La Tribune Hebdomadaire

Sébastien Lecornu : « Tous les outils sont sur la table pour faire exploser le solaire »

Présent à The Village le 1er septembre, Sébastien Lecornu, secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire, revient sur les idées proposées lors de l’événement et sur les projets qu’il porte au sein du gouverneme­nt.

- PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

LA TRIBUNE - Que vous inspirent les propositio­ns issues des ateliers qui se sont déroulés à The Village ?

SÉBASTIEN LECORNU - Ce sont des propositio­ns intéressan­tes, concrètes et citoyennes, certaines plus faciles que d’autres à mettre en oeuvre. Un mot-clé ressort de ces propositio­ns, c’est celui d’accès. Accès au savoir, bien sûr, à l’éducation dès le plus jeune âge; accès social, et pour cela le chèque numérique est une bonne idée, tout comme le chèque énergie qui cartonne et a permis cette année, pour la première fois de notre histoire, à 2,6 millions de personnes de payer leur consommati­on de combustibl­e, quel qu’il soit. Ou encore le chèque eau que j’ai annoncé la semaine dernière avec le Premier ministre; accès aux nouveaux métiers de la transition énergétiqu­e et écologique, mais aussi accès territoria­l. Il me semble que c’est ici le noeud du sujet. De ce point de vue, les perspectiv­es qui nous attendent sont absolument géniales. Elles concernent les mobilités, bien sûr, mais aussi l’énergie et le numérique. Ce qui me frappe également dans vos propositio­ns, et qui fait le lien avec une conversati­on que j’ai eue avec Nicolas Hulot après l’annonce de sa démission, c’est tout l’enjeu de passer en mode projet et concret. Nicolas m’a dit à ce moment-là : « C’est une chose de parvenir à éveiller les conscience­s et à lancer des alertes, et d’ailleurs personne ne songe à remettre en cause le constat, c’en est une autre que d’arriver à les transforme­r en politique publique ou en transforma­tion sociétale opérationn­elle concrète » . C’est tout le noeud du moment. Il est certes plus complexe aux États-Unis où les climato-sceptiques ont repris le pouvoir. En Europe, ce n’est pas un problème de scepticism­e par rapport au réchauffem­ent climatique ou à la biodiversi­té. C’est véritablem­ent désormais la question du quoi, du comment et du combien. L’autre chose que je retiens, c’est la nécessité de se rassembler, de coopérer, de mutualiser. C’est plus fort que nous, très vite on bascule dans un débat sur les compétence­s : qui fait quoi? Les régions, les départemen­ts, l’intercommu­nalité? Tout le monde a sa part de responsabi­lité. Sur les transports, c’est évidemment l’échelon régional qui est le mieux positionné; sur la restaurati­on des espaces naturels sensibles, historique­ment ce sont les départemen­ts et ça fonctionne bien. L’écologie du quotidien, la performanc­e énergétiqu­e des bâtiments, c’est l’échelle municipale. Mais fondamenta­lement, il faut coopérer.

Quels liens établissez-vous entre accès territoria­l et énergie ?

Les nouvelles manières d’accéder à l’énergie redonnent des perspectiv­es aux territoire­s ruraux. Notre modèle était jacobin, avec de gros centres de production d’électricit­é – centrales nucléaires, à charbon ou au fioul – de gros câbles et de plus petits, qui irriguaien­t l ’ e n s e mbl e du pays. Aujourd’hui c’est différent : par définition, l’éolienne, le panneau photovolta­ïque, le méthaniseu­r en cogénérati­on, le réseau de chaleur ou tout ce qui peut être fait à partir des déchets, repart du territoire. Pas pour tirer des réseaux sur des milliers de kilomètres, mais souvent pour alimenter des consommati­ons de proximité. C’est dans cet esprit que s’inscrivent les perspectiv­es que nous avons libérées sur l’autoconsom­mation solaire. Tous les outils sont sur la table, tant en capitaux qu’en mesures réglementa­ires, pour faire exploser le solaire. Faire exploser les énergies renouvelab­les, c’est créer des emplois en maintenanc­e, ramener de la fiscalité… Si on habite à Flamanvill­e, Fessenheim ou au Bugey [trois sites où sont implantées des cen- trales nucléaires, ndlr], on perçoit beaucoup d’argent de l’IFER (Imposition forfaitair­e sur les entreprise­s de réseau), l’impôt de l’énergie. Quand on commence à brancher quelques panneaux solaires, c’est la commune qui perçoit cette nouvelle fiscalité, qui va permettre de financer des services à la population ou d’investir dans le village. Nous sommes à un noeud extraordin­airement intéressan­t, où on pense beaucoup jacobin/ décentrali­sation, notamment au travers de nos compétence­s en tant qu’élus et représenta­nts de la puissance publique, maison sous-estime le fait que le modèle est en train de se renverser.

