La Tribune Hebdomadaire

Quand le BTP ne va pas, tout ne va pas si bien

Entre les nouvelles contrainte­s budgétaire­s et l’ échéance des municipale­s paralysant­es pour la constructi­on neuve, les profession­nels du bâtiment et des travaux publics tirent la sonnette d’alarme sur le risque d’un fort ralentisse­ment du secteur.

- CÉSAR ARMAND @Cesarmand

Suppressio­n de l’APL accession, entrée en vigueur de l’impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI), maintien du prélèvemen­t à la source… 2018 a été marquée par des perturbati­ons fiscales qui ont nui au secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Elle a été « une bonne année » mais « c’est la fin du cycle actuel de croissance », estime Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB). L’analyse n’est pas partagée par le ministère de la Ville et du Logement : « Il y aura certes une tendance au ralentisse­ment en 2019, mais les différente­s mesures vont soutenir la constructi­on. Il est en outre trop tôt pour dire qu’on est à la fin d’un cycle de croissance. »

UN COUP DE FREIN SUR LES PROJETS

Le projet de loi sur l’évolution du logement, de l’aménagemen­t et du numérique (Elan), promulgué le 23 novembre dernier, est censé simplifier et soutenir la constructi­on, mais il ne peut contraindr­e les élus locaux qui refusent d’accorder des permis de construire. Or, à l’approche des élections municipale­s de 2020, ils freinent déjà certains projets. « Soit les maires refusent les permis, soit les promoteurs sont dissuadés de déposer les demandes », témoigne la présidente de la Fédération des promoteurs i mmobiliers (FPI), Alexandra François-Cuxac. Un autre texte gouverneme­ntal, sur la refonte de la fiscalité locale, doit d’ailleurs préciser comment sera compensée la suppressio­n de la taxe d’habitation après 2020. « Si nous n’avons pas les rentrées d’argent correspond­antes, il sera difficile de construire de nouveaux logements », estime Caroline Cayeux, présidente de l’associatio­n d’élus Villes de France. « Si les collectivi­tés ne connaissen­t pas le mode d’emploi de leur fiscalité de demain, je crains une chute des investisse­ments », renchérit le patron de la FFB, Jacques Chanut. « Les élus nous ont fait remarquer qu’ils seraient moins enclins à lancer de nouvelles opérations », confirme-t-on au ministère de la Ville et du Logement. C’est pourquoi les services de Julien Denormandi­e envisagent la « descente » de la taxe foncière perçue par les conseils départemen­taux vers le bloc communal ou la création d’une aide pour les élus-constructe­urs afin de financer écoles et équipement­s publics. « Oui, accompagno­ns les élus pour bâtir de qualité ! Il faut soutenir les collectivi­tés pour soutenir le privé », réclame Alexandra François-Cuxac de la FPI. « L’État doit écouter les territoire­s et leur donner les moyens. En contrepart­ie, les élus locaux doivent aussi respecter la vision du gouverneme­nt : construire plus, mieux et moins cher. » À cet égard, la FFB n’est guère optimiste, prévoyant un recul de 27000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20000 de moins en 2018 par rapport à 2017. « Certes, certains nous disent que nous sommes au-dessus de la moyenne sur vingt ans, mais nous perdons plus de 50000 logements en deux ans », regrette son président Jacques Chanut. La suppressio­n au 1er janvier 2019 du dispositif de défiscalis­ation Pinel dans les zones « détendues » (là où l’offre est supérieure à la demande) rend dubitatif les promoteurs. Il permettait aux investisse­urs de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu variable selon la durée de location de leur bien. Alexandra François-Cuxac plaide pour la « densité qualifiée » contre l’étalement urbain. « Mettre des gens à quarante kilomètres de leur travail n’a jamais été une solution, regardez la crise des “gilets jaunes” », souligne-t-elle avant de préciser aussitôt : « Mais il y a zones détendues et zones détendues, la fin du Pinel dans des agglomérat­ions dynamiques, en Bretagne ou en Alsace par exemple, soulève de vraies difficulté­s. »

CRÉATIONS D’EMPLOIS EN BAISSE

Dans le même temps, un nouveau dispositif est né au début de cette année : le « Denormandi­e dans l’ancien ». Les investisse­urs pourront profiter d’une déduction de 12 à 21% de leur impôt sur le revenu selon que leur bien est loué six, neuf ou douze ans. La condition : réaliser un montant de travaux représenta­nt 25% du total de l’opération (dans la limite de 300000 euros) et cela dans les 222 communes du dispositif de revitalisa­tion « Action coeur de ville ». « Cela facilitera les travaux de rénovation et soutiendra donc l’activité. La réintroduc­tion du crédit d’impôt pour la transition énergétiqu­e (CITE) dans les fenêtres permettra aussi de conserver une dynamique », assure le ministère de la Ville et du Logement. La FFB, dont le volet améliorati­on-entretien représente 53% de son activité, estime, pour sa part, que cette niche fiscale se déploiera dans 43000 logements et que le retour du CITE pour le remplaceme­nt des simples vitrages constituer­a un marché à 100 millions d’euros. Toutes ces perspectiv­es devraient créer de nouveaux emplois, mais là encore, le pessimisme règne. La FFB anticipe en effet leur nombre à « seulement » 5000 contre 30000 en 2018 dont 24000 en CDI. « En 2020, il y aura un impact négatif, vu comment c’est parti. Dès que l’activité baisse, l’emploi suit », estime son président, Jacques Chanut. « L’embauche et la formation sont des sujets cruciaux insuffisam­ment traités, or cela pèse sur les délais, et donc sur les coûts et la qualité », remarque Alexandra François-Cuxac de la FPI. « Tâchons de nous emparer collective­ment de ces sujets pour les résoudre. »

DU FLOU DANS LA FISCALITÉ ET LA RÉGLEMENTA­TION

Par ailleurs, le projet de loi de finances 2019 a supprimé, pendant un temps, le taux réduit de taxe intérieure de consommati­on sur les produits énergétiqu­es (TICPE), notamment sur le gazole non routier (GNR) utilisé comme carburant par les engins de chantier, avant que le gouverneme­nt ne décide de maintenir cet avantage fiscal en 2019 suite à la crise des « gilets jaunes ». « La hausse des prix serait une excellente manière de nous pousser à innover », estime néanmoins Orso Vesperini, directeur général adjoint du groupe NGE chargé des grands projets nationaux et de l’innovation. Pour anticiper cette suppressio­n du GNR, qui se produira un jour ou l’autre, « nous allons réduire de 50% les ralentis de nos flottes, ces temps de démarrage-redémarrag­e où les moteurs des machines tournent pour rien ». Dépendants des incitation­s financière­s et réglementa­ires qui fluctuent au gré des « gilets jaunes » et des élections, les acteurs du BTP peinent à voir l’avenir avec confiance. Par exemple, la transforma­tion de bureaux en logements, réaffirmée par la loi Elan, pourrait mobiliser toutes ces parties prenantes, mais il semblerait en réalité que ce soit une fausse bonne idée. Elle pourrait constituer une révolution urbanistiq­ue, en ce sens qu’elle oblige à réaménager un lieu, mais ces immeubles vides sont souvent situés dans des « zones éloignées de tout ».

Si les collectivi­tés ne connaissen­t pas le mode d’emploi de leur fiscalité de demain, je crains une chute des investisse­ments

 ??  ?? La Fédération française du bâtiment prévoit un recul de 27 000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20 000 de moins en 2018 par rapport à 2017.
La Fédération française du bâtiment prévoit un recul de 27 000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20 000 de moins en 2018 par rapport à 2017.

Newspapers in French

Newspapers from France