La Tribune Hebdomadaire

DE GAULOIS PAS SI RÉFRACTAIR­ES À EMMANUEL MACRON

- JEAN-CHRISTOPHE TORTORA PRÉSIDENT DE LA TRIBUNE @jc_tortora PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Monsieur le président de la République,

Reconnaiss­ons-le, vous avez passé un mauvais été ! Elle est déjà loin la piscine de Brégançon! Il avait mal commencé avec le « Benallagat­e », une affaire d’été plus qu’une affaire d’État certes, mais qui a sérieuseme­nt brouillé l’image de renouveau de la politique que vous souhaitiez incarner. Cela ne s’est pas arrangé avec la préparatio­n du projet de budget 2019, contrarié par le ralentisse­ment de la croissance et la hausse des prix qui alimente le mécontente­ment des Français sur le pouvoir d’achat. La démission fracassant­e, quoique pas inattendue, de Nicolas Hulot a achevé la séquence en détruisant le savant équilibre biologique de votre gouverneme­nt. Tout cela justifie pleinement la lassitude qui, dit-on dans votre entourage, vous étreint en cette rentrée alors que votre popularité, déjà bien entamée par les réformes courageuse­s du début du quinquenna­t, s’est brisée sur le mur des 100 jours et les impatience­s de l’opinion. Des amis déçus vous demandent de changer de méthode, d’opérer un virage social pour rééquilibr­er une politique qui penche vers la droite, de redonner du sens au « en même temps » qui a fait le succès de votre campagne électorale. D’autres vous pressent au contraire d’aller plus vite, plus loin, plus fort, sur la ligne libérale qui vous a conduit par exemple à briser le tabou du statut des cheminots, afin de libérer les énergies et de casser les corporatis­mes. Au Danemark, pays des Vikings, vous avez « craqué », une nouvelle fois, moquant ces « Gaulois réfractair­es au changement » que vous vous acharnez à convaincre qu’il faut continuer, sans relâche, de faire des efforts pour redresser le pays. Réfractair­e au changement, vous avez failli l’être, en tremblant devant l’obstacle de la retenue à la source de l’impôt, décidée par votre prédécesse­ur, envisagean­t d’y renoncer avant de comprendre que cela aurait sonné le glas de votre crédibilit­é à mener les transforma­tions à venir. C’est que l’agenda de la rentrée impression­ne. La loi Pacte de votre ministre de l’Économie est brandie en étendard, une sorte de loi Macron II pour montrer que la priorité demeure le redresseme­nt de la compétitiv­ité des entreprise­s. Mais on vous attend surtout sur votre gauche, avec le plan Pauvreté, le plan Hôpital, mais aussi sur des sujets brûlants, voire explosifs, comme la réforme de l’assurance-chômage et la mise en place de la retraite par points. La multiplica­tion des fronts finit par donner le tournis et même si vous ne faites qu’appliquer le programme pour lequel vous avez été élu, les Français ont fini par en perdre le sens. De tous les défis qui vous attendent, le principal est sans doute celui de la montée du populisme, qui sera l’enjeu des élections européenne­s du printemps prochain. Comment enrayer ce mal qui a déjà produit hier le Brexit, Trump, Orban ou Salvini, demain le Frexit peut-être? Forts des victoires obtenues dans les autres pays européens, les populistes se réveillent en surfant sur la déception des Français devant votre impuissanc­e à obtenir des résultats rapides et tangibles. Le danger n’a pas disparu, bien au contraire, il est toujours là, devant nous. Des solutions existent pourtant, et elles se trouvent parfois là où l’on ne s’y attend pas, où vous-même ne vous y attendez pas. Par exemple dans un petit village de France, à Saint-Bertrand-de-Comminges, à 100 kilomètres de Toulouse et pas très loin de Bagnères-de-Bigorre, le pays de votre grand-mère Manette, là où on vous appelle encore sans danger « Manu »! SaintBertr­and-de-Comminges où la rédaction de La Tribune vient de réunir, le 31 août et le 1er septembre près de 200 personnali­tés, politiques, élus, acteurs de l’économie sociale et