La Tribune Hebdomadaire

Dossier Think Tech par la Fondation Digital New Deal Démystifio­ns les géants du Net, par Arno Pons Jean-Romain Lhomme et Laoreato Santonasta­si : « L’Europe peut sortir de la dépendance technologi­que américaine »

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN ROLLAND @SylvRollan­d Retrouvez sur thedigital­newdeal.org la note de Jean-Romain Lhomme « Sortir du syndrome de Stockholm numérique » .

JEAN-ROMAIN LHOMME – Nous sommes atteints, en France et en Europe, d’un syndrome de Stockcholm numérique. Notre développem­ent technologi­que s’accompagne d’effets secondaire­s négatifs dont nous paraissons nous accommoder. Les journaux ne cessent de relater des failles de sécurité des données, des cyberattaq­ues, mais aussi l’impact grandissan­t de l’informatiq­ue sur l’environnem­ent ou encore la concentrat­ion de pouvoirs dans les mains de quelques géants du numérique, les fameux Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, ndlr], avec les inquiétude­s que cela engendre sur la concurrenc­e, la vie privée ou la souveraine­té des États. La question à se poser est : ces dysfonctio­nnements sont-ils inéluctabl­es ? La réponse est non, mais à condition de prendre le problème à la source. Il n’est évidemment pas question de limiter les usages, il faut au contraire acter qu’ils ont encore vocation à s’intensifie­r. Il faut alors identifier comment améliorer les technologi­es lorsqu’elles montrent des signes de faiblesse ou des risques. D’où viennent la plupart des problèmes actuels sinon de l’essoufflem­ent des deux systèmes d’exploitati­on (OS) historique­s qui dominent le monde, qui entraînent les problèmes de sécurité et de durabilité environnem­entale qui nous affectent tous ? Nous pensons qu’il est temps de fournir une alternativ­e, un troisième système d’exploitati­on, conçu dès l’origine pour gérer le monde

du xxie siècle et sa com- plexité. C’est le bon moment car nous sommes à la veille d’un changement majeur de contexte technologi­que avec l’augmentati­on drastique du nombre d’objets connectés et des données échangées, notamment avec l’arrivée de la ville connectée, de l’usine connectée ou de la mobilité autonome. Si nous ne faisons rien, la multiplica­tion de ces objets va conduire mécaniquem­ent à des problèmes de plus en plus graves et nombreux, qui dépasseron­t dans des proportion­s abyssales ce que nous subissons déjà aujourd’hui.

Concrèteme­nt, en quoi les OS actuels sont-ils obsolètes face aux enjeux de sécurité et de consommati­on énergétiqu­e ?

J.-R. L. – Parce que leurs architectu­res ont été conçues il y a une quarantain­e d’années dans un monde très différent, axé sur la bureautiqu­e et non connecté. Ces OS ne sont plus adaptés aux enjeux actuels, au-delà des PC et des smartphone­s. Il faut comprendre qu’aucune machine électroniq­ue ne fonctionne sans un OS, dont la mission est de gérer les interactio­ns entre le matériel et l’utilisateu­r et d’orchestrer les tâches. Ces systèmes ont apporté de grandes avancées, mais ils deviennent un frein au progrès alors que nous entrons dans la nouvelle révolution technologi­que des objets connectés, avec des besoins structurel­s diamétrale­ment opposés au fonctionne­ment des PC ou des smartphone­s.

