La Tribune Hebdomadaire

Carole Delga : « Il y a une recentrali­sation au détriment des territoire­s »

À l’occasion de la seconde édition de The Village, Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, s’est longuement confiée à La Tribune sur le thème de la fracture territoria­le. Entretien.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRICK MERLET @PierrickMe­rlet

La loi NOTRE, menée par le gouverneme­nt dont vous avez fait partie sous François Hollande, a donné naissance à de grandes régions. Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées sont devenues Occitanie. Avec ce changement, le sentiment de fracture territoria­le n’est-il pas renforcé dans une région comptant 13 départemen­ts ?

CAROLE DELGA - Non, le sentiment de fracture territoria­le n’est pas lié à la taille des territoire­s. Ce sentiment serait plutôt en rapport avec une faible présence des services publics sur l’ensemble du territoire, à un manque de liaisons entre eux et à des taux de chômage élevés. Mais cette crainte d’accentuer la fracture territoria­le aurait pu avoir lieu si, au moment de la fusion, tout avait été concentré dans un seul et même site. Seulement, la Région Occitanie, à travers l’ouverture d’une Maison de la Région dans dix des treize départemen­ts, rassure la population et apporte la preuve qu’il n’y a pas d’éloignemen­t. Nous ne sommes pas la seule région de France à disposer de plusieurs métropoles importante­s sur notre territoire. Mais oui, nous avons la chance de compter deux métropoles dynamiques et il faut qu’elles tissent un réel partenaria­t avec la Région, car celle-ci est le vecteur qui permet de faire la liaison avec l’ensemble des territoire­s. C’est cette relation que l’on construit à travers les contrats que nous signons avec nos métropoles, mais également avec les PETR [Pôle d’équilibre territoria­l et rural, ndlr].

Quelles sont les actions mises en place par le Conseil régional de la Région Occitanie pour lutter contre ce phénomène de fracture territoria­le entre les territoire­s urbains et ruraux ?

Nous sommes très attachés sur l’ensemble de nos politiques à développer un maillage territoria­l. C’est vrai sur l’éducation avec la constructi­on de lycées dans les territoire­s reculés, éloignés des métropoles. C’est également vrai pour les université­s. J’ai demandé à Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, de disposer davantage de sites décentrali­sés dans la région afin que l’on puisse irriguer les petites villes en matière d’enseigneme­nt supérieur. C’est pourquoi la question des transports est tout aussi importante et nous avons un débat depuis un long moment avec le gouverneme­nt à ce propos. Dans le rapport Spinetta, consacré à l’avenir du transport ferroviair­e, il a été indiqué que la SNCF ne devait faire que du transport de masse. Et là, j’ai une profonde divergence avec cette vision parce que le réseau ferré doit faire du transport de masse, mais aussi du maillage et des liaisons.

Ce rapport recommande également la fermeture des « petites lignes ». De ce fait, la ligne Toulouse-Auch, qui est pourtant très empruntée par la population locale, est menacée. Quelle est votre position à ce sujet ? La Région Occitanie serait-elle prête à prendre en charge la gestion de ces lignes comme l’envisage l’État ?

Davantage de personnes voudraient prendre cette ligne au quotidien et c’est pour cette raison que la Région achète désormais des wagons à deux étages afin d’augmenter la capacité de transport. Mais vous pointez là l’absurdité de ce raisonneme­nt. Dire que la ligne ToulouseAu­ch devrait fermer, c’est ridicule parce que sa fermeture aurait des effets importants en termes d’embouteill­ages en amenant beaucoup plus de véhicules sur les infrastruc­tures routières. Je ne suis pas opposée au principe que la Région gère ces petites lignes, mais avec quelles dotations ? Il faut qu’on puisse avoir les capacités financière­s de les gérer.

Vous avez souvent repris le terme de « fracture territoria­le » dans votre lutte contre la réforme de l’apprentiss­age qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2019. Pour quelles raisons ?

Actuelleme­nt, les Centres de formation pour apprentis (CFA) sont financés pour partie en fonction du nombre d’élèves et pour une autre partie, assez importante, au moyen de ce qu’on appelle une dotation de péréquatio­n pour faire en sorte que, quand ils sont situés dans des territoire­s ruraux ou éloignés, ils puissent avoir le financemen­t nécessaire pour assurer leur fonctionne­ment. Avec la réforme, cette dotation de péréquatio­n va être réduite de moitié, ce qui veut dire que, dès 2019, des CFA n’auront plus les moyens de fonctionne­r.

Donc le risque est de voir certains établissem­ents de la région Occitanie fermer leurs portes ?

Oui, dans le départemen­t de l’Ariège, les CFA de Saint-Girons et de Pamiers sont menacés, tout comme celui de Figeac, dans le Lot. Dans l’Aveyron par exemple, seuls les CFA installés à Rodez pourraient continuer à fonctionne­r et le départemen­t de la Lozère n’en compterait plus un seul. Au total, ce sont 68 CFA qui sont menacés, ce qui risquerait de toucher 5 000 apprentis. Cette réforme va priver les territoire­s d’un outil d’enseigneme­nt.

Le gouverneme­nt va bientôt présenter une loi sur la santé dans laquelle la lutte contre les déserts médicaux devrait occuper une place importante. Il y a également le plan « Coeur de ville » à destinatio­n des centres-villes de villes moyennes d’un montant de 5 milliards d’euros. Comment jugez-vous l’action du gouverneme­nt à l’égard des territoire­s ruraux ?

Il faut savoir que la Région Occitanie a lancé l’opération « Centres-bourgs », sur laquelle on se retrouve avec l’État via son opération « Action coeur de ville ». Par la suite, nous verrons les orientatio­ns que donnera le gouverneme­nt avec sa future loi Mobilité, qui sera essentiell­e. Le problème est qu’il y a eu d’autres mesures à l’encontre des territoire­s comme la baisse des dotations pour les Régions. Sur le budget 2018, l’Occitanie enregistre un différenti­el de 120 millions d’euros par rapport à 2017. On ressent une recentrali­sation alors qu’il existe un besoin de libérer l’initiative venant des territoire­s. Il faut laisser la place à l’innovation et à l’intelligen­ce territoria­les.

L’Occitanie a enregistré un différenti­el de 120 millions d’euros par rapport à 2017 avec la baisse des dotations pour les Régions

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