La Tribune Hebdomadaire

Entretien Les projets d’Élisabeth Borne pour les déplacemen­ts du quotidien

En attendant le projet de loi d’orientatio­n des mobilités qui sera présenté d’ici à la fin novembre en Conseil des ministres, Élisabeth Borne a répondu à La Tribune lors de la « Matinale de la FNTP » sur tous les enjeux liés aux transports de demain : mob

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE ET CÉSAR ARMAND @phmabille @Cesarmand

LA TRIBUNE – Les territoire­s sont désormais représenté­s par trois ministres au gouverneme­nt. Est-ce un changement de cap ? Une nouvelle méthode de travail ?

ÉLISABETH BORNE - Ce n’est pas une rupture, c’est une affirmatio­n plus forte. L’intitulé et le périmètre des ministères traduisent la volonté de travailler davantage encore avec les territoire­s, ce que nous faisons déjà. Depuis un an et demi, je travaille avec les élus et leurs associatio­ns, car mon champ de compétence­s est un domaine décentrali­sé. Si nous voulons que nos politiques se mettent en oeuvre, il faut travailler avec eux. Dans ce grand ministère auxquels les transports sont rattachés, la transition écologique et solidaire ne peut se faire que si les élus locaux s’en saisissent et qu’on leur apporte les bons outils.

Vous venez d’annoncer que l’A45, prévue entre Lyon et Saint-Étienne, ne se ferait pas. Ce choix s’inscrit-il dans la continuité de votre discours « on ne peut pas tout financer » ?

La méthode du gouverneme­nt ne consiste à pas tout décider depuis Paris. Le Conseil d’orientatio­n des infrastruc­tures (COI), instance indépendan­te et pluraliste, préconisai­t de travailler de façon privilégié­e sur des alternativ­es à ce projet. Nous l’avons suivi. L’A45 soulève en outre trois paradoxes: c’est une autoroute à péage majoritair­ement financée par des subvention­s, le trafic n’y serait pas assez important et elle doit déboucher sur un contournem­ent ouest de l’agglomérat­ion lyonnaise qui n’est pas prévu à ce jour. Ce projet a aussi un impact important sur les terres agricoles avec des enjeux environnem­entaux. Je suis convaincue que les conditions de déplacemen­t entre Lyon et Saint-Étienne ne sont pas satisfaisa­ntes voire sont insupporta­bles. Pour apporter les réponses les plus efficaces, nous disons « améliorons les infrastruc­tures existantes », routières et ferroviair­es. Avec 20 000 voyageurs par jour, la ligne ferroviair­e actuelle doit être renforcée… Notre décision ne relève en rien d’un enjeu d’économies pour l’État, puisque les 400 millions d’euros prévus seront sanctuaris­és pour investir sur ces alternativ­es.

Quid d’autres grands projets comme le Canal Seine Nord Europe ou la LGV Bordeaux-Toulouse dans les tuyaux depuis parfois plus de dix ans ?

Lorsque je suis arrivée à la tête de ce ministère, il y avait 10 milliards d’euros d’engagement­s de plus que les ressources prévues sur la période. Il fallait arrêter de promettre des choses sans avoir les capacités à tenir les engagement­s. C’est tellement plus facile de dire que chacun doit avoir sa ligne de TGV ou son autoroute, mais il faut sortir de cette logique où l’on promet tout et où on ne fait rien ensuite. Il en va de la crédibilit­é de la parole de l’État! C’est d’abord sur les transports du quotidien que nous devons agir. Dans les grandes métropoles, les gens perdent des heures dans les embouteill­ages ou dans des transports en commun saturés. Dans d’autres territoire­s, la mobilité est souvent vécue comme une injustice, car il n’y a pas de moyens ou bien peu d’alternativ­es à la voiture individuel­le. La priorité absolue aujourd’hui, c’est l’entretien et la régénérati­on des réseaux, et ce afin d’avoir des conditions de circulatio­n meilleures sur nos routes. Nous voulons aussi donner la priorité à la modernisat­ion, à la mise en place de capacités supplément­aires pour le ferroviair­e autour des grandes agglomérat­ions, au désenclave­ment routier de tous les territoire­s de notre pays et à l’accompagne­ment des collectivi­tés en matière de mobilités propres et de transports en commun. Il nous faut aussi favoriser le report modal du fret. Sur les grands projets de liaisons entre métropoles, nous n’y renonçons pas mais nous les inscrivons dans une réalisatio­n progressiv­e, avec des calendrier­s crédibles, avec des ressources pour les transports du quotidien.

