La Tribune Hebdomadaire

Quels moyens pour booster les énergies vertes françaises ?

La feuille de route énergétiqu­e des dix prochaines années, partiellem­ent dévoilée en novembre dernier, fixe des objectifs ambitieux pour l’électricit­é, la chaleur et le gaz renouvelab­les. Mais le flou demeure quant aux moyens mis en oeuvre pour les attein

- DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

« L es luttes contre le réchauffem­ent climatique et pour la biodiversi­té sont plus nécessaire­s que jamais, mais se trouvent entravées, a affirmé Emmanuel Macron le 31 décembre dernier dans ses voeux à la nation. Nous surmontero­ns ensemble les égoïsmes nationaux, les intérêts particulie­rs et les obscuranti­smes. » Pas certain que ces quelques mots suffisent à rasséréner les tenants de la transition énergétiqu­e. Attendue pendant la moitié de l’année dernière, la PPE (programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie) en bonne et due forme – un document de quelque 350 pages – n’a toujours pas été publiée en ce début janvier. Mais ses grandes lignes ont été présentées par François de Rugy le 27 novembre au travers d’un dossier de presse, et les objectifs affichés en matière d’énergies renouvelab­les sont très ambitieux. Pour atteindre en 2030 32% d’énergies vertes dans la consommati­on énergétiqu­e finale et 40 % de la production électrique, il ne faut rien moins que doubler les capacités installées d’ici à 2028, pour une puissance de 102 à 113 gigawatts. Ce qui signifie, pour passer de 8 à 40 GW de solaire en dix ans, multiplier le rythme d’installati­on par trois. L’accélérati­on nécessaire est un peu moins brutale pour l’éolien terrestre, qui doit passer de 15 à 35 GW d’ici à 2028, soit 2 GW installés par an contre 1,5 GW aujourd’hui. Pour l’heure, la France ne se situe même pas sur la trajectoir­e qui lui permettrai­t d’honorer son engagement de 23% du mix en 2020. Au mieux, on devrait taquiner les 18 ou 19 %. C’est dire l’ampleur du chemin à parcourir… Or, tout en se réjouissan­t d’« une trajectoir­e claire » pour une « véritable montée en puissance des renouvelab­les », le syndicat des énergies renouvelab­les (SER) se désole que certaines technologi­es (biomasse, hydrolien, éolien flottant) fassent figure de parents pauvres, et regrette un manque de précision quant aux moyens disponible­s pour atteindre ces objectifs. « Le doublement des capacités renouvelab­les électrique­s à l’horizon 2028 nécessite une dizaine d’appels d’offres par an », observe son président Jean-Louis Bal. Pour le solaire, se pose la question de disponibil­ité du foncier, de conditions de faisabilit­é des projets sur bâtiments et du soutien à l’autoconsom­mation. Trop complexes, les derniers appels d’offres pour le solaire intégré au bâti n’ont guère attiré les candidats. Pour l’éolien offshore, quand en 2008 le Grenelle de l’environnem­ent visait 3 GW en 2020, l’objectif n’est plus que de 2,4 en 2023 et de 5,2 GW en 2028. Pour l’éolien flottant, sur lequel la France affiche pourtant une certaine avance technologi­que, alors que deux régions méditerran­éennes sont intéressée­s, la PPE ne prévoit que 500 MW (soit deux parcs de 250 MW) d’appels d’offres, dont l’un pour l’Atlantique.

