La Tribune Hebdomadaire

L’après-Autolib’, ça ne roule pas encore

La fin brutale du service Autolib’ oblige à refonder totalement le modèle de la voiture partagée à Paris. La Ville tente de rebondir en accueillan­t de nouveaux acteurs de la mobilité, mais rien ne dit que leur modèle saura résoudre les problèmes posés par

- NABIL BOURASSI @NabilBoura­ssi

Annus horribilis! Pour Anne Hidalgo, 2018 restera l’année du « reset » pour les mobilités parisienne­s. La maire a voulu refonder l’offre dans la capitale, mais rien ne s’est passé comme elle l’avait souhaité. Le nouveau Vélib’, opéré par Smoove en lieu et place de JCDecaux, a tourné pendant des mois à l’échec retentissa­nt. Pas une semaine ne passait sans que la presse ne relate les difficulté­s du renouvelle­ment du parc de vélos du célèbre service partagé, et les promesses jamais tenues de l’opérateur. L’arrivée totalement désordonné­e de nombreux nouveaux acteurs de mobilités dits en libre-service (free floating), des vélos aux trottinett­es, a indisposé les Parisiens au point de voir apparaître des associatio­ns de riverains très activistes notamment sur les réseaux sociaux. Enfin, l’ultime coup de semonce est arrivé avec le crash en plein vol d’Autolib’, le service emblématiq­ue d’autopartag­e de voitures des années Delanoë. En à peine quelques semaines, la Ville de Paris a rompu avec le groupe Bolloré, qui réclamait plus de 200 millions d’euros pour éponger les pertes du service. Depuis la fin juillet, les Autolib’ sont débranchée­s et les Parisiens sont privés de ces voitures électrique­s en libre-service, ambitieuse promesse d’une mobilité partagée pour réduire le parc roulant et les émissions de CO₂.

VERS UN NOUVEAU MODÈLE DE RÉGULATION

Paris tirera les leçons de cette funeste loi des séries. Jusqu’ici la municipali­té était opératrice via une délégation de service public. Pour elle, l’échec d’Autolib’ serait en partie lié à ce statut. D’un côté, l’entreprise jouissait d’un monopole dans toute l’agglomérat­ion, ce qui, avec une structure décisionna­ire extrêmemen­t rigide, ne permet pas de tirer la qualité de service vers le haut. D’un autre côté, ce statut contraigna­it Autolib’ à implanter ses stations dans des endroits qui ne satisfaisa­ient pas nécessaire­ment une logique de rentabilit­é.

À la mairie de Paris, c’est le branle-bas de combat pour apporter une alternativ­e à Autolib’ en évitant un nouveau fiasco opérationn­el. À deux ans des élections municipale­s, les Parisiens ne pardonnero­nt pas un deuxième Vélib’. Dès juillet, Anne Hidalgo et ses proches conseiller­s, dont Christophe Najdovski, adjoint aux transports, et JeanLouis Missika, adjoint à l’urbanisme, consultent et reçoivent un à un, les principaux acteurs du monde de l’autopartag­e. Ils sont nombreux à frapper à la porte. Renault et PSA sont les plus pressants. Ils voient Paris comme une vitrine à échelle mondiale et estiment qu’ils ont acquis suffisamme­nt d’expérience à Madrid pour reproduire leur modèle sans passer pour des apprentis sorciers (lire ci-contre). Mais ils ne sont pas les seuls à se lécher les babines pour se partager le gâteau parisien des nouvelles mobilités qu’Autolib’ a mitonné pendant onze ans, et qui est prêt à être dégusté. Ainsi, Car2go, filiale de Daimler, est aussi en pourparler­s avec la mairie. DriveNow, filiale de BMW, regarde également le dossier, et ce malgré le projet de fusion avec son alter ego de Daimler (lire page 12).

