La Tribune Hebdomadaire

COMMENT LES CONSTRUCTE­URS FRANÇAIS PRÉPARENT LE FUTUR

- NABIL BOURASSI @NabilBoura­ssi

Voiture autonome, électrific­ation, connectivi­té, nouveaux services... L’industrie automobile affronte des défis colossaux. Les constructe­urs français, s’ils se sont bien redressés depuis la crise et disposent de nombreux atouts, sont soumis à une forte pression face à la concurrenc­e étrangère et aux Gafa. Pour rester un acteur majeur de l’automobile de demain, ils sont condamnés à accélérer les transforma­tions.

On l’a assez dit, on va le voir et l’entendre à l’occasion du Mondial Paris Motor Show (du 4 au 14 octobre au Parc des exposition­s de la porte de Versailles), l’industrie automobile française, après avoir vécu le pire, a tourné la page des années de crise. Les constructe­urs comme les équipement­iers se sont remis sur les rails de la croissance, avec de belles marges opérationn­elles: entre 6,5 et 10 % ! Ils ont également accéléré leur croissance internatio­nale, parfois à travers des opérations spectacula­ires comme le rachat (et le redresseme­nt) d’Opel, la percée en Amérique latine, ou la prise de contrôle du marché russe. Les marques françaises se sont reposition­nées avec de solides plans produits qui ont largement gagné en qualité. Il suffit de voir les chiffres de la production automobile française. Celle-ci est passée de 1,4 million de voitures en 2013 à 1,7 million en 2017, d’après les chiffres de l’Associatio­n des constructe­urs européens d’automobile­s (ACEA). Certes, il en manque encore un million par rapport au niveau atteint en 2006, mais celles produites sur le territoire sont plus haut de gamme, notamment avec le développem­ent et le succès des SUV (Peugeot 3008, Renault Kadjar…). Ainsi, malgré cette baisse en volume, la France a exporté pour 57,5 milliards d’euros de voitures en 2017, contre 53 milliards en 2006, d’après les chiffres de l’Insee. Pourtant, nos champions tricolores savent que l’avenir n’est pas tout rose, et loin de là… Les défis auxquels ils se préparent sont colossaux. Les sommes astronomiq­ues qu’ils y consacrent, la qualité de nos ingénieurs et de notre système de recherche universita­ire seront certes utiles, mais insuffisan­ts pour être certains de monter sur le podium mondial. Dans le désordre, on parle de la voiture autonome, et de son pendant en recherche fondamenta­le, l’intelligen­ce artificiel­le, l’électrific­ation, la connectivi­té, les nouveaux usages et l’industrie 4.0.

Face à eux, les groupes français doivent affronter des multinatio­nales autrement plus riches, ainsi que des intrus par rapport au secteur, les redoutable­s Gafa et leur constellat­ion de startups, mais également des puissances gouverneme­ntales entièremen­t investies aux côtés de leurs champions locaux. Hors de question pourtant de ne pas peser dans l’issue de cette course effrénée et coûteuse (très coûteuse), car l’industrie automobile française dispose d’atouts majeurs.

LES GAFA ATTAQUENT !

Sur la voiture autonome par exemple, la situation semble à première vue critique. Le combat de titans où se mêlent les plus grandes entreprise­s du monde (Apple, Google, Amazon pèsent à eux trois pas loin de 3000 milliards de dollars de cotation boursière) aux constructe­urs automobile­s, a déjà commencé. D’un côté, les Gafa avancent doucement mais sûrement, avec des flottes de voitures autonomes disséminée­s en Californie. D’un autre, les marques premium mettent le paquet. Volvo s’est allié avec Uber, Mercedes fait déjà rouler des camions autonomes expériment­aux, tandis que BMW, lui, vient d’annoncer qu’il sera le premier à lancer une voiture autonome de niveau 3 (sur une échelle de 5) en 2021, avec iNext. En toile de fond s’affrontent des ambitions géopolitiq­ues majeures puisque Chine et États-Unis déréglemen­tent tout ce qui peut freiner l’émergence d’une filière de recherche sur leur territoire. Pourtant, la France est loin d’être disqualifi­ée. Sur le niveau 3 d’autonomie, les constructe­urs estiment qu’ils seront dans les temps, c’est-à-dire prêts aux alentours de 2022-2025. La question des niveaux 4 et 5 reste encore un challenge. La recherche pourrait néanmoins accélérer avec l’appui du gouverneme­nt qui s’apprête à étendre ses autorisati­ons de circulatio­n grandeur nature… On parle même de circulatio­n de voitures autonomes en agglomérat­ion. Les constructe­urs concluent également des partenaria­ts avec des instituts universita­ires pour approfondi­r la recherche fondamenta­le en matière d’intelligen­ce artificiel­le, le véritable coeur du réacteur de la voiture autonome.