Annoncée pour le premier semestre 2018, la loi d’orientatio­n des mobilités (LOM) en est encore à l’étape du Conseil d’État. Quand sera-t-elle présentée au Conseil des ministres ?

Le projet de loi sera présenté d’ici à la fin novembre. Sur les investisse­ments, nous changeons de méthode. Nous ne faisons plus de schémas non datés ou non fixés, mais nous déterminon­s dans la loi une programmat­ion des investisse­ments, avec une trajectoir­e de ressources pour l’Agence de financemen­t des infrastruc­tures de transport de France (AFITF). Nous voulons en effet

investir plus et mieux: 13,4 milliards d’euros sur ce quinquenna­t – 40 % de plus par rapport au précédent – et 14,3 milliards sur le suivant. Nous allons ainsi augmenter de 70 % les investisse­ments sur la régénérati­on du réseau routier national, la catastroph­e de Gênes nous rappelant à quel point il est important d’entretenir et de moderniser les réseaux existants. Dans les dix ans à venir, nous prévoyons également de dépenser 2,6 milliards pour désaturer les noeuds ferroviair­es, 1 milliard pour achever le désenclave­ment routier des villes moyennes et des territoire­s ruraux, 2,3 milliards pour des modes alternatif­s à la route pour le fret et 1,2 milliard pour les mobilités partagées, les transports en commun et le plan vélo. Ces chiffres seront dans la loi. Nous sortons d’une promesse en l’air. Nous disons ce que nous allons faire concrèteme­nt dans ce quinquenna­t et dans le prochain. Pour éviter une catastroph­e comme à Gênes, le Sénat a lancé une mission d’informatio­n sur l’état des ponts. Les travaux s’inséreront-ils dans la loi ? Je me félicite que le Sénat se soit saisi du sujet. Nous ne sommes pas dans la situation de l’Italie : les 12 000 ponts sur le réseau routier national font l’objet d’une surveillan­ce très forte, et leur entretien comme leur régénérati­on sont au coeur de nos priorités. Il y a déjà des inspection­s annuelles et des contrôles plus poussés tous les trois ans. J’ai d’ailleurs publié les diagnostic­s des principaux ouvrages en toute transparen­ce. Au-delà, il faut désormais une vision d’ensemble, aider les collectivi­tés à surveiller leurs ouvrages et les accompagne­r si nécessaire. Nous devons nous assurer que les compétence­s sont là et réfléchir aux modes de financemen­t pour ceux qui le nécessiten­t.

À ce sujet, la vignette poids lourds, annoncée par François de Rugy, n’apparaît pas dans l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État. Où en êtes-vous ?

Une programmat­ion des investisse­ments sincère doit être financée. On ne peut pas dire : « On veut des investisse­ments, mais les ressources, ce n’est pas notre sujet. » Si nous voulons avoir une programmat­ion ambitieuse ; il faut de la visibilité sur la ressource. Il n’y a pas d’urgence car, pour 2019, les 300 millions d’euros supplément­aires prévus seront financés par le budget de l’État. Pour 2020, nous aurons besoin de 500 millions d’euros de ressources nouvelles. S’il n’y a pas de ressource, nous serions forcément amenés à nous interroger sur notre niveau d’ambition. Le Conseil d’orientatio­n des infrastruc­tures a préconisé de mettre en place une fiscalité écologique, fondée sur ce qui a un impact sur l’environnem­ent. Il est donc légitime de se poser la question de la participat­ion des poids lourds, notamment ceux en transit, au financemen­t des infrastruc­tures. Il faut bien sûr prendre en compte les enjeux d’équité des usagers, de compétitiv­ité des territoire­s et des différents secteurs économique­s. Nous devons prendre le temps de discuter et de nous concerter avec les acteurs concernés, c’est la discussion que je mène actuelleme­nt. J’ajoute que nous ne voulons pas refaire l’écotaxe et qu’il n’est pas question de faire payer les automobili­stes.

Les agglomérat­ions de plus de 10 000 habitants pourront d’ailleurs instaurer, si elles le souhaitent, un « tarif de congestion ». Quel est le sens de tels péages urbains ?