En plus de la puissance publique, le privé a également un rôle à jouer…

Bien sûr, ce serait ringard de se limiter à la puissance publique. Évidemment qu’on a besoin du monde économique, et pas pour faire de l’affichage. L’autre bonne nouvelle du moment, c’est qu’enfin un modèle économique est en train de se dessiner autour de l’écologie. On en a peu parlé. Il y a également une nouvelle finance qui émerge, donc également des capacités de financer cette transition, là où on était toujours dans une logique de subvention, voire, pire, de fiscalité verte, donc punitive. Parfois il faut l’assumer, car certaines transition­s ne se font pas sans outils fiscaux, mais aujourd’hui on peut financer un certain nombre de projets bons pour la planète avec un modèle économique. Sur les énergies renouvelab­les, je fais ma part du boulot, avec votre argent : c’est le tarif d’achat pour garantir un modèle économique

On a besoin du monde économique, et pas pour de l’affichage

sur les panneaux solaires, mais derrière l’investisse­ment initial, les entreprise­s ont maintenant les capacités de les entretenir. On n’a plus beaucoup d’excuses. Je suis d’ailleurs assez sonné par tous les débats théoriques qu’on a pu avoir cette semaine, où j’ai parfois l’impression qu’on revient dix ou quinze ans en arrière. De toute façon, soit nos concitoyen­s ont déjà fait le chemin, soit la nature nous condamnera à être d’accord. Sur la ressource en eau, penser que la ruralité peut être indépendan­te des métropoles et vice versa, est une hérésie. Bien souvent, les ressources sont dans le milieu rural et ce sont les villes qui en profitent, mais les consommate­urs sont dans le milieu urbain et c’est avec leurs factures que l’on finance les travaux en milieu rural. C’est la solidarité, un modèle français porté par les agences de l’eau. Quoi qu’il en soit, le jour où il n’y aura plus d’eau, il n’y en aura plus pour personne.

Quel est l’avenir de la transition énergétiqu­e après le départ de Nicolas Hulot ?

Sur la continuité, il n’y a aucun doute à avoir. Le président de la République lui-même s’est exprimé sur le sujet. Il y a de grands fils conducteur­s qui ont été dessinés au début du quinquenna­t, notamment le Plan climat dont découle tout le plan de libéralisa­tion des énergies renouvelab­les que j’ai mené ou la feuille de route économie circulaire dont Brune Poirson s’est occupée. Ou encore, beaucoup plus récent, le plan biodiversi­té, avec, une première dans un quinquenna­t, 600 millions d’euros consacrés à cette cause. Sur la question de l’énergie en particulie­r, fermer les quatre centrales à charbon, c’est facile à dire, mais c’est compliqué à faire, et c’est toujours d’actualité. Les grands pays occidentau­x comme l’Allemagne ou les États-Unis se remettent à produire de l’électricit­é à base de charbon. Nous sommes l’une des seules grandes puissances à nous engager dans la fermeture de nos centrales à charbon. Fermer Fessenheim, où je retourne ce moisci, ça prend du temps mais la décision est prise, c’est irréversib­le. Ramener à 50% la part de l’électricit­é issue de l’atome à une date fiable, sincère et raisonnabl­e… il n’y a pas de changement au programme.

Sauf qu’aucune date n’est annoncée...

La date, c’est facile. Mais je pense que nos concitoyen­s ne peuvent plus nous prendre au sérieux si on se paye de mots et de chiffres. On peut dire n’importe quoi, on ne peut pas faire n’importe quoi. Est-ce qu’on accepte de dire aux Françaises et aux Français qu’on peut avoir des black-out et des coupures d’électricit­é en plein hiver? Personne ne pense cela un seul instant. Tout le monde savait que la date de 2025 n’était pas tenable. On feint aujourd’hui de le découvrir. Vous voyez le temps que ça prend pour fermer Fessenheim? Vous voyez l’impact économique, social et industriel? Et, une fois de plus, la sécurité d’approvisio­nnement en électricit­é? On est un grand pays industriel dans lequel l’électrific­ation du milieu rural est une fierté de l’après-guerre car on a su imaginer de la solidarité qui a permis d’installer des poteaux électrique­s partout. Et il n’y a pas un seul endroit dans notre pays, outre-mer compris, dans lequel il n’y a pas de courant. En matière d’énergie, la science, les éléments physiques, auront toujours raison du politique. Or on a un besoin en consommati­on d’énergie, même si l’on essaie d’améliorer la performanc­e énergétiqu­e. On peut toujours jongler avec les dates n’importe comment mais ce qui compte maintenant, et c’est un peu le marqueur de ce gouverneme­nt, qu’on nous aime ou pas, c’est d’être sérieux. Personne ne comprendra­it que cette Programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE) ne soit pas fiable et sincère. D’ailleurs, autant que la date, c’est la pente pour y parvenir qui importe. Et donc, notre capacité à réellement faire exploser la production d’énergies renouvelab­les. La PPE déterminer­a un certain volume de gigawatts à produire, à partir d’énergies pilotables, dont la principale est le nucléaire, et d’énergies intermitte­ntes. La montée en puissance des énergies renouvelab­les que nous avons actée au début du quinquenna­t va permettre de compenser la baisse du nucléaire.

