Le pari risqué d’Emmanuel Macron
En proposant sa « Lettre aux Français », le président invite les citoyens à participer activement à l’élaboration d’un nouveau « pacte social ». Il compte sur le succès de cette initiative pour relancer son programme de réformes.
C’est parti! À Grand Bourgtheroulde, dans l’Eure, le président de la République a lancé cette semaine son opération Grand débat pour tenter de renouer le dialogue face à la crise des « gilets jaunes ». En adressant sa Lettre aux Français, il cherche d’abord à reprendre la main. Le mouvement des « gilets jaunes » n’en finit pas de secouer la France et son gouvernement depuis plusieurs semaines, jusqu’à fragiliser la cohésion du pays. C’est pourquoi le président invite les Français à rien de moins que refonder un « pacte social ». L’ambition est louable, mais la procédure est inédite et n’est pas sans danger, car elle acte en creux le fait que nos institutions sont en crise. Avant même de savoir – même si la participation est ouverte à tous – si les dizaines de milliers de citoyens, majoritairement issus de la France périphérique, qui ont manifesté et tenu les ronds-points depuis le 17 novembre, vont jouer le jeu, les modalités de cette consultation (lire le mode d’emploi page suivante) peuvent légitimement interroger sur sa rigueur et faire naître des soupçons de démagogie. Le président décidera en effet seul de ce qui sera appliqué in fine. Mais évitons le procès d’intention à l’encontre d’une démarche qui va se construire au fil des deux prochains mois. En prenant au mot les revendications spontanées des « gilets jaunes », Emmanuel Macron veut « transformer les colères en solutions ». Stratégiquement, c’est habile. Même si le nombre de participants sera décisif pour légitimer le processus, comme dans les manifestations, la proposition va diviser les contestataires entre ceux qui rejettent la « lettre tendue » et ceux qui saisissent l’opportunité de cet « écrit de rattrapage » comme l’a écrit Libération. De la même façon, les 10 milliards d’euros concédés en décembre par le pouvoir avaient dissuadé une importante partie des « gilets jaunes » de poursuivre le mouvement.
UN DÉBAT EN QUATRE THÈMES
Au-delà des formules « performatives » – « la France n’est pas un pays comme les autres », ce qui peut s’appliquer à n’importe quel autre pays –, le texte cadre le débat en quatre thèmes.
- La fiscalité, qui pose l’équation de l’équilibre entre recettes et dépenses publiques, et les choix politiques que cela implique. Autrement dit, il faut faire des choix cohérents. - L’organisation de l’État et des services
publics. Nul doute que la réflexion devra aussi inclure un bilan de la décentralisation. Le « mille feuilles » est de plus en plus coûteux et de moins en moins efficace. L’aménagement du territoire, qui a conduit à un déséquilibre au profit des métropoles, est l’une des causes de la colère des « gilets jaunes ».
- La transition écologique est un défi. La nécessité d’évoluer vers un modèle de développement plus respectueux de l’environnement et générant moins de pollution doit se conjuguer avec le développement économique. Le chantier est immense mais, à la condition d’investir, il pourrait contribuer à améliorer le pouvoir d’achat des ménages.
- La démocratie et la citoyenneté. Les « gilets jaunes » ont montré qu’une partie de la population ne se retrouvait pas dans l’offre politique. Emmanuel Macron en a été d’ailleurs le premier bénéficiaire – élu par « effraction » selon ses propres termes –, mais aujourd’hui son impopularité révèle que l’insatisfaction persiste. Le président a ajouté deux autres points, qui font l’objet de vifs débats dans la société : l’accueil et l’intégration des exilés (le mot d’« immigrés » est évité) et la laïcité, dont il faut « renforcer les principes ».