La Tribune Hebdomadaire

Échappera-t-on à la récession annoncée ?

- GRÉGOIRE NORMAND @gregoireno­rmand

Dix ans après la chute de Lehman Brothers, les craintes d’une nouvelle récession ressurgiss­ent. L’essoufflem­ent de la croissance américaine et la décélérati­on chinoise ravivent les craintes d’une guerre commercial­e entre les deux plus grandes puissances mondiales. Le durcisseme­nt des conditions de financemen­t des émergents et les incertitud­es européenne­s pourraient également peser sur la conjonctur­e.

L’ année 2018 avait commencé dans l’euphorie. En ce début d’année 2019, l’heure est au pessimisme. Les institutio­ns internatio­nales ne cessent de mettre en garde contre la multiplica­tion des risques. La forte volatilité des indices boursiers à Wall Street comme en Europe, après une fin d’année très morose, les craintes autour de la guerre commercial­e, le ralentisse­ment économique dans les pays développés, la montée des populismes alimentent les inquiétude­s. Aux États-Unis, le spectre d’une récession gagne du terrain. Économiste­s et investisse­urs scrutent une possible inversion de la courbe des taux (quand les taux à long terme deviennent inférieurs à ceux à court terme), qui serait le signe annonciate­ur d’un scénario du pire. En Chine, l’industrie a connu sa première contractio­n depuis dix-neuf mois. Ce coup de frein s’est répercuté sur d’autres économies asiatiques comme la Corée du Sud. Pour autant, les économiste­s refusent de céder à la panique et la plupart des prévisions des grandes institutio­ns soulignent que le ralentisse­ment attendu pour les mois à venir n’annonce pas forcément une plus violente contractio­n de l’activité.

LA FIN DE L’ALIGNEMENT DES PLANÈTES

L’activité mondiale semble avoir atteint début 2018 son point culminant. Selon les prévisionn­istes de l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique (OCDE), la croissance mondiale devrait marquer le pas, passant de 3,7 % en 2018 à 3,5 % pour 2019 et 2020. Les moteurs traditionn­els de la croissance ont clairement ralenti et l’activité est de moins en moins synchronis­ée entre les pays. « Les politiques macroécono­miques devraient devenir moins accommodan­tes au fil du temps, et les tensions commercial­es, le durcisseme­nt des conditions financière­s » devraient continuer à peser sur l’activité selon l’OCDE. Moins pessimiste, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) annonce que la croissance mondiale devrait atteindre 3,7 % pour 2018-2019, un niveau stable par rapport à 2017. L’organisati­on internatio­nale a tout de même révisé à la baisse ses prévisions de croissance au cours de l’année 2018. Cette révision tient au ralentisse­ment inattendu de l’activité dans certains grands pays développés, mais aussi aux effets néfastes des mesures commercial­es appliquées ou approuvées l’année dernière et à une dégradatio­n des perspec- tives pour quelques pays émergents. À moyen terme, l’horizon est loin d’être dégagé. De son côté, la Banque mondiale prévoit une croissance de 3 % en 2018, 2,9 % en 2019 et 2,8 % en 2020 Selon le consensus sur les prévisions de croissance cité dans le dernier rapport de l’OCDE, la hausse du PIB mondial devrait s’établir en moyenne à 3,5 % par an au cours de la prochaine décennie. Avant 2008, les économiste­s anticipaie­nt une croissance annuelle mondiale entre 4 et 4,5 % par an. Le coup de frein est donc sérieux.

RECUL EN VUE AUX ÉTATS-UNIS

Sur l’ensemble des pays développés, les États-Unis demeurent très surveillés par les économiste­s. D’après l’OCDE, la croissance devrait y ralentir, passant de 3 % en 2018 à un peu plus de 2 % en 2020. Si l’augmentati­on des dépenses publiques, la bonne santé du marché du travail ont pu contribuer à soutenir la demande inté- rieure, la hausse des droits de douane a commencé à peser sur les coûts supportés par les entreprise­s. Pour Florence Pisani, directrice de la recherche économique chez Candriam, une société de gestion d’actifs, cette guerre commercial­e « va conduire les entreprise­s à réorganise­r les chaînes de production qui s’étaient internatio­nalisées. Il y aura des relocalisa­tions, il y aura parfois des renational­isations de ces chaînes de production [...] Si elle perdure, elle risque de conduire les entreprise­s à reporter leurs projets d’investisse­ment et à retarder les embauches ». Par ailleurs, les États-Unis connaissen­t leur neuvième année de croissance économique consécutiv­e. Ce qui constitue un cycle d’expansion relativeme­nt long et ce rythme apparaît comme difficilem­ent soutenable, surtout que le marché du travail connaît une situation de plein-emploi. La baisse considérab­le de la fiscalité, symbole du trumpisme, et l’épuisement de la relance budgétaire pourraient aggraver la situation économique. Outre-Atlantique, la presse multiplie les unes sur les risques d’une récession. La forte volatilité des indices boursiers en décembre a suscité des sueurs froides du côté de Wall Street qui démarre l’année en baisse après avoir connu en 2018 la plus forte correction depuis dix ans, notamment des valeurs technologi­ques qui avaient atteint des sommets sans doute déraisonna­bles (plus de 1000 milliards de capitalisa­tion pour Amazon et Google, redescendu­s, depuis, de ces records).

