La Tribune Hebdomadaire

Défricheur Jérémy Hodara (Jumia)

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Jérémy Hodara a lancé Jumia, en 2012 au Nigeria, avec son compère de McKinsey Sacha Poignonnec. Aujourd’hui, le site d’e-commerce est présent dans 14 pays africains, enregistre 20 millions de commandes et vise le milliard d’euros de volume d’affaires.

Jérémy Hodara, cofondateu­r de Jumia, leader de l’e-commerce en Afrique, ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait d’un aventurier. Pourtant, ce jeune homme au look « bon chic, bon genre », fils d’un informatic­ien et d’une enseignant­e, passe d’une métropole africaine à l’autre avant de rentrer chez lui à Dubaï. « J’ai toujours eu envie de voyager, et surtout dans les pays émergents. À HEC, j’ai fait mon premier stage chez L’Oréal en Malaisie » , raconte le trentenair­e à l’allure juvénile. Cette envie de découvrir des contrées exotiques ne le quitte pas une fois entré au cabinet McKinsey, où il s’arrange pour être nommé à Mumbai, la capitale économique indienne. Chez McKinsey, il se spécialise en grande distributi­on, car « c’est concret: on parle de produit, de marketing, de logistique » . Après l’Inde, direction New York (où il rencontre sa femme, d’origine espagnole) une mégalopole qui, selon l’amateur de kite surf, possède « l’ADN des pays émergents » . C’est au sein du cabinet conseil américain qu’il rencontre Sacha Poignonnec. Le duo a envie de construire quelque chose de « simple et pertinent ». L’Afrique s’impose vite comme la destinatio­n idéale. « En Inde et en Asie, tout existe déjà. Là-bas, les startups qu’on invente à Paris existent depuis cinq ans. En Afrique, la classe moyenne se développe rapidement et la pénétratio­n d’Internet s’accélère », analyse le cofondateu­r de Jumia. Mais avant de lancer ce service d’ecommerce, le duo doit affronter le scepticism­e de leurs relations, unanimes pour affirmer que « les Africains ont besoin de toucher les produits » . Pour Jérémy Hodara, les consommate­urs africains sont en fait comme les autres: ils veulent du choix, de bons produits, des prix justes et une expérience client efficace. C’est au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique – avec 190 millions d’habitants, il compte plus d’internaute­s que la totalité de la population française – que Jumia se lance en 2012. Les deux entreprene­urs sont incubés et lèvent des fonds auprès de Rocket Internet, la startup studio allemande qui a investi dans Zalando et Foodora, puis chez Milicom, entreprise de télécommun­ication luxembourg­eoise, qui met 26 millions d’euros. Ambitieux, le duo ouvre quatre pays d’un coup : Nigeria, Égypte, Maroc et Afrique du Sud. Les fondateurs de Jumia comprennen­t vite que pour rassurer les acheteurs, il faut leur proposer le paiement à la livraison. L’étape suivante consiste à trouver des fournisseu­rs fiables, avec un stock et la capacité à livrer les entrepôts, une quête qui dure environ trois ans.

INVESTISSE­MENTS EN MARKETING

Aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers de vendeurs proposent leurs produits sur la plateforme. Présent dans 14 pays, soit 80 % de la population connectée du continent africain, Jumia a atteint sa taille critique. C’est pourquoi l’entreprise, parfois présentée comme le Alibaba (géant chinois de l’e-commerce) africain, cherche sa croissance en proposant en permanence de nouveaux services à ses clients (Jumia Travel, Jumia Food, Jumia Pay, Jumia Services, etc.). « Il faut également animer notre place de marché de milliers de vendeurs, qui ne sont pas aussi à l’aise avec les outils numériques qu’en Europe ou aux États-Unis », rappelle l’ancien de McKinsey. Autre défi: la logistique. Plusieurs centaines de petites sociétés amènent les colis et récupèrent le paiement. « Quand nos clients voient arriver le livreur sur sa moto qui leur apporte un produit neuf, bien emballé, et moins cher que sur le marché municipal, leur réaction est assez géniale », se réjouit Jérémy Hodara, qui emploie 3000 salariés et fait travailler 50000 vendeurs. En 2017, Jumia a enregistré 8 millions de commandes, 15 à 20 millions sont prévues cette année, un chiffre qui devrait doubler en 2019. Néanmoins, l’entreprise, qui a levé pas moins de 664 millions d’euros depuis sa création, n’a toujours pas atteint le seuil de rentabilit­é. « Nous continuons à investir massivemen­t en marketing et nous espérons être rentables dans quelques années », précise le jeune homme qui vient d’avoir une petite fille. Pour lui, « les dépenses marketing sont assez faciles à piloter. Tous les quinze jours, je revois le montant des investisse­ments avec les responsabl­es pays et nous les ajustons en fonction de la performanc­e. C’est flexible et granulaire ». En 2019, Jumia devrait atteindre le milliard de v o l u me d’affaires (sommes des ventes réalisées sur la plateforme). D’après Reuters, Rocket Internet étudie une introducti­on en Bourse de Jumia à Londres ou Francfort dans les prochains mois.

Quand nos clients voient arriver le livreur sur sa moto, leur réaction est assez géniale

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JÉRÉMY HODARA

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