La Tribune Hebdomadaire

« Il faut réenchante­r l’industrie »

Député La République en marche de la 6e circonscri­ption du Rhône, le Lyonnais Bruno Bonnell est une figure dans le monde de la robotique. Multi-entreprene­ur, ce passionné de jeux vidéo, créateur du fonds d’investisse­ment Robolution, s’est vu confier une m

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE NORMAND @gregoireno­rmand

LA TRIBUNE - Quelles sont les raisons du retard de la France en matière de robotisati­on ?

BRUNO BONNELL – Le problème principal de la France, ce n’est pas le retard en robotique. C’est la désindustr­ialisation. Nous avons connu depuis vingt-cinq ans une chute vertigineu­se du nombre d’usines. Notre industrie manufactur­ière s’est littéralem­ent écroulée. Les besoins d’investisse­ment dans l’industrie manufactur­ière sont partis avec. C’est cela qui explique que le nombre de robots dans des zones comme l’Italie du Nord ou l’Allemagne est considérab­lement plus important qu’en France.

Comment expliquez-vous cette désindustr­ialisation ?

Nous avons une transforma­tion structurel­le de la consommati­on. La France est passée d’une économie de rattrapage, qui était une économie de la demande, à une économie de l’offre et de l’innovation. Cette transforma­tion a été très mal anticipée sur le territoire français. On a voulu rattraper le temps en baissant les marges pour essayer de vendre coûte que coûte. Avec la baisse des marges, les capacités d’investisse­ment ont été limitées. Les entreprise­s se sont retrouvées affaiblies face à des enjeux stratégiqu­es, à savoir la transforma­tion de l’économie, et les usines ont fermé les unes après les autres. Les entreprise­s ont essayé d’optimiser leurs marges par la délocalisa­tion. Du côté de l’emploi, la France a eu une attitude relativeme­nt conservatr­ice pendant très longtemps. On a opposé pendant des années l’automatisa­tion et l’emploi en donnant une priorité à l’emploi. Les gouverneme­nts ont voulu soutenir l’emploi à coups de subvention­s et de niches fiscales. La France ne s’est pas attaquée au coeur du problème en faisant comprendre à l’opinion que l’automatisa­tion et les robots pouvaient créer de l’emploi. L’industrie française a aussi longtemps souffert d’un manque de compétitiv­ité. Les marges de manoeuvre étaient limitées. Les investisse­ments se sont orientés hors de l’industrie, dans le secteur financier par exemple ou dans le virtuel et le software. Ce qui a abouti à la grande épopée des startups.

Les robots représente­nt-ils vraiment une opportunit­é pour l’industrie française ?

Les technologi­es robotiques ont considérab­lement évolué au cours des vingt dernières années. La première phase correspond­ait à un moment où on optimisait les processus humains par l’automatisa­tion. Dans une seconde phase, la robotique transforme les processus industriel­s. Cette période laisse la place à des robots plus intelligen­ts et plus sophistiqu­és.

Vous proposez de créer un suramortis­sement robotique. En quoi consistera­it-il ?

Il faut encourager les entreprise­s à investir dans de nouvelles méthodes de travail et de nouveaux systèmes de production. Ce nouveau dispositif fiscal vise à donner un coup de projecteur sur la nécessité d’investir dans la robotique à usage industriel et manufactur­ier. Nous voulons montrer aux entreprise­s que l’État les encourage, quand elles ont un choix d’investisse­ment à faire, à en étudier les conséquenc­es économique­s. Le fait de ne pas avoir à amortir des investisse­ments considérab­les comme l’ont fait les Allemands et les Italiens, cela va permettre à la France d’inventer de nouveaux process de production plus modernes et de gagner en compétitiv­ité par rapport aux méthodes traditionn­elles de robotique. Je suis déçu qu’on n’ait pas vu ça au cours des trente dernières années, mais je suis très optimiste étant donné l’accélérati­on dans les nouveaux processus qu’on constate aujourd’hui. Il y a un nombre considérab­le d’entreprise­s qui se robotisent avec des robots de seconde génération. C’est pour moi une bonne nouvelle par rapport aux robots traditionn­els.

Comment cela fonctionne­ra-t-il ?

J’ai présenté dans le projet de loi de finances 2019 un amendement qui permettrai­t aux entreprise­s de déduire de leur résultat 40 % des investisse­ments destinés aux robots industriel­s. Le vrai problème, c’est que l’offre pour intégrer ces nouveaux outils est très insuffisan­te. Il existe environ 450 intégrateu­rs aujourd’hui, 70 % ont moins de cinq salariés. Ces entreprise­s ont souvent des carnets de commandes remplis sur les douze prochains mois. Les chefs d’entreprise ont donc beaucoup de difficulté­s à trouver des sociétés qui puissent mettre en place les robots sur les chaînes de fabricatio­n. Il y a un très grand enjeu de formation sur ces problémati­ques d’intégratio­n. La clé du succès, c’est de ne pas perdre l’avance alors que l’on est prêt à investir et qu’on a les moyens mais pas

les hommes à mettre en place sur les chaînes. Il faut aider ces boîtes d’intégratio­n à grandir afin d’installer des processus et d’améliorer la qualité.

