La Tribune Hebdomadaire

l’heure de la mobilisati­on a sonné

Pour enclencher la réindustri­alisation de l’économie française, le gouverneme­nt tente de convaincre les entreprise­s, notamment les PME-PMI, très en retard, d’investir dans la robotique et les outils numériques. Si de nombreux leviers existent, la transfor

- GRÉGOIRE NORMAND @gregoireno­rmand

L’ industrie française va-t-elle enfin connaître un nouveau souffle ? À chaque changement de majorité, les gouverneme­nts se montrent offensifs pour tenter d’enrayer le déclin industriel du pays, qui n’a cessé de perdre des usines et des emplois depuis 2000. Lors du dernier remaniemen­t, le 16 octobre dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a insisté sur « l’importance de croire dans l’industrie du futur. Vouloir faire de la France la première nation en Europe en matière de nouvelles technologi­es, ça n’exclut pas de se battre pour chaque emploi industriel sur le territoire. Nous nous battons pour les emplois qui existent, et nous préparons en même temps l’industrie du futur. » Pour accomplir cette double tâche, la nouvelle secrétaire d’État, Agnès Pannier-Runacher, a reçu comme « mission principale », « la reconquête industriel­le ». Ex-numéro deux du groupe Compagnie des Alpes, cette diplômée de Sciences Po, de HEC et de l’ENA vient remplacer celle qui n’aura même pas passé un an à Bercy, Delphine Gény-Stephann. Premier dossier sur sa table de travail : sauver Ascoval, le spécialist­e des aciers spéciaux, en difficulté avec son principal client et actionnair­e, Vallourec. En dépit de ces ambitions affichées, la place donnée à l’industrie au sein du gouverneme­nt reste très relative. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de l’État, aucun ministre ni secrétaire d’État n’a obtenu de portefeuil­le spécifique pour ce secteur. Ce qui est une première depuis 1886, sous la IIIe République, et la nomination d’Édouard Simon en tant que ministre du Commerce et de l’Industrie. L’entourage du ministre assure tout de même que « Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, prépare et met en oeuvre la politique du gouverneme­nt en matière économique, financière ainsi qu’en matière d’industrie ». Le dernier titulaire du portefeuil­le, sous la présidence de François Hollande, était le secrétaire d’État Christophe Sirurgue, parti en mai 2017. Ce changement de stratégie, mettant en première ligne le ministre de l’Économie lui-même, est une véritable rupture dans les politiques publiques destinées à soutenir l’industrie. La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transforma­tion de l’économie) qui vient d’être votée par les députés a pour objectif de faire grandir nos PME-PMI et, au minimum, de doubler le nombre des entreprise­s de taille intermédia­ire pour rattraper l’Italie ou l’Allemagne. Pour autant, le défi à relever pour le gouverneme­nt d’Édouard Philippe reste immense.

LE POIDS DE L’INDUSTRIE EST PASSÉ DE 29 % À 17 % DU PIB

Le mouvement de désindustr­ialisation en France est loin d’être un phénomène récent et isolé. Le poids de l’industrie dans le PIB français décline depuis plusieurs décennies. Selon la Banque mondiale, il est passé de 29 % dans les années soixante à 17 % en 2017. Et la crise de 2008 a plongé le secteur dans le marasme. « En 2009, on était au plus fort de la crise et des usines ont fermé dans de très nombreux secteurs, notamment dans l’automobile », rappelle David Cousquer, le gérant du cabinet Trendeo, qui suit de près la démographi­e de la France manufactur­ière. Certes, cette année, le nombre de sites qui se créent reste légèrement supérieur à celui de ceux qui disparaiss­ent, relève-t-il. Mais, malgré un léger rebond de la production, l’industrie manufactur­ière, qui compte encore 2,8 millions de salariés, est loin d’être sauvée. En 2017, le secteur avait recréé des emplois pour la première fois depuis 2000: 5 400 postes, selon l’Insee. Depuis, le balancier est reparti en sens inverse, et l’industrie a détruit 2600 emplois au premier semestre.

