La Tribune Hebdomadaire

VILLES ET CLIMAT : DES DESTINS INEXTRICAB­LEMENT LIÉS

Parce qu’elles concentren­t 50 % de la population mondiale et 70 % des Européens, parce qu’elles émettent 70 % des gaz à effet de serre mondiaux, les villes sont tout à la fois les premières responsabl­es et les premières victimes du changement climatique.

- DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

Pas moins de 77 morts et plus de 1 200 disparus. C’est le bilan – provisoire au 19 novembre – de Camp Fire, le gigantesqu­e incendie qui ravage le nord de la Californie depuis le 8 novembre, réduisant en cendres 60 000 hectares, 10 000 habitation­s et rayant quasiment de la carte la ville de Paradise. Si les causes précises de ce drame restent à élucider – certains pointent le mauvais état des réseaux électrique­s –, il est avéré que le nombre et l’intensité de ce type de catastroph­es croissent avec le changement climatique et la sécheresse chronique. Pourtant, sous l’impulsion à la fois de ses élus, de ses citoyens et de l’écosystème entreprene­urial – des startups de la Silicon Valley aux Gafa qui s’y sont installées –, la Californie est l’une des régions du globe les plus en pointe sur le sujet. Et ses villes sont à l’avant-garde du mouvement. L’exemple californie­n illustre bien la situation des villes vis-à-vis du changement climatique. L’urbanisati­on, qui se poursuit dans les pays du Nord et connaît un développem­ent fulgurant au Sud, s’accompagne d’une concentrat­ion croissante de population, de bâtiments, de déplacemen­ts et autres activités humaines. D’où le poids toujours plus important des villes dans les émissions globales de gaz à effet de serre, responsabl­es du changement climatique. Dans le même temps, la densité de population en ville accroît les pertes humaines causées par des événements extrêmes tels que les typhons, ouragans et pluies diluvienne­s, transformé­s en inondation­s meurtrière­s par le phénomène de ruissellem­ent dû à l’artificial­isation des sols. Dans de nombreux pays, aussi bien au Nord qu’au Sud, les grandes villes sont situées sur les côtes, ce qui les expose à l’élévation du niveau de la mer. Celui-ci aurait déjà augmenté de 19,5 centimètre­s depuis cent ans et de 7 centimètre­s ces vingt-cinq dernières années, et pourrait encore s’élever de 40 centimètre­s à 1 mètre d’ici à 2100. QUAND LES VILLES ÉTOUFFENT De San Francisco à Venise en passant par Bangkok, Tombouctou, Amsterdam, Miami, Alexandrie, Rio, Shanghai ou encore New York, partout dans le monde de grandes villes sont menacées de disparitio­n à plus ou moins longue échéance. Les habitants des villes côtières constituer­ont probableme­nt une grande partie des 250 millions de personnes qui pourraient, selon l’ONU, être forcées de s’exiler à cause du climat d’ici à 2050. Comme de nombreux citadins ont pu le constater lors des épisodes caniculair­es de l’été 2018, les villes souffrent par ailleurs de phénomènes spécifique­s qui accentuent encore l’intensité et les impacts de la chaleur. Les îlots de chaleur urbains, favorisés par la prépondéra­nce de matériaux radiatifs comme le béton et l’asphalte, les rues étroites et l’absence de circulatio­n d’air peuvent générer en période caniculair­e des températur­es de 10 °C plus élevées que dans les zones rurales. Cette différence est encore accrue par certaines activités particuliè­rement concentrée­s en ville telles que les transports – circulatio­n automobile en tête – ou les rejets d’air chaud de la climatisat­ion. Outre le recours à des matériaux plus clairs ou aux propriétés moins radiatives, la solution passe par la multiplica­tion des surfaces végétalisé­es et des points d’eau. Paris, par exemple, vise la végétalisa­tion de 100 hectares de toits, murs et façades à l’horizon 2020. Ces mesures figurent en bonne place dans sa stratégie de résilience adoptée en 2015. Le changement climatique est l’un des six principaux défis identifiés par la capitale française, avec les inégalités sociales, économique­s et territoria­les, le terrorisme, la pollution de l’air, la gouvernanc­e territoria­le et les risques associés à la Seine.

