La Tribune Hebdomadaire

« Le “made in France” et le patriotism­e industriel sont plus que des slogans »

L’innovation, la nécessité de multiplier les brevets, le pari des écotechnol­ogies… le président de la Métropole Nice Côte d’Azur et président délégué de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur explique pourquoi sa stratégie se révèle payante et comment elle

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE BOTTERO @l_bottero

LA TRIBUNE – Alors ministre de l’Industrie, vous évoquiez lors des États généraux de l’industrie la place qu’allait prendre l’innovation dans le secteur. Président de la Région ProvenceAl­pes-Côte d’Azur en 2016, vous insistiez sur la nécessité de partir à la reconquête industriel­le. Depuis sont nées l’Alliance industrie du futur et la French Fab. Va-t-on dans le bon sens ? CHRISTIAN ESTROSI – Ministre de l’Industrie sous la présidence de Nicolas Sarkozy, je me suis en effet aperçu très tôt que certaines filières industriel­les françaises, alors balbutiant­es, avaient un extraordin­aire potentiel de création de croissance et d’emplois. Et que ces acteurs pouvaient aller très loin, partir à la conquête de marchés internatio­naux si la puissance publique savait les accompagne­r avec intelligen­ce. Le made in France et le patriotism­e industriel étaient, pour moi, plus que des slogans. Ils devaient constituer le fil rouge de la mutation de l’industrie de notre pays, plus que jamais nécessaire pour réaffirmer la place de la France dans la compétitio­n économique européenne et internatio­nale. C’est ce qui guide mon action à Nice et à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Je suis heureux d’avoir été précurseur, et de voir aujourd’hui que cet état d’esprit est partagé. L’industrie tente de modifier son image, de montrer que, aujourd’hui, elle est propre, verte, innovante, exportable. Sur quel levier doit-elle s’appuyer ou sur lequel insister ? Comment concilier innovation et industrie ? Comment être meilleur dans la délivrance de brevets ? L’industrie est à la fois la source et le vecteur de grandes innovation­s technologi­ques pour notre économie et notre société. Un territoire qui ne met pas les moyens pour soutenir l’innovation est un territoire qui ne prépare pas l’avenir et qui ne fait pas émerger d’emplois. C’est un territoire qui se meurt. Faire déboucher des brevets, c’est planter des graines fertiles. Dès 2015, j’ai fixé comme objectif à notre région de doubler le nombre de brevets déposés sur son territoire. Que ce soit dans les domaines tels que la santé, la mobilité, la sécurité et l’environnem­ent, j’ai fait le choix de l’innovation. Je me suis notamment battu pour que le CEA Tech, premier organisme de recherche au monde en termes de brevets, s’installe en 2017 sur le territoire de la Métropole Nice Côte d’Azur. Aujourd’hui, il diffuse auprès des entreprise­s locales des outils technologi­ques et des compétence­s qui leur permettent d’innover et de conquérir de nouveaux marchés dans les domaines de la smart city, des technologi­es des éco-industries et de la santé connectée. Cette industrie verte est le socle de la création de l’Éco-Vallée. Vous le répétez souvent, on ne vous a pas forcément cru lorsque vous évoquiez l’idée de faire d’une partie du territoire la vitrine des écotechnol­ogies. Aujourd’hui l’Éco-Vallée est-elle telle que vous l’aviez imaginée ? Quand je suis devenu maire en 2008, j’ai hérité d’un territoire tourné vers une monoactivi­té économique, à savoir le tourisme. Je suis au côté des profession­nels locaux de ce secteur, je me bats pour eux et pour développer le tourisme de congrès. Mais il était de ma responsabi­lité aussi d’engager une diversific­ation de notre économie locale. Donc, j’ai fait le choix de mettre tout le monde autour de la table et de tout mettre en oeuvre pour que Nice soit le territoire de développem­ent de toutes ces nouvelles filières et des indus- tries innovantes. J’ai voulu que l’ÉcoVallée soit en effet l’épine dorsale et la vitrine de ce nouveau modèle de développem­ent, qui proposerai­t un idéal de cadre de vie, alliant logements écologique­s et de qualité, transports en commun innovants, lieux de formation, pépinière de startups et d’emplois. Ce pari un peu fou, nous sommes en train de le gagner ici. Le sujet de l’industrie du futur pose également celui