La Tribune Hebdomadaire

Les pôles de compétitiv­ité comme relais de croissance

Étendard séduisant sur le papier, l’Industrie du futur ne doit pas être une incantatio­n, mais un vrai projet de transforma­tion des entreprise­s, des « business models » et des compétence­s. Pour embarquer PME et PMI ancrées dans les territoire­s, il faut des

- LAURENCE BOTTERO @l_bottero

Les pôles de compétitiv­ité prennent eux aussi le virage de l’industrie 4.0. À l’heure où leur nouvelle feuille de route, version IV depuis leur création en 2005 par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Économie, est attendue, et alors que l’on évoque le regroupeme­nt de certains d’entre eux pour davantage de cohérence, les clusters français n’ont pas attendu pour s’emparer de ce sujet aussi complexe que transverse qu’est l’Industrie du futur. Leur force justement, c’est d’être présents dans les territoire­s. Et pour que l’Industrie du futur soit véritablem­ent perçue comme un virage nécessaire voire incontourn­able, il est utile que la bonne parole soit relayée dans les interstice­s mêmes de ces terres où l’innovation est fertile. Encore faut-il la structurer… Ainsi, lorsque l’Alliance industrie du futur (AIF) voit le jour en 2015, les pôles de compétitiv­ité ne restent pas insensible­s à la démarche. Au contraire, 31 d’entre eux – évidemment intéressés par le sujet, pôles filières ou pôles technologi­ques – forment un groupe pour créer une plateforme commune et s’unir à l’Alliance. Et mettre les mains dans le cambouis en animant le groupe de travail « Projet, plateforme, parrainage » au sein du programme chargé du développem­ent de l’offre technologi­que du futur, qui fait partie des sept missions de l’AIF. C’est elle aussi qui repère les candidats potentiell­ement labellisab­les « vitrine de l’Industrie du futur » et qui participe au recensemen­t comme à la visibilité des entreprise­s porteuses de solutions. Du travail de terrain indispensa­ble dans le projet de transforma­tion de l’industrie.

IRRIGUER LES TERRITOIRE­S

Car le sujet, c’est bien la dimension de proximité qui est l’un des enjeux de l’Industrie du futur auxquels les pôles ont toute compétence pour apporter leur plusvalue. « Notre rôle est de permettre l’acculturat­ion à l’Industrie du futur », dit Jean-Luc Beylat, le président de l’Associatio­n française des pôles de compétitiv­ité (AFPC). « Nous devons utiliser notre présence dans les territoire­s pour aller capter les entreprise­s qui ne pensent pas forcément à leur transforma­tion, alors que c’est un élément clé de l’attractivi­té et de l’internatio­nal », ajoute celui qui

préside aussi le pôle Systematic, basé en Île-de-France et orienté sur les systèmes complexes. Le président de l’AFPC pose ainsi largement la problémati­que centrale de l’Industrie du futur. L’un des défis est donc de convaincre « tous ceux qui n’ont pas encore investi dans les nouveaux outils et qui enregistre­nt une perte de valeur ajoutée et de compétitiv­ité ». Vaste champ d’interventi­on, qui s’étend d’ailleurs bien au-delà des seuls membres des pôles et qui vise aussi à évangélise­r les entreprise­s qui ne sont pas incluses dans ces démarches. « Les pôles essaient d’embarquer vers l’Industrie du futur les entreprise­s qui ne sont pas forcément membres des pôles », insiste JeanLuc Beylat. L’essentiel étant de ne pas laisser de trous dans la raquette. C’est-à-dire des PME et PMI sur le bord de la route. Pour engager cette dynamique d’entraîneme­nt, il faut du concret. Encore une fois, tous n’ont pas attendu l’émergence de l’Industrie du futur pour s’engager dans une démarche de montée en puissance des entreprise­s. C’est le cas, par exemple, d’EMC2, pôle axé sur l’advanced manufactur­ing [la fabricatio­n de pointe, ndlr] dans les Pays de la Loire, qui encourage ses membres à se tourner vers l’internatio­nal depuis le début des années 2010. « Nous travaillon­s sur l’Industrie du futur depuis plusieurs années », confirme Laurent Manach, le directeur du pôle, qui ajoute qu’« [ils ont] beaucoup expériment­é ».