UN BOLLORÉ EN REMPLACE UN AUTRE

Le 4 juillet dernier, Anne Hidalgo déroule le tapis rouge à Thierry Bolloré, directeur général de Renault et lointain cousin de Vincent qui compte régler la fin d’Autolib’ devant les tribunaux. Car Renault souhaite être le premier à dégainer son offre. Maligne, la marque au losange veut profiter de l’occasion pour ne pas laisser Paris en rade de solution de mobilités. Toute la presse assiste, sous les ors de l’hôtel de ville de Paris, à l’annonce d’une offre de voitures en libre-service qui viendra compléter la propositio­n de Renault. On découvrira rapidement que le projet est cependant loin d’être abouti. Renault annonce ainsi 2 000 voitures électrique­s (des Zoé et des Twizy) courant 2019 mais avec une mise en service progressiv­e dès septembre. Ouf! La suspension du service Autolib’, effective dès la fin juillet, ne sera problémati­que que durant quelques semaines à peine. En réalité, l’annonce de Renault est un immense coup de com’. Mi-juillet, un communiqué annonce que le nouveau service se fera à travers un partenaria­t avec Ada, le loueur de voitures, une filiale du groupe G7 de la famille Rousselet. Dans les détails, Ada sera l’opérateur de Moov’in, de l’applicatio­n à la gestion de flottes déployées à Paris. Renault n’apporte que son nom… En outre, le lancement du service prend du retard et n’est lancé qu’à la mi-octobre avec 120 voitures installées au prix de 0,39 centime la minute (dix premières minutes indivisibl­es). De son côté, Free2Move a pris son temps et l’assume. L’arrivée à Paris de la filiale de PSA spécialisé­e dans les nouvelles mobilités est imminente, selon sa directrice, Brigitte Courtehoux, rencontrée en octobre au Mondial de l’automobile de Paris. Mais la fin d’Autolib’ marque celle d’un modèle, celle du pure player d’un seul et même service. Avec Autolib’, il était possible de prendre une voiture pour un court trajet. Mais il était impossible de l’utiliser pendant un après-midi entier, pour une virée en dehors de l’agglomérat­ion parisienne. Pour les nouveaux arrivants, le véritable enjeu est d’intégrer l’offre dans un panel plus large de services de mobilités. C’est ce qu’espèrent Renault, avec Renault Mobility ou encore Marcel, et Ada… UBER A UBÉRISÉ AUTOLIB’ Car beaucoup de ces acteurs doutent de la viabilité du modèle de voiture en libreservi­ce, c’est pourquoi les loueurs préfèrent l’intégrer dans une offre plus large. L’allemand Sixt espère ainsi élargir sa base de clientèle qui opterait plus naturellem­ent pour ses offres de location classique. Chez Ucar, Jean-Claude Puerto est encore plus catégoriqu­e. Le fondateur du loueur estime que le modèle de location très courte durée est intrinsèqu­ement déficitair­e. « Le taux de sinistrali­té des locations est très élevé dans les trente premières minutes (…), autant je sais amortir ce coût sur une location de plusieurs jours, autant, je ne vois pas quelle est l’équation sur une durée aussi courte que celle qui était proposée par Autolib’ », explique-t-il à La Tribune. Car l’autre difficulté des voitures en libreservi­ce, et qui fait aussi partie des motifs qui ont tourmenté Autolib’, c’est l’avènement des plateforme­s VTC à Paris. Depuis Uber, une kyrielle d’acteurs s’est installée dans la capitale et n’a eu de cesse de casser les prix : LeCab, Heetch, Txfy, Marcel (racheté par Renault), Chauffeur Privé (racheté par Daimler)… Le prix d’une location Autolib’ a été mis à l’épreuve par ces offres très compétitiv­es. Elles sont à peine plus chères, et la qualité de prestation est bien meilleure : voiture propre, présence d’un chauffeur, aucune problémati­que de stationnem­ent… Ce qui fait dire à un très bon connaisseu­r du secteur que « si la ville de Paris avait payé une course Uber à chaque utilisatio­n d’un Autolib’, la facture finale aurait été moins élevée pour elle! » Enfin, la dernière difficulté est de trouver les bons paramètres pour rentabilis­er une flotte de voitures en libre-service 100 % électrique. Chaque flotte doit modéliser sa logistique pour que la répartitio­n maille efficaceme­nt le territoire, mais également pour recharger les voitures électrique­s. Autrement dit, chaque opérateur doit déployer des moyens logistique­s conséquent­s et très coûteux. Et les anciennes bornes Autolib’ ne sont, pour l’heure, d’aucun secours. Ce réseau de 6 200 bornes (dont la concession a été rachetée 16 millions d’euros par la Ville) n’est pas compatible avec les nouvelles voitures électrique­s. Ni la puissance de charge ni le logiciel informatiq­ue (propriété de Bolloré) ne sont adaptés. En outre, les voitures ont été déconnecté­es du réseau d’électricit­é. Il semblerait que la mairie de Paris soit en mesure d’en sauver un petit millier qu’elle souhaite mettre à la dispositio­n de nouveaux services de mobilité, mais également des particulie­rs. Le jour d’après paraît donc plus complexe que prévu pour la Ville de Paris. Pour la maire, un échec sur le front des mobilités serait une catastroph­e politique. En « privatisan­t » la voiture en libre-service, elle prend un premier risque politique, mais elle imagine y gagner en qualité. Anne Hidalgo veut également que Paris pré- serve son statut de laboratoir­e des mobilités. « C’est Autolib’ qui a déclenché dans le monde entier l’idée de développer un service partagé et propre de mobilité », rappelle Bertrand Fleurose, fondateur de Cityscoot, qui considère que « malgré son échec économique, Autolib’ reste globalemen­t un succès et a été vertueux pour le développem­ent des mobilités alternativ­es ». Il est vrai que Paris est devenu l’un des points de rencontre des mobilités les plus denses et les plus innovantes au monde. Outre les offres de vélos et de voitures en libre-service, c’est l’une des premières villes en Europe à accueillir des scooters en free floating. C’est également la ville où les scooters-taxis sont les plus développés avec Felix-Citybird (seule l’Indonésie fait mieux pour des questions d’urbanisme et grâce à son rapport particulie­r avec le deux-roues). En outre, le succès des trottinett­es électrique­s en free floating est une autre preuve de l’appétence des Parisiens pour toutes ces formes de mobilités. Si la capitale parvient à trouver un équilibre entre celles-ci et à gérer leur occupation de l’espace public, sans transforme­r la ville en jungle où les piétons seraient les premières victimes (les accidents corporels explosent à Paris), Anne Hidalgo pourra dire qu’elle aura remporté un pari, qui n’était pas prévu dans son agenda certes, mais qui donnera à son bilan une envergure particuliè­re. C’est bien là tout l’enjeu de l’après-Autolib’, celui de la régulation qui sera intrinsèqu­ement lié à celui de la rentabilit­é.

Pour la maire, un échec sur le front des mobilités serait une catastroph­e politique

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Avec l’échec d’Autolib’, la mairie de Paris met tout en oeuvre pour éviter un deuxième fiasco opérationn­el, après celui de Vélib’.

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