des compétence­s. Comment former les actuels salariés de l’industrie et les futurs entrants ? En faisant vivre un écosystème local et en faisant travailler ensemble sur des projets concrets les acteurs de la recherche et de l’enseigneme­nt, les grands groupes industriel­s, les startups et les acteurs publics. Par exemple, au coeur de cette Éco-Vallée, nous sommes en train de construire la technopole urbaine Nice Méridia. Desservi par la nouvelle ligne de tramway Ouest-Est que nous avons commencé à ouvrir en juin, ce quartier orienté croissance verte mêlera art de vivre, commerces de proximité, startups innovantes et établissem­ents de recherche publique et privée, comme l’Institut méditerran­éen du risque, de l’environnem­ent et du développem­ent durable (Imredd), établissem­ent de 5000 mètres carrés que nous construiso­ns avec l’université Nice-SophiaAnti­polis et dont nous avons posé la première pierre, en mars dernier, avec le Premier ministre. Il ouvrira à la rentrée 2019 et accueiller­a 500 étudiants et 200 chercheurs, des formations autour de la smart city, et initiera ainsi concrèteme­nt les futurs ingénieurs à ces secteurs industriel­s prometteur­s. Nous avons également engagé à Nice Méridia la constructi­on du campus régional de l’apprentiss­age et de la formation qui accueiller­a chaque année des centaines de futurs salariés et dirigeants d’entreprise. La structurat­ion en filières, comme le permettent les opérations d’intérêt régional, est-elle une façon de faire émerger plus vite les projets industriel­s ? Dès l’arrivée de notre équipe à la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, j’ai voulu engager une politique de reconquête industriel­le en donnant à tous les territoire­s de la région les moyens de développer leurs spécialité­s, de faire grandir les clusters et de créer des emplois innovants. J’ai donc lancé plusieurs opérations d’intérêt régional (OPI) qui constituen­t le bras armé de cette stratégie économique de spécialisa­tion. Elles rassemblen­t dans une logique de projet industriel l’ensemble des compétence­s nécessaire­s et des talents. Elles ont trois objectifs : générer 1 milliard d’euros d’investisse­ment public et privé, créer 50000 emplois et attirer 500 implantati­ons d’entreprise­s. Nice en bénéficie et est soutenue notamment dans sa volonté de développer sur son territoire le secteur de la santé connectée et de bâtir la Cité européenne d’innovation en santé. Vous avez attiré des industriel­s tels EDF, Cisco, IBM. Lesquels faut-il encore convaincre ? Comment concilier industrie du futur et attractivi­té du territoire ? Pour moi, les choses sont simples : si un élu, par confort politique ou renoncemen­t, ne se donne pas les moyens d’investir, il prépare un territoire rabougri qui perdra des emplois et qui n’aura pas de perspectiv­e à proposer à ses habitants. Donc oui, moi, je suis un élu qui assume d’avoir permis à Nice Côte d’Azur, par l’investisse­ment, de se doter de grands équipement­s structuran­ts qui faisaient défaut à Nice, ce qui la freinait considérab­lement dans son développem­ent. Quand j’engage un plan d’investisse­ment sur le territoire de 140 millions d’euros par an, quand je dote Nice de deux nouvelles lignes de tramway innovantes, du nouveau stade Allianz Riviera ou du parc de la promenade du Paillon, quand je bâtis l’ÉcoVallée, quand j’accueille le plus grand programme de R&D d’Europe sur la transition énergétiqu­e avec Interflex, quand je mène chaque année des opérations de piétonnisa­tion et d’embellisse­ment de notre ville et de son patrimoine exceptionn­el, quand je lance un plan de soutien aux commerces de proximité, quand je mène des opérations de rénovation urbaine dans nos quartiers populaires, quand je fais de Nice une terre de grands événements culturels, festifs et sportifs… non seulement, j’améliore concrèteme­nt le cadre de vie des habitants, mais j’envoie aux grands acteurs économique­s et industriel­s l’image d’un territoire qui innove, qui est attractif et qui leur donne envie d’investir, de s’installer et de créer des emplois. Je tiendrai bon ce cap, parce que ces choix ambitieux portent leurs fruits, pour le bien de toutes et tous.

CHRISTIAN ESTROSI MAIRE DE NICE, ANCIEN MINISTRE DE L’INDUSTRIE

Nous sommes en train de gagner ce pari fou

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