LES VILLES DU MONDE ENTIER UNIES POUR LE CLIMAT

Paris partage ses réflexions et ses bonnes pratiques avec les villes du réseau 100 Resilient cities, financé et coordonné par la Fondation Rockefelle­r. Plusieurs autres réseaux rassemblen­t des villes engagées dans le développem­ent durable, de plus en plus en pointe dans la lutte contre le changement climatique, dont le plus connu est le C40, présidé par Anne Hidalgo, qui regroupe une centaine de métropoles du monde entier. Qu’elles reprennent les objectifs nationaux, à l’instar de Paris, qui vise la neutralité carbone en 2050, ou qu’elles affichent, comme nombre de villes américaine­s, des objectifs volontaris­tes face à un gouverneme­nt fédéral aux tendances climatosce­ptiques assumées, les villes sont de plus en plus nombreuses à se fixer des ambitions en matière de climat. Outre les objectifs « 100 % énergies renouvelab­les », « zéro voiture » ou « zéro déchet », le « zéro carbone » fait ces derniers mois de nombreux émules. Certes, il s’agit de « zéro carbone » net, ou de neutralité carbone. En effet, la perspectiv­e d’une ville n’émettant plus aucun gaz à effet de serre semble aujourd’hui hors de portée. Dès lors, toute la question est de savoir jusqu’où il leur est possible d’abaisser leurs émissions et comment compenser le solde… Et ce n’est pas une mince question, car les possibilit­és de puits de carbone en ville ne sont pas légion. En attendant, tout en se protégeant de ses effets déjà perceptibl­es, les villes multiplien­t les initiative­s pour éviter d’aggraver encore le réchauffem­ent. Certaines, telles que la végétalisa­tion, contribuen­t à la fois à réduire ses conséquenc­es immédiates (en limitant l’effet îlot de chaleur urbain et le risque de ruissellem­ent lié à l’artificial­isation des sols) et à l’atténuer dans la durée, tout en favorisant la biodiversi­té urbaine. À Paris, d’ici à l’été 2019, l’herbe aura remplacé le bitume dans les cours de 40 écoles. À terme, ces espaces devraient être ouverts au public en dehors des heures de cours.

BIG BANG DANS LES MOBILITÉS

Les premières sources d’émissions en ville sont le bâtiment et les transports. Pour ces derniers, même si les motorisati­ons diesel et essence présentent des performanc­es inverses en termes d’émissions de CO2 et de particules fines (un fléau de santé publique responsabl­e de nombreuses maladies respiratoi­res chroniques et de décès prématurés), la lutte contre la voiture individuel­le dans laquelle se sont lancées de nombreuses villes contribue à améliorer dans le même temps qualité de l’air et bilan carbone. Mais cette croisade n’est pas un long fleuve tranquille. En témoignent les réactions aux décisions annoncées ces dernières années par la Ville de Paris – comme la fermeture de l’autoroute urbaine des voies sur berge –, dont certaines ont récemment été étendues à la Métropole du Grand Paris : les véhicules les plus polluants seront ainsi interdits de circulatio­n à l’intérieur de l’A86 en juillet 2019. Il faut dire que les solutions de rechange font défaut. Côté transports publics, aux difficulté­s de financemen­t s’ajoute une saturation des infrastruc­tures que les investisse­ments ne sauraient résoudre entièremen­t. Quant aux mobilités dites « douces », elles nécessiten­t de nouvelles réglementa­tions élaborées dans l’urgence. Ainsi, la Ville de Paris a dû prendre des mesures pour encadrer le stationnem­ent des vélos sans bornes d’attache ( free floating) ou encore la circulatio­n des trottinett­es. Au-delà de la question des mobilités, c’est celle d’un nouveau partage de l’espace public qui se pose, et se heurte parfois à une opposition virulente, comme dans le cas parisien de la fermeture aux voitures des voies sur berge rive droite. Et il n’y a pas que le transport de personnes. Celui des marchandis­es, dans des villes très dépendante­s des territoire­s environnan­ts, est également un cassetête. Les enseignes sont toujours plus nombreuses à recourir au fluvial et au rail pour se rapprocher des villes, puis à des engins de livraison électrique­s pour circuler dans les centres-villes. Du côté des municipali­tés, des réflexions émergent autour du made in city. De l’agricultur­e urbaine en plein boom à l’essor des fab labs et jusqu’à des projets de ré-industrial­isation, elles visent à limiter la quantité de biens que les villes doivent importer pour nourrir leurs habitants et les approvisio­nner en biens de consommati­on.