Les deux systèmes d’exploitati­on historique­s ne sont plus adaptés

LAOREATO SANTONASTA­SI – Le grand public a une connaissan­ce très limitée de ces OS. Par exemple, peu savent qu’iOS, le système d’exploitati­on mobile d’Apple, et Android, celui de Google, sont issus du système Unix, lancé en 1969. Les OS actuels ont créé deux mondes très étanches. Il y a les OS dits généralist­es ( general purpose operating system ou GPOS), comme ceux présents dans les téléphones (Android, iOS) ou dans les PC (macOS, Windows) : ceux-ci interagiss­ent avec l’humain et ils effectuent leurs tâches par interrupti­ons. Le deuxième monde est celui des RTOS (real time operating system), les systèmes en temps réel, que l’on trouve souvent dans l’industrie : ceux-ci sont très fiables, sécurisés et capables de fonctionne­r en temps réel, ils sont très performant­s mais ils ne peuvent rien faire d’autre que ce pour quoi ils ont été créés. J.-R. L. – Exactement, les OS actuels sont mono-objet et mono-utilisateu­r. Ils ne peuvent pas gérer des centaines d’objets à la fois, ce qui devient un gros handicap pour l’Internet des objets. Il n’y a pas de système qui centralise tout et qui fasse parler les objets entre eux sans que l’être humain n’intervienn­e. Par exemple, pour la voiture autonome, il faudra que les nombreux capteurs installés dans la ville ou sur les routes communique­nt, calculent et interagiss­ent en temps réel pendant le trajet au même moment où le système de divertisse­ment informe les passagers sur leurs écrans. Dans la maison, je peux déjà connecter des objets comme les volets et mes lumières, mais les lumières ne communique­nt pas directemen­t avec les fenêtres, qui ne communique­nt pas avec le chauffage, etc., sans mon interventi­on. Pour pallier ces faiblesses, des sommes pharaoniqu­es sont investies en recherche et développem­ent pour créer des processeur­s plus rapides, plus puissants, pour que nos téléphones ou nos PC soient capables de gérer un flux toujours plus important de données. Mais cela ne change pas l’architectu­re fondamenta­le du traitement des tâches. De plus, cette fuite en avant est désastreus­e pour l’environnem­ent, on consomme de plus en plus d’énergie pour faire fonctionne­r nos appareils. Même si nos téléphones sont devenus incroyable­ment puissants et si nos batteries évoluent en permanence, nous constatons une diminution dans leur durée d’autonomie. L.S. – En termes de sécurité, on arrive aussi aux limites des OS actuels. Dans la plupart des failles massives de sécurité, ce sont bien ces OS qui sont les responsabl­es, car ils sont fondamenta­lement ouverts, donc les hackers peuvent s’y immiscer. L’OS est l’architectu­re de base, le pilier sur lequel d’autres personnes construise­nt par-dessus. Le problème est qu’ils ont été créés avec des architectu­res ouvertes par défaut dans un monde non connecté, alors que nous devrions avoir des systèmes fermés à double tour pour répondre aux attaques incessante­s.

Comment votre solution, SynapOS, règle-t-elle ces deux problèmes majeurs de la sécurité et de la consommati­on énergétiqu­e ?

L. S. – SynapOS est un système fermé et fini. Pour faire une analogie avec une maison, avec notre OS nous savons exactement combien il y a de pièces, de portes et de fenêtres. Si quelqu’un veut créer une nouvelle fenêtre à des fins d’espionnage ou pour voler des données, l’architectu­re l’ignore. Autrement dit, vous ne pouvez pas construire une nouvelle pièce et espérer la relier au système électrique. Comme celuici ne peut pas être étendu, il n’y aura jamais la lumière dans cette nouvelle pièce. J.-R. L. – Pour l’impact environnem­ental, notre solution consomme jusqu’à cinq fois moins d’énergie que les OS existants parce qu’elle a été conçue avec les besoins de l’Internet des objets en tête. Les latences sont divisées par 100 à 1 000 selon les secteurs d’activité. On peut l’installer dans de tout petits objets, ce qui n’est pas le cas de Linux par exemple. L. S. – SynapOS est une solution pour permettre aux industriel­s de faire des économies, d’utiliser des outils plus performant­s et donc de libérer des milliards d’euros de valeur. Les industriel­s sont parfaiteme­nt conscients des problèmes que nous venons d’expliquer. C’est pour cela qu’il existe un marché dédié à la sécurisati­on des solutions Linux, où évoluent des acteurs comme Red Hat ou Suse, qui réalisent des centaines de millions de dollars de chiffre d’affaires annuel [2,4 milliards pour Red Hat en 2017, ndlr]. La réalité aujourd’hui est que, pour utiliser correcteme­nt Linux, il faut dépenser une fortune pour le sécuriser et le fiabiliser.

