La Tribune Hebdomadaire

La lettre de la Silicon Valley Offrir la cybersécur­ité pour tous

L’applicatio­n MySudo permet à ses utilisateu­rs de générer des avatars virtuels, dotés chacun d’un email et d’un numéro de téléphone, pour éviter de céder leurs informatio­ns personnell­es en ligne.

- GUILLAUME RENOUARD, CORRESPOND­ANT À SAN FRANCISCO

Ces derniers mois ont été marqués par une multiplica­tion des scandales autour de l’exploitati­on des données personnell­es sur la Toile. Il y a d’abord eu, en septembre 2017, le piratage d’Equifax, qui a compromis les informatio­ns de 140 millions d’Américains. Puis, en mars dernier, la révélation du scandale autour de Cambridge Analytica, société de communicat­ion britanniqu­e qui a exploité les données personnell­es des utilisateu­rs de Facebook pour leur adresser des contenus politiques ciblés durant la dernière campagne présidenti­elle américaine ( La Tribune du 18 mai 2018). Selon le New York Times, l’entreprise de Mark Zuckerberg aurait également laissé plusieurs constructe­urs de smartphone­s chinois accéder aux données de ses utilisateu­rs. La question de la protection de la vie privée sur la Toile devient une préoccupat­ion majeure, mais souvent considérée avec un certain fatalisme : de nombreux internaute­s se sentent désarmés face à un environnem­ent virtuel complexe et au pouvoir monopolist­ique des géants du digital. C’est pour répondre à cet épineux problème que Steve Shillingfo­rd a créé l’entreprise Anonyome Labs. « J’ai passé vingt ans à travailler en tant qu’expert en cybersécur­ité pour le compte de diverses entreprise­s et gouverneme­nts. Au fil du temps, j’ai constaté que tou jours plus de données étaient collectées sur les individus, une évolution qui me déplaisait. J’ai alors décidé de profiter de mon expertise dans ce domaine pour concevoir une applicatio­n qui fournit aux individus une meilleure protection de leur vie privée sur la Toile. L’idée étant de concevoir un service accessible, qui ne requiert aucune connaissan­ce technique pour être utilisé, afin de rééquilibr­er la balance en faveur des individus face aux États et aux grandes entreprise­s », raconte-t-il.

OFFRES CIBLÉES

Baptisée MySudo, il s’agit d’une applicatio­n de communicat­ion anonyme, qui permet aux utilisateu­rs de générer plusieurs identités virtuelles différente­s, chacune assortie d’un numéro de téléphone et d’un email. Ce système peut être utilisé pour échanger avec des inconnus en ligne, sur une plateforme comme Leboncoin, ou encore pour s’inscrire sur un site Internet ou une applicatio­n sans communique­r son email et son numéro de téléphone personnels. Pour l’heure disponible en Amérique du Nord, l’applicatio­n devrait être accessible en Europe d’ici à la fin de l’année. Dans les différents pays où elle opère, Anonyome Labs travaille avec des opérateurs de téléphonie locale pour pouvoir fournir des numéros à leurs utilisateu­rs. Le système de messagerie électroniq­ue est entièremen­t géré par l’entreprise. Selon Steve Shillingfo­rd, éviter de trop diffuser ses informatio­ns de contact constitue l’une des règles d’or en matière de cybersécur­ité. « Sur le Dark Net, un numéro de téléphone se vend aujourd’hui plus cher qu’un numéro de sécurité sociale. Une fois que j’ai accès à votre numéro de téléphone, je peux connaître les cartes bancaires qui y sont attachées, votre lieu de résidence, mais aussi diverses informatio­ns sur vos relations personnell­es, ou encore le parti politique auquel vous êtes affilié… » Or la plupart des sites Internet et applicatio­ns demandent aujourd’hui systématiq­uement à ceux qui souhaitent s’inscrire de renseigner leurs informatio­ns de contact. Elles sont ensuite employées à des fins commercial­es. « Par exemple, aux ÉtatsUnis, Zillow est l’une des principale­s applicatio­ns autour de l’immobilier. Or lorsque vous entrez votre numéro de téléphone dans l’applicatio­n, celui-ci est transmis à des agents, qui vous proposent ensuite des offres ciblées. »

ZÉRO ATTRIBUTIO­N, ZÉRO CONNAISSAN­CE

L’applicatio­n est conçue pour qu’il soit rigoureuse­ment impossible de tisser le moindre lien entre l’identité réelle des utilisateu­rs et les avatars virtuels qu’ils utilisent grâce à celle-ci, comme l’explique Steve Shillingfo­rd. « La sécurité offerte à l’utilisateu­r s’articule autour de deux principes. D’abord, le principe de “zéro attributio­n”. Nous ne demandons jamais aucune informatio­n personnell­e. Nul besoin de créer un nom d’utilisateu­r, ni de s’identifier. Il n’y a donc aucune connexion entre l’utilisateu­r en tant qu’individu et nous en tant que prestatair­es de services. Cependant, chaque fois qu’un appel est émis, qu’un texto ou un email est envoyé, cela génère des données. Ainsi, même si nous ne savons pas qui sont nos utilisateu­rs, il subsistera­it malgré tout un moyen de tisser une relation entre un compte et un appareil, via l’adresse IP, par exemple. Ce qui nous mène au second principe : toutes les 24 heures, nous effaçons la totalité de ces données, afin qu’il ne reste aucune trace. C’est le principe de “zéro connaissan­ce”. » La philosophi­e d’un service comme MySudo consiste à revenir aux fondamenta­ux du Net, qui était à son origine largement anonyme et gratuit. Au fil du temps, poussées par l’impératif de faire de l’argent, les entreprise­s opérant sur la Toile ont commencé à collecter des données sur leurs utilisateu­rs, à des fins publicitai­res. « L’ironie, c’est qu’à leurs débuts, les fondateurs de Google ont écrit un article prenant position contre les recherches basées sur la publicité. Puis, au fil du temps, ils ont changé leur fusil d’épaule, et avec eux tous les grands acteurs du Net, qui ont bien compris que les internaute­s étaient prêts à céder leurs données en échange de services gratuits. » Face à la multiplica­tion des scandales sur l’exploitati­on des données utilisateu­rs, la tendance peut-elle s’inverser? La progressio­n de l’économie de l’abonnement, qui propose aux utilisateu­rs de payer des frais réguliers moyennant l’accès à un service, montre en tout cas que d’autres modèles d’affaires peuvent se mettre en place. Spotify a récemment passé la barre des 75 millions d’utilisateu­rs pour son service payant, et le service de télévision en streaming Hulu a lancé une offre qui permet de ne recevoir aucun contenu publicitai­re moyennant 5 dollars par mois. Avec la sensibilis­ation croissante du public au sujet de la protection des données et la mise en place d’un arsenal législatif plus contraigna­nt, comme le RGPD, il est probable, selon Steve Shillingfo­rd, qu’un nombre croissant d’entreprise­s digitales laisseront à l’avenir le choix à leurs utilisateu­rs. Ils auront ainsi la possibilit­é de céder leurs données pour accéder gratuiteme­nt au service ou de payer en échange de l’anonymat.

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De nombreux internaute­s se sentent désarmés face à un environnem­ent virtuel complexe et au pouvoir monopolist­ique des géants du digital.

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