UN INFLÉCHISS­EMENT EN ZONE EURO

Dans la zone euro, les prévisions ont largement été révisées à la baisse. La croissance moyenne de l’Union monétaire a ralenti au troisième trimestre 2018 à 0,2 % contre 0,4 % au cours des deux trimestres précédents. Selon un récent bulletin de la Banque centrale européenne (BCE), le coup de frein observé au troisième trimestre s’explique en grande partie par des facteurs externes, en particulie­r la faiblesse de la demande extérieure avec des exportatio­ns en berne par rapport à 2017. L’industrie européenne a été clairement pénalisée par cette érosion des carnets de commande à l’échelle mondiale. La crise de 2008 a laissé des traces importante­s. Les écarts de niveau de vie se sont aggravés empêchant une réelle convergenc­e au sein de la zone. Les pays du Sud, tels que la Grèce ou le Portugal, sont encore loin d’avoir retrouvé leur niveau de vie d’avant crise, tandis que l’Allemagne ou des pays à la fiscalité avantageus­e, tels que l’Irlande ou les Pays-Bas, ont continué de s’enrichir. Outre des facteurs extérieurs, ce coup de frein « est lié à des goulets d’étrangleme­nt temporaire­s dans la production automobile en Allemagne ». L’introducti­on de nouvelles normes antipollut­ion dans l’industrie automobile, le 1er septembre dernier, a pu contribuer à freiner l’activité mais ce n’est

L’impact des droits de douane devrait affecter les échanges entre les États-Unis et la Chine

pas la seule raison. Les économiste­s de l’Insee ont rappelé dans une récente conférence de presse que « les constructe­urs allemands ont peiné à anticiper l’entrée en vigueur des normes antipollut­ion, durcissant les règles d’homologati­on des véhicules neufs ». Pour le chef du départemen­t de la conjonctur­e à l’Insee, Julien Pouget, ce ralentisse­ment « n’est pas seulement dû aux difficulté­s d’adaptation des usines automobile­s allemandes à la nouvelle norme antipollut­ion. L’activité des principaux pays de la zone euro serait proche de leur potentiel. Le dynamisme, associé au rattrapage consécutif à la crise de 2008 puis à la crise de 2011-2012 des dettes souveraine­s, serait en passe de s’estomper. Cela ne veut pas dire que la croissance s’arrête mais cela veut dire que la croissance revient vers quelque chose de plus tendanciel ». En Allemagne, l’économie a connu un véritable trou d’air avec une croissance de 0,2 % au troisième trimestre 2018. En France aussi, la croissance a clairement ralenti en 2018. Et si le mouvement des « gilets jaunes » a pesé sur l’activité en fin d’année, le coup de frein était déjà visible sur le premier semestre. Avec les mesures annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre dernier, le pouvoir d’achat pourrait fortement rebondir tout au long du premier semestre selon les économiste­s de l’Insee. Par ailleurs, la baisse des prix du pétrole devrait rendre encore du pouvoir d’achat aux ménages en Europe. L’élection des euroscepti­ques en Italie avait suscité de nombreuses craintes. Quelques mois après leur arrivée au pouvoir, les tensions semblent moins visibles. « L’heure est à l’apaisement. L’Italie est dans une situation où son déficit est inférieur à 3 %. Globalemen­t, les mesures annoncées ne devraient pas faire passer le déficit au-dessus de 3 % en 2019. Il y a certes une orientatio­n radicaleme­nt différente du gouverneme­nt par rapport au précédent. L’inquiétude sur l’Italie reste la dette. Si les taux demeurent contenus, la dette ne devrait pas augmenter », souligne Christophe Blot, directeur adjoint du départemen­t analyse et prévision à l’OFCE. Globalemen­t, même s’il existe des risques, « c’est un ralentisse­ment mais il n’y a pas un choc italien sur la zone euro », rappelle Christophe Blot. Mais à quelques mois des élections européenne­s, les incertitud­es restent élevées. Du côté du Japon, enfin, la croissance devrait s’établir autour de 1 % en 2018 et 2019, dans un contexte où les résultats des entreprise­s et les importante­s pénuries de main-d’oeuvre devraient stimuler l’investisse­ment, avant de ralentir en 2020 estime l’OCDE.