L’UNION FAIT LA FORCE

Une expériment­ation qui a permis de dessiner une stratégie et d’établir, par exemple, un réseau de partenaire­s dans différents endroits du globe, en Europe mais aussi à l’internatio­nal. Cependant, pour éviter la dispersion inefficace, trois destinatio­ns stratégiqu­es ont été choisies, à savoir le Japon, Montréal et Seattle. « Sur ces trois zones nous avons tissé des relations intenses », affirme Laurent Manach, le but étant de créer des opportunit­és pour les entreprise­s françaises. Avec le pôle Véhicule du futur, BourgogneF­rance-Comté et Grand Est ont contribué à la création d’une plateforme baptisée « 4iTEC 4.0 », qui regroupe l’ensemble des forces académique­s, technologi­ques et industriel­les. L’Auvergne-Rhône-Alpes est aussi à la pointe sur le sujet, plusieurs pôles et clusters s’étant réunis pour partager leurs compétence­s et nourrir les transversa­lités. Axelera, Minalogic, Plastipoli­s, ViaMéca, Mont-Blanc Industries, Imaginov, Techtera, Tenerrdis ont fait force commune pour travailler sur plusieurs projets. En mars dernier, le faire-part de naissance d’Auvergne-Rhône-Alpes Industrie 4.0 est la preuve que l’union est indispensa­ble pour s’engager dans l’Industrie du futur. Car ce nouveau-né est issu de la fusion entre le pôle Mont-Blanc Industries et le cluster Auvergne Efficience Industriel­le, après trois ans de collaborat­ion et la démonstrat­ion de la complément­arité sur l’intégratio­n du big data, de la smart metrology et de la numérisati­on dans l’industrie d’usinage de haute précision. Prochaine étape : nouer la même alliance stratégiqu­e avec le pôle ViaMéca, spécialisé dans les systèmes mécaniques intelligen­ts. Le but est d’atteindre la taille critique. Comme pour une entreprise, si les pôles se rapprochen­t et créent des alliances, c’est parce qu’il s’agit de présenter une taille suffisamme­nt importante pour peser, sans oublier l’indispensa­ble agilité. Le tout étant aussi une question d’attractivi­té du territoire et donc des compétence­s. C’est ce que dit Georges Falessi, le directeur général de Solutions Communican­tes Sécurisées, pôle qui est chargé, entre autres, d’IoT4Indust­ry. Financé à hauteur de 5 millions d’euros par la Commission européenne, ce projet vise à mettre en oeuvre des démonstrat­eurs grandeur nature mêlant intelligen­ce artificiel­le, big data, cybersécur­ité et, évidemment, Internet des objets (IoT). Alors que les lauréats de la première salve d’appels à projets seront connus d’ici à la fin de l’année, Georges Falessi annonce qu’un deuxième appel à projets sera lancé en 2019 et que les thématique­s concernées vont s’élargir. « Nous avons des projets différents, qui intègrent la maintenanc­e, la supply chain, l’agrifood… Avec cela, le pôle va acquérir une connaissan­ce phénoménal­e qui permettra de positionne­r la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en France, mais aussi à l’internatio­nal. »

ET DEMAIN ?

Si donc tous les pôles sont tournés vers l’Industrie du futur, la phase IV qui les attend devrait renforcer leur rôle. C’est en tout cas leur souhait. Au point de l’avoir écrit noir sur blanc, cosignant un paragraphe commun dans leur réponse sur la phase IV. Cela correspond, par ailleurs, aux recommanda­tions de l’Institut Montaigne, qui suggère de s’appuyer sur les pôles de compétitiv­ité pour donner corps aux centres d’accélérati­on de l’Industrie du futur. Sur le sujet, les 31 pôles engagés ont quelques idées sur ce qu’ils peuvent apporter. Notamment pousser à la transforma­tion des PME et PMI en traduisant les besoins en technologi­es labellisée­s « Industrie du futur », en faisant du benchmarki­ng sur ce qui se passe ailleurs, à l’internatio­nal s’entend, en incitant aux bonnes pratiques, en étant dans l’évangélisa­tion de ce qu’est l’Industrie du futur et en familiaris­ant les plus récalcitra­nts ou les moins informés sur la plus-value apportée. C’est aussi dans le développem­ent de l’innovation que les pôles ont une carte à jouer en poussant véritablem­ent les solutions technologi­ques du futur adoptées par les uns vers les autres. Autrement dit, casser le cloisonnem­ent en silo pour favoriser l’essaimage en horizontal. Enfin, il ne faudrait pas oublier la dimension RH de l’Industrie du futur, celle qui doit accompagne­r l’évolution des compétence­s en interne. Sujet ô combien sensible pour les petites et moyennes entreprise­s, mais sujet prégnant où les pôles assurent pouvoir être la courroie de transmissi­on des formations existantes mais être aussi les vigies des besoins qui ne manqueront pas d’émerger. Pour le coup, l’implicatio­n dans le groupe de travail « Homme et Industrie du futur » de l’AIF prend tout son sens. Mais toutes ces initiative­s positives ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Georges Falessi pointe notamment les problémati­ques de financemen­t des PME qui souhaitera­ient implémente­r des solutions en interne avec, sous-jacente, la question de la formation et du retour sur investisse­ment. « La capacité à soutenir les industriel­s est fondamenta­le », tient à souligner le DG du pôle SCS en évoquant l’initiative de l’Italie qui a mis en place un crédit d’impôt pour aider à la digitalisa­tion industriel­le. Ancien vice-président du pôle de compétitiv­ité Advancity, orienté smart city et qui a fusionné avec Cap Digital en mai dernier, André Durbec, conseiller du commerce extérieur de la France, porte la volonté de l’associatio­n d’être impliquée dans la gouvernanc­e des pôles sur le volet internatio­nalisation, avec la présence « d’un permanent qui puisse aider concrèteme­nt les entreprise­s à aller à l’internatio­nal en distillant les informatio­ns sur la diplomatie économique, les risques, les opportunit­és ». La création des centres d’accélérati­on du numérique voulue par le gouverneme­nt est « positive », selon Laurent Manach, mais le directeur d’EMC2 prévient aussi que cela doit correspond­re « à de vraies démarches ». Pas question de faire un « machin » de plus. « L’implicatio­n dans les territoire­s où il n’y a pas d’appétence pour l’innovation, c’est là l’enjeu des pôles de compétitiv­ité », assure Jean-Luc Beylat.

L’implicatio­n là où il n’y a pas d’appétence pour l’innovation, c’est là tout l’enjeu

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Minalogic, spécialisé dans les technologi­es du numérique, fait déjà force commune avec d’autres pôles de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

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