À l’échelle européenne, ce mouvement de désindustr­ialisation est également visible au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne. Seule l’Allemagne maintient un niveau relativeme­nt élevé avec une industrie qui pèse encore 27 % dans la valeur ajoutée outre-Rhin. Par ailleurs, de nombreux pays d’Europe de l’Est ont profité des délocalisa­tions. En effet, la Bavière, poids lourd de l’industrie allemande, a tissé de nombreux liens commerciau­x avec la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque. Si la France est parfois accusée d’avoir abandonné son industrie – on se souvient du slogan meurtrier « L’entreprise sans usine » de l’ancien patron d’Alcatel, Pierre Suard –, plusieurs éléments peuvent expliquer cette hémorragie. Pour la chercheuse à l’Institut français de géopolitiq­ue Anaïs Voy-Gillis, l’ouverture des économies émergentes a joué un rôle décisif : elle «a permis aux entreprise­s françaises et aux entreprise­s occidental­es de manière générale de s’implanter dans des pays où les coûts de fabricatio­n étaient moins chers ». Elle note également « un désintérêt pour la question industriel­le, notamment au Royaume-Uni sous Margaret Thatcher, qui a décidé de se tourner vers une économie de services. Ce qui n’a pas été le chemin pris par l’Allemagne. L’Allemagne se voit comme un site de production et a oeuvré pour préserver son industrie. La France n’a pas pris position pour une économie spécifique. Au final, c’est le modèle d’une entreprise sans usine qui l’a emporté. » Les entreprise­s ont également leur part de responsabi­lité. « Il y a eu du sous-investisse­ment dans l’outil de production, des erreurs stratégiqu­es. Il n’y a pas toujours eu un soutien du système bancaire, contrairem­ent à ce qui s’est passé dans d’autres pays. Il s’est montré frileux par méconnaiss­ance du terrain. Des syndicats n’ont pas toujours joué en faveur des transforma­tions qui devaient être opérées », rappelle celle qui travaille sur les enjeux de la réindustri­alisation de la France. La perte de compétitiv­ité prix et hors prix est également un facteur régulièrem­ent avancé par les économiste­s. Dans une note récente, le responsabl­e de la recherche économique chez Natixis, Patrick Artus, expliquait d’ailleurs que « la remontée du coût salarial unitaire de l’industrie manufactur­ière depuis la fin de 2017 est une mauvaise nouvelle ». Le choix des consommate­urs peut également se faire au détriment de l’industrie made in France. Pendant longtemps, les clients « ont préféré consommer à bas coût sans se préoccuper de l’origine des produits », résume Anaïs Voy-Gillis.

ROBOTISATI­ON : LA FRANCE EN RETARD

Bien que la désindustr­ialisation fonctionne à plein régime dans quelques grands pays européens, la place des robots dans l’industrie mondiale prend de l’ampleur. Selon les dernières prévisions de la fédération internatio­nale de robotique, le nombre de robots industriel­s dans le monde d’ici à 2020 s’élèverait à 5,5 millions contre 1,2 million en 2010. Dans cette course internatio­nale aux robots, la France accuse un sérieux retard. D’après le classement établi au mois d’octobre dernier par l’organisati­on, l’économie tricolore se classe à la 18e place avec 157 robots pour 10 000 employés, très loin derrière la Corée du Sud, première du classement avec 710 robots pour 10000 ou encore l’Allemagne (322 pour 10000). Si l’industrie française présente une densité plus importante que la moyenne mondiale (85 pour 10 000), elle est bien à la traîne par rapport à ses voisins européens. La Suède (240 pour 10000), le Danemark (230 pour 10 000), l’Italie (190 pour 10 000) ou l’Espagne (157 pour 10 000) présentent des densités bien supérieure­s. Pour l’associatio­n spécialisé­e dans la robotique, la France pourrait rattraper en partie son retard. Les experts prévoient que le nombre d’installati­ons pourrait augmenter en moyenne entre 5 % et 10 % entre 2018 et 2020.

Il y a eu du sous-investisse­ment dans l’outil de production

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Une robotisati­on plus poussée permettrai­t des gains sur les coûts de fabricatio­n de l’ordre de 10 à 20 % hors matières premières. Ici, l’usine Renault de Dieppe (Seine-Maritime).

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