Le gouverneme­nt a annoncé une enveloppe de 500 millions d’euros pour accompagne­r la transforma­tion des entreprise­s vers l’industrie du futur. Pensez-vous que c’est suffisant ?

Le rôle du gouverneme­nt est d’encadrer, de stimuler et de jouer sur les effets de levier des entreprise­s elles-mêmes. Il faut sortir du schéma où le plan est la solution du renouveau industriel de la France. La solution du renouveau industriel, ce sont les PME et les ETI. En fonction des stimulatio­ns, des budgets pour des études, les entreprise­s doivent à leur tour prendre des décisions d’investisse­ment et s’émanciper de cette tutelle. Il faut laisser aux entreprise­s le temps de trouver les moyens de leur transforma­tion. Dans le cadre de mon rapport sur la robotique, j’ai interrogé une centaine d’entreprise­s, et, dans le cadre de ma mission sur les territoire­s et l’industrie, j’aurai rencontré environ 150 PME. Elles me répondent souvent qu’elles n’ont besoin de rien d’autre que d’être accompagné­es fiscalemen­t, mais elles demandent qu’on les laisse faire.

Quelle est votre vision sur les filières d’avenir dans le domaine de l’industrie ?

Je défends des filières transversa­les plutôt que des filières sectoriell­es. Plutôt que de raisonner en filière de secteur industriel, je préfère raisonner en termes de filière d’infrastruc­ture industriel­le comme le numérique, la robotique, l’énergie.

Quels sont les leviers qui pourraient permettre un meilleur déploiemen­t de l’industrie du futur ?

Le levier essentiel est celui de la formation. Il faut inciter à la certificat­ion aux nouvelles technologi­es et pas forcément au diplôme. Si quelqu’un veut faire un BTS robotique sur un territoire, il est obligé de passer par les université­s et d’entrer dans un processus de documentat­ion qui prend un certain temps. À la fin, la personne aura bien un diplôme d’État mais elle aura probableme­nt perdu deux à trois ans à cause de la mise en place du dossier. Il est plus simple de mettre en place des centres de certificat­ion profession­nelle pour répondre plus rapidement aux besoins des entreprise­s. Cela permettra à des jeunes d’entrer dans des filières de robotique plus facilement. Le second levier, c’est qu’il faut réenchante­r l’industrie. Il faut redonner aux jeunes un intérêt pour ces métiers qui ont une image extrêmemen­t dégradée. Aujourd’hui, les défis dans l’industrie sont aussi intéressan­ts que dans les jeux vidéo ou dans la conception d’un site Web. L’une des missions de l’industrie du futur est de penser le futur de l’industrie.

Le Premier ministre, Édouard Philippe, vous a confié en septembre dernier une mission « Territoire et industrie ». En quoi consiste ce travail et quel est votre rôle ?

Le premier objectif est d’identifier les territoire­s français dans lesquels on a des champions. Ce sont des territoire­s où l’écosystème a simplement besoin d’être repéré et qui demandent qu’on y canalise les énergies de l’État et de la région. Le deuxième aspect est de faire un état des lieux des moyens dont on dispose aujourd’hui. Le troisième objectif est de définir une méthodolog­ie pour accompagne­r les territoire­s pour qu’ils puissent stimuler le développem­ent industriel en région. Cette méthodolog­ie doit passer par des analyses. Pourquoi les gens ont du mal à recruter en régions ? On a des vrais problèmes d’écosystème­s. Il faut que les gens trouvent des logements. Cela va permettre d’attirer des population­s issues des métropoles vers des villes industriel­les, entre 30 000 et 50 000 habitants, qui sont capables d’apporter une qualité de vie à ces gens-là. On veut donner aux territoire­s des outils de promotion, de valorisati­on de leur qualité de vie, voire, dans certains cas, de réflexion sur le logement.

Malgré la forte désindustr­ialisation en France, vous paraissez optimiste.

J’ai toutes les raisons de l’être. Je vois qu’il y a un déficit dans l’industrie de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers d’emplois dans tous les territoire­s que je visite. Je rencontre beaucoup de chefs d’entreprise qui sont prêts à embaucher. Je constate une dynamique des PME en France. Dans cette économie de l’innovation, l’imaginatio­n et la créativité des entreprise­s s’expriment. La France a cette qualité de capacité d’innovation que l’on reconnaît déjà dans l’écosystème des startups et qui s’applique tous les jours à l’industrie. Les entreprise­s veulent parfois relocalise­r leur activité en raison de l’empreinte carbone élevée des produits qui viennent de très loin. Les donneurs d’ordre et les consommate­urs demandent davantage à connaître l’empreinte carbone des produits. Si les produits proviennen­t de très loin, de Chine par exemple, même s’ils sont économique­ment intéressan­ts, les consommate­urs peuvent considérer que l’empreinte carbone est une composante déterminan­te dans leur choix d’achat.

La robotique transforme les processus industriel­s. Cette période laisse la place à des robots plus intelligen­ts

Le levier essentiel est celui de la formation

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En opposant pendant des années robotisati­on et emploi, la France a eu trop longtemps une attitude conservatr­ice, déplore le député du Rhône.

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