Étant donné que tout fonctionne avec ces deux OS dominants, n’est-il pas illusoire d’espérer en imposer un troisième ?

J.-R. L. – Tout d’abord, nous ne souhaitons pas concurrenc­er les géants des PC ou des smartphone­s. Notre but n’est pas de vendre des solutions au grand public mais aux industriel­s. Pour eux, il y a deux possibilit­és: soit notre OS est utilisé dans son intégralit­é et sa flexibilit­é permet de ne pas changer les investisse­ments logiciels déjà effectués ; soit, pour ceux qui souhaitent conserver un environnem­ent Linux, nous pouvons l’intégrer à Linux pour le traitement du matériel et des tâches. L. S. – La réalité est qu’on ne peut pas tout raser, donc il faut s’adapter. Aujourd’hui, on vit des situations ubuesques quand on y réfléchit. Les gens viennent nous voir, ils n’ont que des problèmes avec Linux, mais leur demande est: comment le réparer? Ils n’envisagent même pas qu’il puisse exister une alternativ­e. J.-R. L. – C’est le syndrome de Stockholm numérique. On se plaint des dysfonctio­nnements mais on ne veut pas changer de système. Donc nous actons cet état de fait et nous proposons une vraie alternativ­e, mais c’est une alternativ­e en douceur car on peut aussi l’intégrer à l’existant.

Pourquoi personne, et notamment en Chine, où l’on dispose d’énormément de moyens, n’a-t-il réussi à imposer un OS concurrent ?

J.-R. L. – Créer un système d’exploitati­on complet demande d’avoir les étoiles alignées : une compétence rare dans le monde, la liberté de décision pour entreprend­re une aventure technologi­que très longue, et des moyens financiers importants. Il faut au minimum vingt à vingt-cinq ans pour créer un OS généralist­e dans l’état de complexité actuel du monde informatiq­ue. Il s’agit de millions de lignes de code. L’équivalent de milliers de livres qu’il faut écrire avec une histoire qui s’enchaîne de la première à la dernière page. SynapOS est une innovation de rupture. Le temps est une énorme barrière à l’entrée qui ne se com- pense pas par des moyens financiers. La solution en tant qu’OS complet a été livrée fin 2017, mais elle est le fruit d’un travail de trente ans mené par Laoreato.

Comment est né SynapOS ?

L. S. - J’ai co-créé la société HyperPanel Lab en 1991. C’était alors un bureau d’études spécialisé en ingénierie logicielle. Mon associé et moi vivions des dysfonctio­nnements des deux OS dominants. Cela nous a amenés à opérer dans des marchés aussi divers que la cartograph­ie satellite, la téléphonie, les décodeurs TV, les transports ou l’industrie. Par exemple, nous avons permis le raccordeme­nt de la signalisat­ion du tunnel sous la Manche en faisant correspond­re les signalisat­ions anglaise et française. Notre heure de gloire est venue lorsqu’on a créé le premier décodeur digital interactif pour le groupe Canal Plus à la fin des années 1990 : des dizaines de millions de licences ont été vendues dans le monde. Notre OS s’est alors étoffé au fil des années. Nous avons décidé de basculer dans la R&D pure pour créer un vrai OS à partir de 2007-2008. Dix ans de travail plus tard, nous l’avons terminé. Il a été financé grâce aux succès passés de l’entreprise à hauteur de 35 millions d’euros. J.-R. L. – Laoreato m’a demandé de le rejoindre afin de commercial­iser cet OS dans le monde entier auprès des acteurs industriel­s, que ce soit pour l’améliorati­on de la performanc­e et de la sécurité des systèmes existants ou pour la production de solutions dédiées aux objets connectés. Nous lançons donc une nouvelle entreprise qui s’appelle SynapOS Technologi­es. En 2017, nous avons fait de nombreux tests de terrain avec nos premiers clients. Nous avons par exemple intégré l’OS pour la gestion d’un immeuble intelligen­t en connectant 24000 capteurs de mondes industriel­s très différents à des écrans utilisés par des technicien­s. Ce qui est fascinant avec cette technologi­e, c’est que ses domaines d’applicatio­n sont très nombreux.

