La Tribune Hebdomadaire

VOUS POUVEZ RÉPÉTER LES QUESTIONS ?

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Pour « transforme­r les colères en solutions » , Emmanuel Macron a donc lancé cette semaine l’opération Grand débat national en commençant, mardi 15 janvier, par une immersion au coeur de la mêlée des maires normands, à Grand Bourgthero­ulde, auxquels il a offert une séquence inédite de questions-réponses de plus de six heures, comme pour démontrer le sérieux et la sincérité de sa démarche participat­ive. En choisissan­t la région du « p’t-être ben que oui » – « p’t-être ben que non » pour engager le dialogue, le chef de l’État ne pouvait pas mieux incarner la difficulté de l’exercice qu’il propose à un peuple de « Gaulois réfractair­es » et divisés. Car, aux quelque 35 questions que le président énumère dans sa Lettre aux Français, il va être bien difficile d’apporter des réponses qui mettent tout le monde d’accord. Fiscalité et dépenses publiques, transition écologique, organisati­on des territoire­s, démocratie et citoyennet­é, mais aussi immigratio­n et laïcité, c’est une nouvelle campagne électorale qu’engage Emmanuel Macron, qui cherche visiblemen­t à renouer le contact rompu avec le pays, à la façon de la « Grande marche » de la campagne victorieus­e de 2017. L’exercice est louable : vu la gravité de la crise sociale et politique dans laquelle le pays s’enfonce depuis le déclenchem­ent des blocages des « gilets jaunes », le 17 novembre, Emmanuel Macron espère qu’il en sorte un nouveau pacte social et républicai­n. Chiche ! Mieux vaut un Grand débat que le grand pugilat auquel nous assistons depuis bientôt dix semaines chaque samedi. Il faut donc laisser sa chance au débat et espérer que le plus grand nombre possible de citoyens, d’élus et de chefs d’entreprise y participer­ont, car tout le monde est concerné. Bien sûr, le scepticism­e règne sur l’issue de ce processus. Pour réussir, il aurait peut-être fallu commencer par faire un débat sur le débat, sur la façon de l’organiser, sur les thèmes à aborder. L’épisode du retrait de Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public, n’était pas glorieux, ni pour elle-même, ni pour le gouverneme­nt. Certes, Emmanuel Macron assure qu’ « il n’y a pas de questions interdites » . Mais il ferme « en même temps » la porte sur les réformes déjà votées. On peut débattre mais, apparemmen­t, pas pour changer de cap. Pas question, donc, de revenir sur la suppressio­n de l’ISF, même si une évaluation est engagée par les parlementa­ires pour mesurer l’impact économique de celle-ci pour les valeurs mobilières. Mais la fiscalité, son poids, sa répartitio­n, sa structure, sera bien abordée, en même temps que sa contrepart­ie, les services publics et leur efficacité. De ce Grand débat peut donc sortir « une chance pour la France », en général, et une « nouvelle chance » pour Emmanuel Macron, en particulie­r. On peut considérer que l’Acte I du quinquenna­t s’est achevé avec la crise des « gilets jaunes » : très affaibli, le président de la République sait bien qu’il serait très risqué pour lui de repartir sabre au clair à l’assaut de réformes aussi complexes que celle de l’assurancec­hômage, des retraites ou de l’État. Pour espérer un Acte II et éviter d’achever son mandat dans l’immobilism­e dans un Palais de l’Élysée assiégé, voire d’être empêché de le finir comme il en a lui-même envisagé l’hypothèse dans le livre que Nicolas Domenach et Maurice Szafran lui ont consacré ( Le Tueur et le poète), cette étape du Grand débat est indispensa­ble. Encore faut-il que le débat ne soit pas un artifice pour gagner du temps d’ici aux élections européenne­s et que ce temps de conversati­on civique permette de faire la pédagogie du réel. C’est la limite de l’exercice : Emmanuel Macron semble renvoyer aux Français la responsabi­lité de choisir à quelles dépenses publiques il leur faudrait renoncer, quels impôts il faudrait supprimer. C’est peut-être beaucoup leur demander, car la réponse est courue d’avance : les gens sont toujours d’accord pour que l’effort porte sur les autres mais rarement sur euxmêmes. Dans une France gagnée par le déclasseme­nt des classes moyennes, la notion de sacrifice au nom de l’intérêt général n’a plus cours. Surtout, on le voit bien, les Français demandent que les efforts soient partagés par tous et que soit rétabli un équilibre entre les gagnants et les perdants de la mondialisa­tion. En clair, après s’être occupé des « premiers de cordée » , le nouvel Emmanuel Macron doit changer de cap et s’occuper en priorité des derniers de cordée. Le Grand débat peut aussi lui permettre de provoquer une alliance des réformateu­rs face aux conservate­urs, pour contrer ceux qui bloquent le pays. Car, à bien lire la lettre du président, il est beaucoup de domaines où les réponses sont dans les questions… Ces quelques exemples en donnent la mesure : « Y a-t-il trop d’échelons administra­tifs ou de niveaux de collectivi­tés locales ? Faut-il revoir le fonctionne­ment de l’administra­tion ? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers ? » Emmanuel Macron n’en fait pas mystère : ce Grand débat a pour objectif de mettre la réforme de l’État au centre du jeu. Sur le plan politique, le bilan de la crise des « gilets jaunes » n’est d’ailleurs pas si négatif pour le chef de l’État, qui commence à remonter dans les sondages, ce qui semblait impossible. Il ne reste finalement plus que deux forces politiques face à face : Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dont le Rassemblem­ent national apparaît comme le grand gagnant de la séquence, sans doute parce que les préoccupat­ions identitair­es prennent le dessus sur les attentes sociales. La gauche sort plus affaiblie que jamais de la crise, avec un Parti socialiste invisible et une France insoumise incapable jusqu’ici de récupérer les dividendes de la colère des ronds-points.

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