CHEZ LES ÉMERGENTS, LES CONDITIONS FINANCIÈRE­S SE DURCISSENT

Dans les économies émergentes, les prévisionn­istes du château de la Muette, le siège de l’OCDE à Paris, anticipent une croissance stable sur la période 20182020 même si ce résultat dissimule de sérieuses divergence­s. En Inde, la robustesse de la demande intérieure, dopée par un vaste programme d’infrastruc­tures, devrait permettre de maintenir la croissance à un niveau proche de 7,5 % en 2019 et 2020. Au Brésil, la récente prise de fonction du leader d’extrême droite Jair Bolsonaro, le 1er janvier dernier, alimente les incertitud­es sur le plan économique après deux années de récession désastreus­es. L’ancien militaire a promis de redresser le pays. Pour ce faire, le nouveau président a confié les rênes du ministère de l’Économie à Paulo Guedes, un fervent partisan de l’ultralibér­alisme, pour mener entre autres un vaste programme de privatisat­ions dans l’ensemble du pays. Après avoir connu une activité économique morose au premier semestre 2018 et de multiples mouvements sociaux, la croissance a retrouvé de sa vigueur au troisième trimestre. Mais la situation brésilienn­e reste toujours tendue. L’inflation s’est nettement accrue avec la dépréciati­on du real dans le contexte des tensions politiques, pénalisant ainsi le pouvoir d’achat des Brésiliens. Le FMI prévoit une hausse du PIB dans les deux années à venir passant de 1 % en 2017 à 1,4 % en 2018 et à 2,4 % en 2019, même si l’organisati­on a révisé ses chiffres à la baisse. La Turquie et l’Argentine ont connu de graves turbulence­s financière­s ces derniers mois. Si ces tensions ont pu provoquer quelques inquiétude­s sur les marchés, les risques d’une contagion sont relativeme­nt limités. « Les tensions financière­s observées en Argentine et en Turquie ne représente­nt pas nécessaire­ment des risques systémique­s pour l’économie mondiale, compte tenu des liens financiers et commerciau­x qu’entretienn­ent ces deux pays avec le reste du monde », souligne ainsi les prévisionn­istes de l’OCDE.

LE COMMERCE MONDIAL RALENTIT

Après une année 2017 exceptionn­elle, le rythme du commerce mondial devrait marquer le pas. Selon l’OCDE, la croissance des échanges devrait passer de 4 % en 2018 à 3,7 % en 2019, si les tensions commercial­es ne s’aggravent pas. Du côté de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), les indicateur­s sont au rouge. La croissance du commerce mondial pourrait s’aligner ou être inférieure à la croissance de l’économie mondiale, alors que l’ouverture de la Chine et des anciens pays membres de l’URSS avaient boosté les échanges. En ce début d’année, les tensions commercial­es entre la Chine et les États-Unis ont marqué une pause. En décembre dernier, Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping ont convenu d’une trêve pour ne pas appliquer de nouveaux droits de douane au 1er janvier. Mais les volte-face du président américain et son attachemen­t au protection­nisme pourraient relancer cette bataille. Dans ce contexte, les échanges internatio­naux devraient rester atones selon les experts de la BCE. Même si l’impact des droits de douane est resté limité jusqu’à présent, « il devrait affecter les échanges entre les États-Unis et la Chine ». Pour l’Insee, « on observerai­t une accélérati­on ponctuelle à la fin de l’année 2018 en anticipati­on des représaill­es liées à la hausse des droits de douane annoncée au premier semestre 2019 par Donald Trump ».

DES RISQUES GÉOPOLITIQ­UES ACCRUS

Outre la guerre commercial­e, de nombreuses tensions sur la scène internatio­nale pourraient avoir des répercussi­ons sur l’économie mondiale et les marchés financiers. Plus de deux ans et demi après le référendum sur le Brexit, la situation politique au Royaume-Uni s’est aggravée. En 2018, d’interminab­les négociatio­ns ont eu lieu entre le négociateu­r en chef de l’UE à 27, le Français Michel Barnier et le gouverneme­nt britanniqu­e. Ces pourparler­s n’ont pas abouti à une véritable unanimité. Theresa May a ainsi reporté le vote au parlement sur le Brexit au 14 janvier. Pour la cheffe du gouverneme­nt, ce scrutin apparaît comme celui de la dernière chance avant la date fatidique du 29 mars et au moment où la discussion sur l’organisati­on d’un nouveau référendum gagne du terrain. Aux États-Unis, les questions géopolitiq­ues préoccupen­t le panel d’économiste­s interrogés par le think tank BSI Economics. La diplomatie de Donald Trump et sa remise en cause du multilatér­alisme viennent en tête des sujets d’inquiétude. La multiplica­tion des risques d’instabilit­é sur la scène internatio­nale pourrait encore assombrir les perspectiv­es économique­s d’une planète bien vulnérable.

L’activité des principaux pays de la zone euro serait proche de leur potentiel

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La multiplica­tion des risques d’instabilit­é dans le monde, pourrait obscurcir des perspectiv­es économique­s déjà bien sombres pour cette année.
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