L’avenir des banques : des usines pour les plateformes de type Gafa ?
Jusqu’où la révolution numérique bouleversera-t-elle le secteur de la banque? L’essor de l’intelligence artificielle fait craindre au syndicat FO Banques « plus de 30000 emplois de conseillers susceptibles de disparaître à court terme, et des centaines voire des milliers d’agences pourraient fermer ». Les modèles d’affaires des banques, reposant sur la maîtrise de la chaîne de valeur, « de la relation clientèle à la conception des produits et à la gestion des risques », sont « mis à l’épreuve »à l’heure du numérique, souligne une récente étude de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le régulateur français. La percée fulgurante d’acteurs chinois venus de l’Internet (Alibaba avec Alipay et Tencent avec WeChat Pay) dans le paiement et la finance et les incursions des Gafa dans le domaine sonnent comme des avertissements. Et de nouveaux entrants, des néobanques aux agrégateurs de comptes, profitent de la réglementation européenne qui oblige les banques à ouvrir l’accès à leurs données. « La banque ouverte, l’open banking [l’ouverture des systèmes d’information des banques, ndlr] poussé par la DSP2 [ la deuxième directive européenne sur les services de paiement], c’est une vraie révolution pour le secteur », a observé Damien Leurent, associé responsable du secteur institution financière chez Deloitte, en présentant une étude sur les tendances du secteur. Pour l’instant, « le modèle traditionnel, que l’on dit menacé depuis dix ou quinze ans, tient toujours et n’a pas de remplaçant » et « peu de clients ont quitté leur banque traditionnelle » pour une version 100 % en ligne ou une des néobanques mobiles « dont l’avantage fonctionnel reste discutable », selon Julien Maldonato, expert de la transformation digitale dans l’industrie financière chez Deloitte. « Ce n’est pas la révolution susceptible de faire basculer les Français au point de changer de banque principale : il n’y a pas eu d’effet fort sur la redistribution des parts de marché », a-til relevé. Mais une grande interrogation demeure concernant les ambitions des géants du Web.
INVESTIR POUR RESTER DANS LA COURSE
D’ores et déjà, à l’ère du numérique et du mobile dans la poche, les banques maîtrisent de moins en moins la totalité de leur relation client, dépendant de fournisseurs technologiques pour leurs infrastructures, leurs logiciels et les plateformes (iOS et Android). Elles ont beaucoup investi dans leurs propres applications mobiles mais essentiellement pour se mettre à niveau et rester dans la course. « Les banques ne définissent plus les standards de l’expérience client bancaire, elles se contentent de suivre les standards définis par les fintech et les géants du digital », souligne l’étude de Deloitte. Et demain, l’open banking va changer les règles du jeu, la concurrence et les gains de parts de marché s’articulant autour « du partage des données et de transactions avec un écosystème de partenaires ». Plusieurs options s’offrent aux banques pour exister dans ce nouvel univers. Le statu quo consisterait à continuer de proposer une gamme complète de services, sans s’ouvrir à des tiers, ce qui supposera d’exploiter plus efficacement les données : un modèle fermé, difficilement tenable dans l’environnement réglementaire européen. Une autre voie serait de conserver l’interface client et de rester le point d’interaction principal pour les clients, en ne fournissant plus de produits et services exclusifs mais une offre ouverte à ceux de tiers, autres banques, fintech, etc. Un autre chemin plus radical serait de se concentrer sur l’infrastructure : la banque ne fournirait plus ni l’interface client ni les produits bancaires mais son système de paiement ou des fonctions de middle office, par exemple dans la conformité comme l’identification client (KYC ou Know your customer) ou les contrôles antiblanchiment.
UNE TRANSFORMATION RADICALE
Enfin, il y a la voie du « producteur » pour des plateformes de distribution tierces : la banque abandonne le contrôle de l’interface client et se différencie grâce à la force de ses produits qui lui donne accès aux consommateurs. Elle se recentre en quelque sorte sur une logique d’offre et sur sa fonction centrale de production de crédit et de produits financiers, dont elle a essayé de se détacher ces dernières années afin de mieux écouter les besoins réels des clients. « Les banques ont la possibilité de se positionner comme des usines, afin de répondre à de gros appels d’offres provenant de grands acteurs comme les Gafa, tels qu’Amazon. Ce scénario est probable », estime Julien Maldonato. « Il ne faut pas faire l’autruche : les acteurs bancaires traditionnels risquent de perdre la relation client, les Chinois ont le réflexe de tout faire sur les applications d’Alibaba ou de Tencent, la vie des Français passera aussi par de grandes plateformes. Certains des acteurs bancaires traditionnels ont commencé à en faire le deuil. Cette tendance sera lente et longue, mais elle est certaine », affirme-t-il. Il cite l’exemple de DBS, une banque de Singapour, qui a engagé dès 2013 une transformation digitale radicale, s’inspirant des Gafa dans une logique de banque ouverte. Elle a lancé en novembre dernier « la plus vaste plateforme bancaire d’API [ des interfaces de programmation] pour développeurs au monde » : plus d’une cinquantaine de partenaires, de McDonald’s à des startups comme Foodpanda, s’y sont connectés. La banque espagnole BBVA s’est aussi illustrée comme une pionnière de la transformation numérique : en mai 2016, après un an de tests, elle a lancé son programme d’open banking, BBVA API Market, huit interfaces permettant à des tiers de se connecter à ses systèmes, avec l’ambition de devenir « la meilleure plateforme sur laquelle construire de nouvelles expériences digitales ». Elle estime que ces API pourraient lui fournir « de nouvelles sources d’acquisition de clients et d’origination de prêts ». À la fois producteur et plateforme, pour l’instant.
Les acteurs bancaires traditionnels risquent de perdre la relation client