La Tribune Hebdomadaire

Transition écologique : opération séduction

- Dominique Pialot

Faut-il y voir un signe ? Les deux coordonnat­eurs du Grand débat sont respective­ment un ancien secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire et sa remplaçant­e. Emmanuelle Wargon a en effet pris la place de Sébastien Lecornu lorsque ce dernier a été nommé ministre des Collectivi­tés territoria­les lors du mini-remaniemen­t d’octobre dernier. Le sujet sera-t-il pour autant au centre du Grand débat ? « Faire la transition écologique permet de réduire les dépenses contrainte­s des ménages en carburant, en chauffage, en gestion des déchets et en transports », assure le chef de l’État dans le courrier qu’il a adressé aux Français en début de semaine. À l’évocation de la séquence qui a lancé le mouvement des « gilets jaunes », dont nul ne saurait dire à cette heure si ce Grand débat est susceptibl­e d’y mettre un terme, il est pourtant évident qu’une grande partie des Français ne l’a pas compris ainsi. Pas ceux, notamment, contraints de s’éloigner des centresvil­le et de leur emploi, et de parcourir chaque jour de longues distances en

voiture, le plus souvent alimentée au diesel. Ni ceux, parfois les mêmes, qui chauffent leur pavillon au fioul. D’ailleurs, ces sujets figurent dans les cahiers de doléances des Français ruraux remis le 14 janvier au président de la République par le président de l’Associatio­n des maires ruraux de France. Ce sont bien les hausses des taxes sur les carburants annoncées pour ce mois de janvier, notamment sur le diesel, dont la fiscalité est appelée à rejoindre celle sur l’essence, qui ont allumé la mèche des révoltes. Après s’être montré parfaiteme­nt inflexible pendant des semaines, le gouverneme­nt a d’abord annoncé un moratoire de six mois pour supprimer purement et simplement 24 heures plus tard les hausses de taxes prévues. L’évolution de la contributi­on climat énergie (également appelée taxe carbone), intégrée depuis 2014 à la TICPE, est prévue par la loi de transition énergétiqu­e de 2015. Mais le gouverneme­nt avait décidé d’accélérer cette hausse, une informatio­n malencontr­eusement dévoilée alors que le baril de pétrole (dont le cours a beaucoup baissé depuis) flambait…

ACCOMPAGNE­MENT DES PLUS MODESTES ET SOLIDARITÉ NATIONALE

« Mais pour réussir cette transition, il faut investir massivemen­t et accompagne­r nos concitoyen­s les plus modestes », ajoute Emmanuel Macron. Une prise de conscience tardive lorsqu’on se souvient que Nicolas Hulot avait publiqueme­nt regretté, après sa démission, qu’on lui ait refusé ces mesures d’accompagne­ment « pour raisons budgétaire­s ». « Une solidarité nationale est nécessaire pour que tous les Français puissent y parvenir », poursuit le chef de l’État dans son courrier, avant d’interroger largement : sur les modalités de financemen­t (taxe ou impôts ? le débat agite les experts depuis des décennies, mais ce qui est certain, c’est qu’il faudra dégager des moyens pour financer la transition) ; sur les population­s concernées par ces aides (le gouverneme­nt a déjà procédé à un élargissem­ent de la population éligible au chèque énergie) ; sur les solutions à mettre en place « pour remplacer sa vieille chaudière ou sa vieille voiture », quand les aides existantes concernent aujourd’hui plus l’achat de véhicules propres que de chauffages efficaces ; sur le rôle du local (« Quelles sont les solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir qui doivent être conçues plutôt au niveau local que national ? »), alors que la décentrali­sation a ces dernières années élargi les prérogativ­es des collectivi­tés sur les sujets climat et énergie, sans toujours les accompagne­r des moyens financiers correspond­ants… En dépit de ces questions très ouvertes, les grandes orientatio­ns sont calées. «Le Grand débat n’a pas vocation à tout remettre en cause… la PPE (Programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie) et la politique climatique font partie des grands engagement­s que nous ne remettrons pas en cause… » a ainsi déclaré devant le Sénat François de Rugy le mardi 15 janvier, ajoutant que le texte de la PPE (attendu depuis la présentati­on de ses principale­s orientatio­ns par dossier de presse le 27 novembre dernier) serait transmis à l’Autorité environnem­entale « dès la semaine prochaine ».

SCEPTICISM­E DES ÉCOLOGISTE­S

Les écologiste­s se montrent pour le moins méfiants quant à l’issue du débat. Yannick Jadot, tête de liste EELV aux élections européenne­s, a ainsi assuré le 14 janvier : « Les écologiste­s vont y participer, ils veulent que ce pays sorte de l’impasse, sorte de ce conflit totalement absurde et extrêmemen­t dangereux pour la démocratie entre les “gilets jaunes’’ et le président Macron. » Mais, « si Macron triche avec les Français, si Macron les manipule, à ce moment-là, le risque, c’est que la démocratie s’affaisse encore plus, qu’il y ait encore plus d’appels, y compris de responsabl­es politiques, à l’insurrecti­on et qu’on rentre encore plus violemment dans ce débat de guerre civile », a-t-il averti. Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, a pour sa part déclaré à Libération :« Ce qui nous inquiète, au-delà de ce Grand débat, c’est la place de l’écologie depuis qu’Emmanuel Macron a été élu. » Évoquant l’action en justice déposée avec la FNH, Oxfam et Notre affaire à tous (NAAT) contre l’État pour son manque d’ambition et d’efficacité en matière de climat, il s’étonne : « Malgré les deux millions de personnes qui ont soutenu l’idée de ce recours, nous n’avons eu aucune réponse, aucune réaction, de la part du Premier ministre ou du président. » Seul le ministre de l’Écologie, François de Rugy, a déclaré dans un entretien au Parisien :« Mon hypothèse est que le succès de cette pétition pour le climat est peutêtre aussi une réplique au mouvement des “gilets jaunes”, qui parle parfois de l’écologie comme d’un problème. » Pas de quoi convaincre le directeur de Greenpeace. « Nous, les ONG, proposons des solutions concrètes depuis des années, rappelle JeanFranço­is Julliard. Elles sont connues. Pourquoi un énième débat ? »

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iStock Les hausses des taxes sur les carburants annoncées pour ce mois de janvier ont allumé la mèche des révoltes.
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Yannick Jadot, tête de liste EELV aux élections européenne­s, a assuré que les écologiste­s « veulent que ce pays sorte de ce conflit absurde et extrêmemen­t dangereux pour la démocratie » .

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