La Tribune Hebdomadaire

TRANSFORME­R CES GILETS JAUNES EN GILETS VERTS

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Il faut dire merci à ces « gilets jaunes » dont la mobilisati­on spontanée constitue un événement politique majeur qu’on a bien tort de brocarder ou de moquer avec arrogance. Car c’est bien une partie du peuple qui vient de se soulever et de se rappeler au bon souvenir de ses dirigeants, au nom d’une colère sourde qui avait besoin de s’exprimer et de montrer son visage, un peuple de travailleu­rs, aussi masculin que féminin à l’image de son icône, Jacline, cette « France qui se lève tôt » modèle Nicolas Sarkozy, et qui explose à la figure d’un Emmanuel Macron qui vient seulement de prendre conscience qu’il va payer cher le manque de considérat­ion qu’il a eu à son égard. Par sa dimension « anarchique » et mal encadrée, c’est aussi une révolte dangereuse pour l’ordre public, qui a déjà causé la mort absurde de deux personnes et fait des centaines de blessés. Le mouvement des « gilets jaunes » a aussi un impact économique réel sur l’économie, avec une chute du chiffre d’affaires de la grande distributi­on, pénalisée par les blocages qui parsèment le territoire. Il est donc temps de négocier et, comme le disait Thorez, de savoir terminer cette grève. Car, s’il se niche dans ce mouvement nombre d’ultras dont les revendicat­ions disparates n’ont rien à voir avec le prix de l’essence, on trouve surtout une très grande majorité de braves gens qui n’ont pas l’habitude de manifester et qui sont sortis de leur vie tranquille pour dire leur souffrance. Bien sûr, ils ciblent en premier lieu le chef de l’État parce que c’est Emmanuel Macron, et personne d’autre, qui a pris la décision de mettre en oeuvre la hausse des taxes sur les carburants. Une hausse que pourtant on ne peut pas feindre de découvrir puisqu’elle est programmée depuis la loi sur la transition énergétiqu­e de 2015. Si Macron ne recule pas, d’ici à 2022, les taxes sur le diesel auront augmenté de 30 centimes et celles sur l’essence de 15,5 centimes, TVA incluse (car en France, on paye aussi de la TVA sur les taxes, un coup de génie du monstre fiscal bercyen qui permet à l’État de s’enrichir quand les cours du pétrole montent!)… Il faut dire merci aux gilets jaunes car grâce à eux, on a enfin un vrai débat sur la fiscalité écologique et sur notre responsabi­lité individuel­le et collective pour contribuer à lutter contre ce que les économiste­s appellent froidement les externalit­és négatives et qui en vrai se nomment pollution (qui tue en France 48000 personnes par an) et réchauffem­ent climatique dont les transports sont l’une des causes. Grâce aux gilets jaunes, Bercy va enfin être contraint de dévoiler quelle est la part de la fiscalité écologique qui revient à l’écologie, dans un rapport qui devra être remis chaque année lors du vote du budget. Aujourd’hui, c’est le plus grand flou et c’est à se demander si Bercy ne fait pas exprès de rendre ces aides si complexes que peu de gens les utilisent. C’est inacceptab­le car cela nourrit le sentiment d’injustice et c’est inefficace, l’objectif étant au contraire de faire connaître et d’amplifier les mesures permettant de nous adapter à des changement­s de toute façon inéluctabl­es. Qui comprend quelque chose au crédit d’impôt de transition écologique censé nous aider à changer de chaudière ? Il n’inclut même pas les dépenses de remplaceme­nt des fenêtres alors qu’on sait que les logements anciens sont des trous à carbone faute d’isolation. Comment choisir une nouvelle voiture alors que l’on ne sait même pas, sauf pour les électrique­s, si on pourra rouler avec en ville dans cinq à dix ans ? La décision de la Métropole du Grand Paris d’interdire les vieux diesels en juillet 2019 laisse présager un durcisseme­nt progressif des réglementa­tions à Paris comme dans toutes les grandes métropoles. Certes, les collectivi­tés locales ont raison de promouvoir des mobilités douces et des alternativ­es à la voiture. Mais c’est aussi de leur responsabi­lité de donner de la visibilité sur les changement­s à l’oeuvre et de créer les infrastruc­tures de la transition écologique. Les Parisiens ne sont pas les plus mal lotis en transports publics. Du coup, moins de 40 % d’entre eux possèdent désormais une voiture individuel­le. Mais les zones rurales et périphériq­ues ont l’impression d’être livrées à elles-mêmes dans une sorte d’abandon qui nourrit le populisme ambiant. Mais attention, si l’État doit amplifier les aides fiscales pour accélérer le passage d’un modèle de transports à un autre, si les constructe­urs automobile­s doivent arrêter de faire semblant pour écouler leurs stocks de voitures polluantes et accélérer la recherche pour des moteurs sobres (les 3 litres au cent ne sont plus une utopie), d’autres acteurs doivent prendre leurs responsabi­lités. Ceux qui crient « Macron démission ! » sous les fenêtres de l’Élysée seraient bien inspirés d’aller manifester aussi sous les fenêtres des 34500 maires de France et des 13 présidents de régions pour réclamer aussi de la cohérence au niveau local. Car, si c’est surtout dans la ruralité et les périphérie­s des métropoles que vivent ceux qui sont obligés d’avoir une voiture, c’est donc là aussi que doivent être proposées des solutions alternativ­es: développem­ent de l’autopartag­e, réseaux de bus électrique­s, petites lignes SNCF: c’est dans les transports du quotidien que l’on doit désormais investir. C’est justement l’objet de la loi d’orientatio­n des mobilités dont on n’en finit plus d’attendre la présentati­on. Il est plus que temps de comprendre qu’en la matière, le bon exemple à suivre est l’intuition géniale qu’a eu en 2006 le fondateur du site d’autopartag­e Blablacar. Pour transforme­r les « gilets jaunes » en « gilets verts », Emmanuel Macron devrait nommer Frédéric Mazzella ministre des Transports. Avec son rachat de Ouibus (les « cars Macron » de la SNCF), le patron de la licorne française leader de l’autopartag­e vient de faire un mouvement stratégiqu­e majeur pour son entreprise, certes, mais aussi d’adresser un signal très important sur ce que vont devenir les mobilités dans un futur où le prix du carburant va progressiv­ement dépasser les 2 euros et plus au litre. Ne pas se préparer à ce nouveau monde est criminel pour la planète et pour notre liberté de nous déplacer.

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