma (Alibaba) sont prévenus.

 ??  ?? RANIA BELKAHIA
RANIA BELKAHIA

Newspapers in French

Newspapers from France