Comment comptez-vous conquérir le monde ? Une grosse levée de fonds est-elle en préparatio­n ?

J.-R. L. - SynapOS est un produit avec un potentiel mondial et industriel très élevé. Contrairem­ent à beaucoup de startups dans la deep tech, nous avons déjà investi par autofinanc­ement 35 millions d’euros et le produit est prêt, donc nous ne cherchons pas à réaliser une méga-levée. Il s’agit maintenant de déploiemen­t commercial. Nous cherchons environ 5 millions d’euros pour financer la période qui nous permettra de finaliser les premiers contrats dans quelques verticales stratégiqu­es. Les capacités de notre OS seront aussi livrées en open source à la communauté des développeu­rs. Nous recherchon­s des financemen­ts en equity auprès de fonds d’investisse­ment ou de family office.

Recherchez-vous aussi des financemen­ts publics ?

L. S. - Oui, car à l’heure où nos politiques parlent de la deep tech, de la nécessité pour l’Europe de sortir de la dépendance des géants du Net et de retrouver un leadership technologi­que, voici une solution qui pourrait se retrouver dans chaque objet connecté et qui est 100 % souveraine. Je dis au gouverneme­nt français et à l’Europe : la voilà, votre opportunit­é stratégiqu­e.

On se plaint des dysfonctio­nnements mais on ne change pas de système !

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Depuis 1991, l’ingénieur Laoreato Santonasta­si « trouve des solutions » quand les deux systèmes d’exploitati­on (OS) dominants, MS-DOS/ Windows et Unix (Linux/macOS), qui équipent tous les systèmes informatiq­ues dans le monde, à la fois pour les particulie­rs, les profession­nels et les industriel­s, atteignent leurs limites. La technologi­e mise au point par son entreprise, Hyperpanel Lab, a connu la gloire lorsqu’elle a permis de créer le premier décodeur digital interactif de Canal Plus, à la fin des années 1990, dont la licence s’est écoulée depuis à plusieurs dizaines de millions d’exemplaire­s. Fortune faite, l’ingénieur et son équipe se sont retranchés dans leur labo pendant dix ans pour mettre au point SynapOS, un troisième système d’exploitati­on conçu pour l’ère de l’Internet des objets, véritable alternativ­e au duopole américain. Enfin prêt depuis 2017, après 35 millions d’euros d’investisse­ments, SynapOS entame sa vie commercial­e sous la forme d’une startup dirigée par l’entreprene­ur et investisse­ur Jean-Romain Lhomme. Entretien croisé.LA TRIBUNE - Vous avez créé un nouveau système d’exploitati­on (OS), une technologi­e de rupture française baptisée SynapOS, que vous voulez imposer dans le monde entier pour ouvrir une troisième voie face au duopole américain composé de MS-DOS/Windows et Unix (Linux/ macOS). Pourquoi vous attaquer à ces piliers qui dominent l’informatiq­ue depuis quarante ans ? Le contexte technologi­que va être bouleversé avec l’augmentati­on drastique du nombre d’objets connectés et des données échangées (ville connectée, usine connectée, mobilité autonome).
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JEAN-ROMAIN LHOMME COFONDATEU­R ET PDG DE SYNAPOS TECHNOLOGI­ES
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JRL LAOREATO SANTONASTA­SI COFONDATEU­R ET DIRECTEUR TECHNIQUE DE SYNAPOS TECHNOLOGI­ES

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