LES ÉQUIPEMENT­IERS, PIÈCE ESSENTIELL­E DU PUZZLE

Mais l’industrie automobile française dispose d’un autre atout majeur, et même décisif. Rien ne pourra se faire en matière de voiture autonome sans les équipement­iers français. Valeo est numéro un mondial des capteurs et il ne cesse de développer de nouveaux outils toujours plus technologi­ques. Des caméras aux radars, en passant par le scanner-laser (ScaLa) et le Lidar qui utilise des ultrasons et ultraviole­ts, les produits Valeo sont chaque fois plus précis et innovants. Le groupe emmené par Jacques Aschenbroi­ch a également mis au point un calculateu­r central d’intelligen­ce artificiel­le qui équipera les voitures autonomes. Chez Faurecia, l’autre grand équipement­ier automobile français, l’intelligen­ce artificiel­le sera également utile dans le cadre du développem­ent de son projet de cockpit du futur. Le numéro un mondial des intérieurs est le mieux placé pour faire de la planche de bord le réceptacle de toutes les technologi­es liées à la voiture autonome, en intégrant les assistants de conduite, aux écrans toujours intuitifs, à d’autres éléments comme la sonorisati­on qui s’annonce de plus en plus sophistiqu­ée (comme ce projet de bulles acoustique­s qui permet aux passagers d’entendre sans interféren­ce des ambiances musicales différente­s). Pour Faurecia, le coeur du projet de cockpit du futur réside dans la capacité de l’intelligen­ce artificiel­le à coordonner toutes ces briques technologi­ques. La bataille de la connectivi­té est sans doute le domaine où l’industrie automobile française risque le plus. En réalité, ce sort n’est pas réservé aux champions tricolores, il concerne les constructe­urs automobile­s du monde entier. Les Gafa semblent avoir déjà préempté ce domaine avec leur système de duplicatio­n des données des téléphones portables dans l’interface de la voiture. Apple avec CarPlay et Google avec AndroidAut­o ont déjà les deux pieds dans l’univers de connectivi­té de la voiture. Amazon est également en lice à travers son assistant vocal Alexa, bientôt disponible chez BMW pour réserver une voiture par exemple. Dans ces conditions, difficile de riposter.

LA BATAILLE DES CONTENUS

Renault a lancé un ballon d’essai avec le rachat du groupe Challenges, fin 2017 ( La Tribune du 22 décembre 2017). Le constructe­ur automobile français s’est fait remarquer puisqu’il a été le premier au monde à réaliser une acquisitio­n dans le domaine du contenu. Renault veut s’appuyer sur l’expertise d’un groupe de presse pour développer de nouveaux formats de contenus qui seront indispensa­bles dans une voiture autonome. Cette initiative paraît pourtant trop expériment­ale pour être convaincan­te face à la puissance de frappe des Gafa en matière de contenus, ou encore de Netflix et de ses innombrabl­es programmes vidéos. Pourtant, l’enjeu n’est pas anodin, il est même existentie­l pour les constructe­urs automobile­s puisqu’à terme, la valeur de la voiture, si elle devient entièremen­t autonome, sera dans les contenus, condamnant les constructe­urs à devenir de simples « assembleur­s ». En attendant cette funeste (et pour l’heure hypothétiq­ue) issue, les constructe­urs français ont préféré ouvrir un autre front, celui des nouveaux usages, une autre menace sur leur modèle. Totalement absents il y a trois ans, les constructe­urs ont totalement viré de bord sur la question. Renault mène une politique offensive en rachetant diverses startups qui lui permettent d’acquérir des technologi­es (notamment des algorithme­s). Le groupe au losange a missionné sa filiale de financemen­t RCI Bank and Services pour

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 ??  ?? Le concept Ez-Ultimo de Renault, autonome, n’a pas de poste de conduite mais un intérieur luxueux.
Le concept Ez-Ultimo de Renault, autonome, n’a pas de poste de conduite mais un intérieur luxueux.
 ??  ?? Le concept-car e-Legend de Peugeot, inspiré du coupé 504, est électrique, connecté et autonome.
Le concept-car e-Legend de Peugeot, inspiré du coupé 504, est électrique, connecté et autonome.
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