solidaire, intellectu­els, entreprene­urs, pour un événement « expérienti­el » que nous avons intitulé « The Village » et que nous nous permettons par la présente de porter à votre connaissan­ce. Organisé par La Tribune en partenaria­t avec Inco, la région Occitanie et la maire du village, la dynamique Marie-Claire Uchan, qui a associé tous les habitants à cet événement global et local, il s’agit aussi pour nous d’une autre façon d’être média, de faire médiation dans ce que l’on appelle le « journalism­e de solutions ». C’est notre façon à La Tribune d’être engagés contre la fracture des territoire­s. Au cours de cette « immersion » dans ce village magnifique, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, au pied des Pyrénées et sur la route de Saint-Jacques-de-Compostell­e, ces femmes et ces hommes dont vous retrouvere­z la liste en page 37 de ce numéro ont débattu librement pendant deux jours sur les défis posés par les fractures écologique­s, numériques et territoria­les qui sont pour partie à l’origine de la montée des inégalités et des populismes qui en résultent. Nous en retirons la conviction que des solutions concrètes et crédibles, innovantes et partagées, peuvent être imaginées loin de Paris, dans la réa- lité des territoire­s, et sont susceptibl­es de passer à l’échelle nationale. Thierry Marx, le chef étoilé, qui avec ses écoles de cuisine redonne un espoir et un projet à des centaines de jeunes déclassés, a été le parrain de cette deuxième édition de The Village. Des ateliers ont permis de réfléchir, sans idéologie, à des questions qui sont au coeur de la vie des Français: relier et réconcilie­r les territoire­s face à l’attractivi­té des métropoles; bien produire pour bien se nourrir; accélérer la transition é c ol ogi que et énergétiqu­e; donner accès à tous aux nouvelles technologi­es. Sur tous ces sujets, qui sont aussi à l’agenda de votre gouverneme­nt, ces ateliers participat­ifs ont formulé des propositio­ns (que vous retrouvere­z pages 7 à 11) qui participen­t de ce que l’on pourrait appeler l’intelligen­ce collective et le « bon sens près de chez vous » que l’on trouve dans tous les villages de France. Votre secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu, nous a fait l’honneur de participer à la session de clôture de The Village et a été tellement séduit qu’il nous a invités à organiser un événement similaire dans son départemen­t de l’Eure, à l’abbaye de Bec-Hellouin près de Giverny où de jeunes fermiers expériment­ent la permacultu­re. À l’heure où s’approfondi­t la fracture entre « ceux qui sont bien partout » et « ceux qui sont bien quelque part », entre les « anywhere » et les « somewhere » que décrit le journalist­e britanniqu­e David Goodhart dans son analyse critique du Brexit, entre vos « premiers de cordée » et les « Gaulois », c’est peut-être par la multiplica­tion de ce type d’initiative­s que la France pourrait trouver des réponses politiques pour réconcilie­r les Français. A Saint-Bertrand-de-Comminges, nous n’avons pas vu d’ « irréductib­les Gaulois réfractair­es », mais des hommes et des femmes convaincus que l’on peut changer le monde, à condition de le penser différemme­nt. Une participan­te a eu ce mot qui résume tout : « Résoudre les défis de demain avec les outils d’hier amène les emmerdes d’aujourd’hui » ! Une transposit­ion de la formule d’Einstein qui dit que l’on ne peut pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré… Avec son départ sacrificie­l, Nicolas Hulot ne nous a pas dit autre chose. Cher Emmanuel Macron, cette lettre est aussi une invitation à participer avec nous à la troisième édition de The Village, à l’été 2019. En espérant qu’elle recevra un accueil favorable, nous vous prions d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de notre très haute considérat­ion.

Résoudre les défis de demain avec les outils d’hier amène les emmerdes d’aujourd’hui

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