La Tribune Hebdomadaire

MACRON, LA TAXE CARBONE ET LES TROTTINETT­ES

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Sacrés Gaulois réfractair­es ! Ils ne sont pas à une contradict­ion près. Ils peuvent « en même temps » sacraliser en Nicolas Hulot, le champion démissionn­aire de l’Écologie, leur personnali­té politique préférée (palmarès Ipsos- Le Point d’octobre) et « se plaindre » de voir flamber le prix des carburants. Comme si ce n’était pas sous l’impulsion du ministre Hulot que le gouverneme­nt avait décidé d’accélérer l’alignement des taxes sur l’essence et le diesel. Le résultat est une hausse de 25% des prix du gazole depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron. Et ce n’est pas fini : avec la nouvelle augmentati­on votée dans le budget 2019, le prix du litre de diesel va s’installer durablemen­t au-dessus de celui du sans-plomb, l’effet de cette hausse étant amplifié par la poussée des prix du pétrole. Ségolène Royal n’a pas manqué l’occasion de dénoncer dans cette écologie « punitive » un « matraquage fiscal » . Selon l’ancienne ministre de l’Environnem­ent, « taxer d’une façon aussi violente les automobili­stes, c’est prendre l’écologie en otage » . Elle affirme même que cette hausse des taxes sur les carburants n’est pas légale, car « le gouverneme­nt ne respecte pas l’article 1 de la loi sur la transition écologique de 2015 » qui prévoit une neutralité fiscale : pour un centime de hausse de la fiscalité carbone, il devrait y avoir un centime de baisse d’une autre taxe. Or, selon Olivier Faure, le patron du PS, le compte n’y est pas. Il dénonce une « arnaque » budgétaire qui, sous prétexte de fiscalité écologique, est en réalité selon lui une mesure de rendement qui va « prélever sur cinq ans 55 milliards d’euros, dont seulement 10 petits milliards » seront destinés à financer la transition écologique. En clair : les automobili­stes, surtout les plus modestes, qui roulent au diesel, sont des « vaches à lait » appelés à payer à la pompe les cadeaux fiscaux du « président des riches ». Face à la polémique qui flambe au rythme des prix à la pompe, le gouverneme­nt reste droit dans ses bottes : « Quand on a aimé Nicolas Hulot, on assume d’avoir une fiscalité destinée à faire évoluer les comporteme­nts » s’est emporté Benjamin Griveaux, porte-parole de l’exécutif et possible candidat LRM à Paris (parmi d’autres, dont Mounir Mahjoubi, Cédric Villani…) face à Anne Hidalgo. Et de faire valoir que le gouverneme­nt a créé une prime à la casse pour aider les automobili­stes à se convertir à des modes de transports propres, prime qui sera portée à 2500 euros au 1er janvier pour les voitures électrique­s et les véhicules hybrides. Certes, mais en effet le compte n’y est pas : la hausse des taxes sur les carburants servira plus à rembourser la dette publique qu’à accompagne­r les Français dans la transition écologique. Emmanuel Macron, dont la courbe de l’impopulari­té épouse presque parfaiteme­nt celle de la hausse du prix à la pompe, assume le caractère punitif de cette politique, dont l’objectif est d’adresser un « signal prix » pour forcer au changement des comporteme­nts. Sans le dire ouvertemen­t, c’est bien une taxe carbone que le président de la République a imposée aux automobili­stes. Pourquoi pas, à condition que les Français ne se retrouvent pas otages de cette transition. D’autant qu’on n’est qu’au début de changement­s majeurs pour tenir les objectifs de réduction des émissions de CO2. Le président de la République a promis des mesures « structuran­tes et historique­s » dans les prochains mois. Problème : comment faire en sorte que cette nécessaire transition écologique ne se fasse pas au détriment du pouvoir d’achat ou de la compétitiv­ité des entreprise­s ? Car les ménages ne sont pas les seules victimes de la hausse des carburants. En 2019, Bercy va prélever 2 milliards d’euros sur les entreprise­s, dont 1 milliard avec la fin de la possibilit­é pour les secteurs non agricoles d’utiliser le GNR, le gazole non routier, 50 centimes moins cher. Et ce n’est pas fini : la ministre chargée des Transports, Élisabeth Borne, aura fort à faire pour mettre en place une participat­ion des poids lourds, notamment ceux en transit sur le territoire français, au financemen­t de son plan de rénovation des infrastruc­tures routières. Le mot « écotaxe », devenu un chiffon rouge, est proscrit, mais, au final, quelle sera la différence, sinon sémantique ? Le projet de « tarif de congestion » que la loi d’orientatio­n sur les mobilités va concrétise­r en une forme de péage urbain va dans le même sens, même si ce sera aux élus locaux d’assumer l’impopulari­té de son (éventuelle) mise en place. À l’évidence, si on prend un peu de recul, cette fiscalité écologique « punitive » commence à produire des changement­s de comporteme­nts. Les industriel­s de l’automobile ont compris que la fin du diesel pourrait bien être plus rapide que prévue, que les normes de pollution vont continuer à être durcies, et donc que les mobilités en seront bouleversé­es. On en a des signaux avec l’explosion de l’autopartag­e, du covoiturag­e, alors que vélos, trottinett­es et gyropodes partent à la conquête de nos villes. C’est sans doute un progrès pour les habitants des grandes métropoles, mais ce n’est pas sans poser de sérieux problèmes de cohabitati­on sur l’espace public. Ce développem­ent anarchique de solutions en free floating (libre-service sans bornes), au départ encouragé par les maires, tourne au capharnaüm, faute de régulation. On ne compte plus le nombre de passants blessés sur les trottoirs par des usagers de trottinett­es électrique­s filant droit comme des « i » au-delà de la limite de vitesse autorisée (6 km/h). Or, on continue de vendre ou de louer des petits bolides qui vont bien au-delà de 25 km/h. Élisabeth Borne le dit : le Code de la route sera adapté pour réguler la circulatio­n de ces véhicules. Il est plus que temps. Mais il faudra aussi adapter nos routes à la cohabitati­on entre ces engins, les vélos, les scooters et les voitures. Quant aux habitants des zones rurales ou périphériq­ues, obligés de posséder une voiture, il va falloir les aider fiscalemen­t à basculer vers la voiture électrique, comme le fait massivemen­t la Chine, et en construisa­nt un réseau de bornes de recharge adéquat. On en est encore loin. Pour réussir la transition écologique, il va falloir que Bercy redonne à l’écologie l’ensemble des taxes sur les carburants, de la même façon que l’argent des radars est destiné à près de 100% à la sécurité routière.

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