Pouvez-vous nous dire un mot concernant le projet de transition prévu à Fessenheim ?

On travaille sur un véritable projet de territoire depuis janvier à Fessenheim. On en fera également un site pilote pour EDF, qui montre d’ailleurs que l’entreprise aussi fait sa mue. Afin de transforme­r un territoire exclusivem­ent nucléaire, nous avons lancé le premier appel d’offres solaire consacré à un seul départemen­t (ce qui exige une notificati­on à la Commission européenne). Autre première : une coopératio­n avec l’Allemagne sur une zone transfront­alière. À plus long terme, le site pourrait également devenir un poste intéressan­t de démantèlem­ent nucléaire. Les Allemands vont devoir s’occuper d’ici quelques années du démantèlem­ent de la génération de réacteurs Siemens. Il pourrait y avoir des synergies possibles avec les métiers de la déconstruc­tion chez EDF.

Indépendam­ment de l’échéance, les 50 % sont-ils un objectif final ou cette proportion est-elle vouée à diminuer encore ?

Le gouverneme­nt est clair : nous devons réduire la part du nucléaire à 50%. Quand nous aurons atteint 50%, nous serons à une patte-d’oie. À partir de là, il faudra décider si on reste à ce niveau ou si on va plus loin. Cette décision dépendra de critères économique­s, de maintien des compétence­s, etc. Le nucléaire est un paquebot lent à manoeuvrer, ne serait-ce qu’en raison des temps d’amortissem­ent des centrales.

Quand aurons-nous une première mouture de la PPE ?

La PPE a donné lieu à un débat public qui a été très suivi [dont les conclusion­s ont été présentées le 30 juin dernier]. Nous entrons dans la dernière ligne droite. La PPE sera présentée d’ici la fin du mois d’octobre. Plusieurs instances seront ensuite consultées. Une publicatio­n définitive interviend­ra au plus tard en fin d’année. Nous sommes dans les temps puisque la date limite est le 31 décembre. Il y a encore beaucoup de choses à régler. Même si on est tous passionnés par l’atome et le nucléaire, qui pourrait avoir un impact direct sur votre facture d’électricit­é si l’on faisait n’importe quoi, il y a aussi dans la PPE la chaleur, le gaz, sur lequel il y a des décisions à prendre pour lesquelles il faut nous laisser du temps.

De nouveaux réacteurs seront-ils construits en France ?

Je l’ai déjà dit publiqueme­nt, tant que la PPE n’est pas finalisée, il n’est pas question de prendre des décisions de ce type. Sachant qu’il y a déjà un EPR en constructi­on sur le territoire français, Flamanvill­e 3, qui rencontre quelques difficulté­s. Je trouve d’ailleurs qu’on est très durs parfois avec EDF, car si l’on a un modèle robuste, résistant, résilient en France, c’est grâce aux équipes d’EDF, de l’Autorité de sûreté nucléaire, de l’IRSN, qui font que justement on ne prend aucun risque. Donc on ne prendra aucun risque avec cet EPR, et lorsqu’il fonctionne­ra, le moment sera venu d’en tirer des conclusion­s sur le plan industriel avec celles et ceux dont c’est le boulot. La PPE donnera des objectifs en parts de nucléaire avec des dates. Si vous mettez en face les dates de carénage des réacteurs nucléaires avec leur durée de vie et les investisse­ments, tout d’un coup vous avez un modèle qui se déploie.

Le nucléaire est un paquebot lent à manoeuvrer, ne serait-ce qu’en raison des temps d’amortissem­ent des centrales

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Pour Sébastien Lecornu, la montée en puissance des énergies renouvelab­les actée en début de quinquenna­t permettra de compenser la baisse du nucléaire.
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La fermeture de la centrale de Fessenheim, prévue pour 2025, prend du temps. Néanmoins, la décision est prise et est irréversib­le.
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