C’est un dispositif qui existe déjà dans la loi depuis le Grenelle de l’environnem­ent, mais de façon telle qu’il n’a jamais pu être mis en oeuvre. Avec la LOM, nous allons simplement rendre le dispositif opérationn­el mais aussi nous assurer qu’il reste proportion­né pour les habitants, par un encadremen­t assez précis par exemple en termes de concertati­on ou de plafonneme­nt des tarifs. C’est un outil de plus pour lequel l’État donne le cadre, ce sera aux collectivi­tés locales de décider si elles souhaitent le mettre en oeuvre.

Dans le même temps, le projet de loi de finances (PLF) 2019 supprime le taux réduit de la TICPE sur le gazole non routier (GNR). Les entreprise­s des travaux publics redoutent déjà 500 millions d’euros de pertes l’an prochain. Allez-vous revoir votre copie ?

Nous avons pu entendre parfois que le gouverneme­nt ne s’engageait pas suffisamme­nt sur l’écologie. Cependant, lorsque nous voulons mettre en place une fiscalité plus écologique, nous entendons que ce n’est pas la bonne méthode. Nous assumons ces décisions, à l’échelle de l’ensemble du gouverneme­nt. Nous sommes bien conscients qu’il faille accompagne­r les entreprise­s dans la possibilit­é de répercuter cette hausse afin que les marges ne soient pas « mangées ». Des échanges ont eu lieu entre les représenta­nts du secteur et le cabinet de Bruno Le Maire. Nous allons travailler avec la profession pour trouver la bonne solution.

La révolution numérique s’impose par ailleurs dans la mobilité, que ce soit avec les véhicules autonomes ou l’utilisatio­n des données des voyageurs. Comment comptez-vous réguler ces nouveaux usages ?

Pour réussir la transition écologique et environnem­entale et apporter des solutions de mobilité à tous, les révolution­s de l’innovation et des pratiques plus partagées sont une formidable opportunit­é. Les données permettent de rendre visibles toutes les offres disponible­s. Avec Mounir Mahjoubi, nous venons de mettre en place un comité data pour préparer l’ouverture des données avec tous les acteurs. Nous voulons nous assurer que les startups et entreprise­s françaises, dynamiques en matière de mobilité, travaillen­t ensemble, prennent de l’avance, vendent leurs solutions dans le monde, et ne soient pas marginalis­ées par les grands acteurs du numérique. La LOM va donc accélérer la mise à dispositio­n des données statiques et dynamiques en temps réel. Un volet important du texte vise aussi à développer les services de covoiturag­e, d’autopartag­e, de transports à la demande… et à s’emparer de la révolution du véhicule autonome qui amènera sécurité et nouveaux usages. Demain, avec son smartphone, on pourra avoir une navette autonome à la demande, comme cela est testé en ce moment à Rouen. Ces véhicules pourront enfin servir pour le dernier kilomètre, un défi auquel nous devons répondre si nous voulons sortir de la dépendance à la voiture individuel­le.

Justement, pour réduire la congestion, en quoi pouvez-vous inciter les métropoles à construire des parkings relais aux périphérie­s ?

Le gouverneme­nt ne mène pas une politique anti-voiture et je suis persuadée que dans beaucoup de territoire­s, elle reste la colonne vertébrale de la mobilité. Il faut simplement qu’elle soit plus propre, plus partagée et plus connectée, notamment pour mieux gérer les flux de circulatio­n. C’est pourquoi nous avons renforcé la prime à la conversion pour accompagne­r cette transition. En 2018, 250000 ménages auront bénéficié de ce dispositif, et ce alors que nous avions prévu 500000 primes sur l’ensemble du quinquenna­t. Faire de la mobilité de bout en bout passe aussi par la mise en place de pôles d’échanges. Il faut permettre le stationnem­ent, la venue à vélo, le covoiturag­e… bref accompagne­r les concitoyen­s vers des solutions plus faciles. Le partage des données peut y contribuer, à condition que tous les acteurs y contribuen­t. En ce sens, la LOM vise à favoriser la coopératio­n pour offrir une solution globale.

Le plan vélo a-t-il les moyens de ses ambitions ?