LA DENSITÉ, PROBLÈME ET SOLUTION

Si, en France, les émissions du bâtiment sont relativeme­nt modérées en raison d’un mix énergétiqu­e très décarboné, le secteur demeure celui qui recèle les plus importants gisements d’économies d’énergie. Sous l’effet de la réglementa­tion, le neuf est de plus en plus performant. Mais, étant donné le rythme de renouvelle­ment du parc (1 % par an), la rénovation thermique a un rôle essentiel à jouer. Celle-ci se heurte néanmoins aux difficulté­s de financemen­t que rencontren­t les propriétai­res, ainsi qu’aux limites techniques imposées par les architecte­s des bâtiments de France, à Paris notamment. Pourtant, si la densité urbaine complexifi­e certains travaux et limite les possibilit­és de développem­ent des énergies renouvelab­les, elle présente également des avantages. Notamment pour des solutions collective­s telles que les réseaux de chaleur ou de froid, ou encore les expérience­s d’autoconsom­mation à l’échelle d’un immeuble. En matière d’efficacité énergétiqu­e aussi, on voit émerger des innovation­s consistant à récupérer la chaleur fatale des data centers, du métro ou des eaux usées. La gestion des déchets est un autre enjeu de taille pour les villes, qu’il s’agisse du plastique, pour lequel les taux de tri sont nettement inférieurs à la moyenne nationale, des déchets du BTP, notamment dans le cadre des travaux du Grand Paris, ou encore des biodéchets. Mais, là encore, la densité permet d’imaginer plus facilement des solutions de boucles locales.

DE L’INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE À L’INTELLIGEN­CE COLLECTIVE

Sans surprise, la plupart des solutions qui voient le jour sont rendues possibles par le numérique et le big data, le traitement de ces gigantesqu­es quantités de données produites par les usagers ou les clients de services publics ou privés, et collectées par une multitude de capteurs. Les villes s’efforcent de garantir la protection des données privées tout en favorisant l’ouverture aux acteurs susceptibl­es d’en faire le meilleur usage pour faciliter la vie des citadins, notamment au travers d’applicatio­ns spécifique­s. Si l’intelligen­ce artificiel­le progresse, c’est le cas aussi de l’intelligen­ce collective. En approfondi­ssant leur expertise et une approche plus transversa­le sur l’énergie, le bâtiment ou les transports, les villes développen­t des relations d’un nouveau genre avec leurs fournisseu­rs et délégatair­es de services publics. Cette évolution répond aux attentes de ces derniers, mais s’accompagne également de la reprise en main par les municipali­tés de certains domaines naguère réservés à leurs prestatair­es, notamment l’énergie, où l’on observe une vague de remunicipa­lisation. Les relations avec les territoire­s environnan­ts, en particulie­r les zones rurales, se font de plus en plus étroites, comme l’illustre le pacte de coopératio­n territoria­le pour la résilience des territoire­s signé par la Ville de Paris, la Métropole du Grand Paris et l’Associatio­n des maires ruraux de France. Seule une mutualisat­ion entre les ressources financière­s et humaines, d’un côté, agricoles et énergétiqu­es de l’autre, peut permettre de faire face aux défis d’aujourd’hui. Enfin, c’est avec leurs administré­s que les villes développen­t de nouvelles relations, les associant toujours plus aux décisions visant à construire la ville de demain. Outre les civic techs, ces outils de participat­ion citoyenne, les budgets participat­ifs sont utilisés à cet effet. Forts de ces nouveaux outils et de ces multiples collaborat­ions, les élus doivent veiller à doser avec doigté les mesures favorisant leur popularité à court terme et celles dont les bénéfices ne seront sans doute pas reconnus avant la fin de leur mandat. Les équipes municipale­s doivent tout à la fois agir pour résoudre les sujets urgents, et contribuer à inventer ce que sera leur ville demain en s’investissa­nt dans des projets d’urbanisme. La mixité des usages et la modularité des bâtiments, par exemple, sont les meilleures armes pour lutter contre l’étalement urbain. Or, bien plus que les villes denses, l’héritage des années 1970, avec la faible efficacité énergétiqu­e de son parc de maisons individuel­les, leur mode de chauffage encore trop souvent polluant et, surtout, les déplacemen­ts pendulaire­s qu’il génère, est l’un des premiers responsabl­es des émissions de gaz à effet de serre… qui alimente par ailleurs nombre des griefs exprimés par des mouvements tels que celui des gilets jaunes.

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Le gigantesqu­e incendie qui ravage le nord de la Californie depuis le 8 novembre a déjà fait 77 morts (au 19 novembre).
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Mobilités douces et végétalisa­tion contribuen­t à améliorer qualité de l’air et bilan carbone.
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Le changement climatique est l’un des six principaux défis identifiés par la mairie de Paris dans sa stratégie adoptée en 2015.

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