2018, ANNUS HORRIBILIS POUR LA TRANSITION FRANÇAISE

Il est aussi prévu de porter la part de gaz renouvelab­le (issu de la méthanisat­ion) à 10 % de la consommati­on. Si certains acteurs jugent cet objectif trop modeste, à l’instar de GRDF qui ambitionne d’atteindre 30 % à cette échéance, le gouverneme­nt le conditionn­e déjà à une forte baisse des coûts, autorisant un tarif de rachat de 67 euros/MWh en 2023 contre 95 euros aujourd’hui. Cette échéance semble trop proche aux acteurs de la filière, en plus d’être imprécise. « Parle-t-on des projets installés en 2023, ou démarrés en 2023 ? » s’interroge Jean-Louis Bal. À l’exception de l’éolien, pour lequel plusieurs mesures de simplifica­tion administra­tive ont été adoptées, on attend toujours les décrets d’applicatio­n issus des groupes de travail sur le solaire ou la méthanisat­ion organisés par Sébastien Lecornu lorsqu’il était secrétaire d’État au ministère de la Transition écologique et solidaire, et que la nouvelle secrétaire d’État Emmanuelle Wargon doit relancer en janvier. Cette incertitud­e autour des moyens pour mettre en oeuvre la feuille de route est d’autant plus pesante qu’elle s’inscrit dans la foulée d’une année 2018 qui n’aura guère été favorable à l’écologie ni au climat. Dans un contexte global marqué par le redémarrag­e à la hausse des émissions de gaz à effet de serre après quelques années de stagnation, la France affiche des performanc­es particuliè­rement médiocres. Alors que les émissions mondiales ont augmenté de 0,7% en 2017, c’est + 3,2% pour la France, en dépassemen­t de 6,7 %. En cause, essentiell­ement, les transports et le bâtiment, secteurs qui ont le plus dérapé par rapport à la trajectoir­e prévue. Sur le plan politique, la démission fracassant­e de Nicolas Hulot a mis en évidence les nombreux obstacles sur la route de la transition énergétiqu­e française. Mais le coup de grâce a été porté par la reculade opérée par le gouverneme­nt devant la persistanc­e du mouvement des « gilets jaunes ». Ce sont les hausses annoncées sur le prix des carburants, résultant de l’évolution de la contributi­on climat énergie (CCE), intégrée depuis 2014 au calcul de la taxe intérieure de consommati­on sur les produits énergétiqu­es (TICPE), qui ont mis le feu aux poudres. Le gouverneme­nt, qui avait prévu d’accélérer la hausse de cette CCE selon la loi pour la transition énergétiqu­e de 2015, après avoir martelé qu’il ne céderait pas d’un pouce sur la fiscalité écologique, puis annoncé une suspension de ces taxes pour six mois, les a finalement purement et simplement supprimées.

INQUIÉTUDE­S AUTOUR DU FINANCEMEN­T DE LA TRANSITION

Et ce n’est pas sans inquiéter les acteurs des filières renouvelab­les, dont le développem­ent nécessite encore un soutien financier de la part des pouvoirs publics. Comme le montrent les résultats des derniers appels d’offres (remportés en juin 2017 à un prix moyen de 55,50 euros/MWh pour les centrales d’une puissance comprise entre 5 et 17 MW), les coûts des technologi­es électrique­s les plus matures – éolien terrestre ou photovolta­ïque – sont aujourd’hui compétitif­s avec ceux de l’électricit­é convention­nelle. Mais les contrats signés il y a une dizaine d’années à des tarifs de rachat élevés, conclus pour une période de vingt ans, pèsent encore sur les finances publiques. Quant aux filières moins matures, elles ont besoin de subvention­s pour devenir compétitiv­es. D’ailleurs, l’État, qui a renégocié à la baisse les conditions des premiers parcs éoliens offshore attribués en 2012, porté un coup d’arrêt à l’hydrolien et communiqué ses exigences pour le biogaz, a clairement annoncé sa préférence pour les technologi­es les moins onéreuses. Le coût du soutien public aux renouvelab­les s’est élevé à 5,2 milliards d’euros en 2018. Payé jusqu’en 2016 par les consommate­urs au travers de la CSPE (contributi­on au service public de l’électricit­é), il figure désormais dans un compte d’affectatio­n spécial, examiné dans le cadre du projet de loi de finances. Bien qu’en France les revenus de la fiscalité écologique ne soient pas affectés à la transition énergétiqu­e mais au budget de l’État, dans le contexte actuel, les profession­nels du secteur ne masquent pas leur crainte de voir la PPE remise en cause faute de moyens pour la financer. La mobilisati­on d’une partie de l’opinion publique pourra-t-elle peser sur les choix du gouverneme­nt dans ce contexte budgétaire contraint ? La pétition lancée par les ONG Oxfam, FNH, Greenpeace et Notre affaire à tous pour soutenir leur action en justice intentée contre l’État pour « carence fautive » sur le front du climat, dont les énergies renouvelab­les sont le fer de lance, avait recueilli le 6 janvier près de 2 millions de signatures.

Le doublement des capacités renouvelab­les électrique­s d’ici à 2028 nécessite une dizaine d’appels d’offres par an

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Usine de biométhane en Allemagne. Le gouverneme­nt français veut bien développer le biogaz, à condition que ses tarifs de rachat baissent fortement.

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