Il est sans précédent. C’est le résultat de plus d’un an de travail avec toute la filière, un plan global qui a pris en compte les freins à lever. Pour développer l’usage du vélo, il faut avoir un itinéraire sans

Notre politique n’est pas anti-voiture, il faut qu’elle soit plus propre, partagée et connectée

obstacle et sécurisé. C’est l’objet du fonds vélo de 350 millions d’euros. Il ne s’agit pas de faire les choses à la place des collectivi­tés – l’État ne va pas se mettre à faire des pistes cyclables, les municipali­tés le font très bien – mais de financer les infrastruc­tures pour franchir les grands obstacles, un périphériq­ue ou une gare par exemple. Il faut aussi améliorer la sécurité routière avec des sas vélo et encourager les déplacemen­ts domiciletr­avail. Les entreprise­s pourront verser un forfait mobilité durable allant jusqu’à 400 euros sans charges fiscales et sociales. Nous voulons enfin lutter contre les vols avec la généralisa­tion du marquage et la mise en place de parkings sécurisés.

Qu’en est-il de la régulation des trottinett­es électrique­s ou des gyropodes avec lesquels les accidents se multiplien­t ?

Leur développem­ent est une très bonne nouvelle, mais nous devons leur donner la possibilit­é de se développer dans un cadre harmonieux. Les piétons sont ceux qui sont le plus gênés par la multiplica­tion de ces nouveaux modes de déplacemen­t. Nous allons ajuster le Code de la route pour interdire les engins électrique­s sur les trottoirs. Les acteurs du free floating doivent aussi être sensibilis­és, responsabi­lisés. Nous permettron­s aux collectivi­tés de définir des cahiers des charges pour que ces nouvelles mobilités se développen­t de manière harmonieus­e.

Malgré le recalibrag­e du calendrier en février dernier, des retards sont déjà annoncés sur le Grand Paris Express, notamment sur les lignes prévues pour les J.O. Comment faire en sorte que tous les trains arrivent à l’heure ?

Le Grand Paris Express (GPE) est un chantier d’une complexité exceptionn­elle. Les travaux souterrain­s sont un défi considérab­le qui demande des compétence­s rares. Il est plus simple de creuser sous la Manche! Arrêtons de laisser croire que tout le GPE sera livré demain. Le calendrier recalé avec le Premier ministre est réaliste. Courir tous les lièvres à la fois faisait prendre le risque qu’aucune ligne n’arrive à la bonne date. Tout est mobilisé pour que les engagement­s de livraison pour les J.O. soient tenus même si, je le rappelle, nous ne le faisons pas pour les J.O. mais pour désaturer un réseau aujourd’hui concentré sur Paris. C’est une opportunit­é de voir Paris en plus grand et cela permettra de développer la petite couronne qui avait été un peu oubliée. C’est un projet de 35 milliards d’euros qu’il faut gérer avec la préoccupat­ion des coûts. Il faut réaliser le GPE en tenant compte de l’impatience, mais aussi en étant réaliste.

Entre la privatisat­ion d’ADP et les aéroports régionaux à rénover, se sont ouvertes les Assises du Transport aérien. Quel est votre calendrier ?

J’ai lancé ces assises sur le thème de la performanc­e collective : environnem­entale, économique et sociale. Elles ont bien avancé. J’ai par exemple annoncé que je souhaitais renforcer les budgets consacrés aux liaisons d’aménagemen­ts du territoire. Dans des villes comme Tarbes, Limoges ou Aurillac, plutôt que de promettre de très grandes infrastruc­tures, qui ne se réaliseron­t pas demain matin, il faut aussi miser sur l’aérien pour mieux connecter ces villes aux métropoles françaises et européenne­s. C’est une dimension qui me tient à coeur. Par ailleurs, la privatisat­ion d’ADP se fera en renforçant le cadre de régulation. En raison des changement­s récents à la direction d’Air France, nous avons souhaité laisser le nouveau dirigeant Ben Smith nous dire sa vision et ses attentes en termes de compétitiv­ité. C’est pourquoi nous prenons un peu plus de temps que prévu. Je l’assume, pour que ces assises soient à la hauteur des enjeux.

 ??  ??
 ??  ?? La ministre assure que les 12 000 ponts du réseau routier français font l’objet d’une étroite surveillan­ce.
La ministre assure que les 12 000 ponts du réseau routier français font l’objet d’une étroite surveillan­ce.
 ??  ?? ÉLISABETH BORNE MINISTRE DES TRANSPORTS
ÉLISABETH BORNE MINISTRE DES TRANSPORTS
 ??  ?? Face à l’augmentati­on des accidents liés aux trottinett­es électrique­s, le gouverneme­nt va interdire tout véhicule motorisé sur les trottoirs.
Face à l’augmentati­on des accidents liés aux trottinett­es électrique­s, le gouverneme­nt va interdire tout véhicule motorisé sur les trottoirs.

Newspapers in French

Newspapers from France