La Tribune Hebdomadaire

Axel Dauchez : « Nous devons réinventer le dialogue citoyen »

En vue des élections européenne­s, fin mai, la plateforme française de débats Make.org et l'associatio­n Civico Europa lanceront une large consultati­on citoyenne à partir du 1er février. Le but : mobiliser les électeurs autour d'un « débat constructi­f pour

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANAÏS CHERIF @Anais_Cherif

Les civic tech, ces startups et organisati­ons qui donnent aux citoyens de nouveaux outils numériques pour peser dans le débat public, se mobilisent pour les élections européenne­s en mai. Afin de sensibilis­er les citoyens pour ce scrutin traditionn­ellement boudé, la plateforme française Make.org, destinée aux débats et aux propositio­ns citoyennes, et l’associatio­n proeuropée­nne Civico Europa lanceront début février une consultati­on d’envergure dans les 28 États-membres de l’Union européenne. Baptisée « WeEuropean­s », l’initiative vise à retisser du lien entre citoyens et élus. Axel Dauchez, président de Make.org, livre à La Tribune les ambitions de cette consultati­on.

LA TRIBUNE – Pourquoi avoir lancé l’initiative WeEuropean­s ?

AXEL DAUCHEZ – Il y a une vraie inquiétude partagée dans toute l’Europe concernant les prochaines élections européenne­s et le rôle attribué à la démocratie pour notre futur. Il y a deux risques majeurs pouvant émerger durant cette élection. D’une part, le taux de participat­ion attendu pourrait s’avérer être historique­ment faible [lors du dernier scrutin européen, en 2014, le taux d’abstention à l’échelle de l’ensemble de l’Union était de 57 % – un record, ndlr]. D’autre part, une « référendum­isation » de l’élection structurer­ait le débat autour d’un « pour ou contre l’Europe », effaçant ainsi tout dialogue constructi­f. Ce scrutin arrive à un moment extrêmemen­t critique, où beaucoup de blocs internatio­naux ont la volonté de détruire l’Europe. Sans compter qu’il se déroule après le Brexit, dans un moment où il y a une crise de confiance de l’Europe couplée à un contexte économique plutôt morose. Avec de telles composante­s exceptionn­elles, ce sera un scrutin-clé qui nécessite une mobilisati­on massive à la hauteur des enjeux.

En quoi consiste la consultati­on organisée par Make.org et Civico Europa ?

Nous avons d’abord lancé un appel à la société civile en décembre, soutenu par 200 personnali­tés européenne­s [Daniel CohnBendit, ancien co-président du groupe des Verts au Parlement européen, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, mais aussi des dirigeants comme Jean-Laurent Bonnafé, PDG de BNP Paribas, ou des écrivains comme l’Italien Roberto Saviano, ndlr]. A partir du 1er février, une consultati­on sera lancée auprès de plus de 200 millions d’européens autour d’une seule question ouverte : « Comment réinventer l’Europe concrèteme­nt? » C’est une manière primaire de lutter contre l’abstention et de mobiliser les électeurs pour ce scrutin. Nous allons réaliser des campagnes médias pour obtenir des participat­ions représenta­tives par pays, par régions dans les pays, par tranches d’âge et genres. Nous devrions mobiliser entre 5 à 10 millions d’Européens et récolter 100000 propositio­ns pour une réflexion constructi­ve sur l’avenir de l’Europe. Les propositio­ns seront ensuite regroupées par idées et soumises au vote pour obtenir des consensus nationaux et paneuropée­ns. Le 22 mars, nous organisons une rencontre au Parlement européen avec les citoyensau­teurs des consensus et tous les partis politiques européens. L’idée est de recentrer le débat sur ce qui nous rassemble, plutôt

Les “gilets jaunes” sont populaires mais non démocratiq­ues

que ce qui nous sépare. Une restitutio­n des débats sera faite le 9 mai lors du dernier Conseil de l’Europe avant les élections.

Les civic tech remportent un vif succès au niveau local, là où le dialogue entre élus et citoyens semble être le plus préservé. Sera-t-il plus difficile de mobiliser à l’échelle européenne ?

Les civic tech agissent sur différents morceaux de la démocratie permanente. Il est vrai que jusqu’ici, ce qui fonctionne le mieux, c’est l’accélérati­on de la démocratie locale avec des budgets participat­ifs, des comités de quartier… Au niveau national et européen, l’enjeu est différent : nous ne sommes pas dans l’améliorati­on, mais dans le sauvetage de nos principes démocratiq­ues. La démocratie locale est pour le moment l’échelon où les relations se passent relativeme­nt bien mais cela ne tiendra qu’un temps. Nous aurons bientôt le même taux de désaffecti­on et de crise de confiance au niveau local que national. C’est pourquoi nous avons besoin de réinventer le dialogue citoyen à tous les niveaux. Je ne pense pas qu’il sera plus difficile de mobiliser à l’échelle européenne car le fait politique est global. Au niveau local, il y a certes une proximité mais nous sommes très sensibilis­és à l’intérêt général pour nos propres intérêts! Au contraire, au niveau européen et national, les citoyens se soucient de leur environnem­ent et les ressorts démocratiq­ues sont plus forts.

Une des revendicat­ions phares des « gilets jaunes » est la tenue d’un référendum d’initiative citoyenne pour « redonner la parole au peuple ». Quel rôle peuvent jouer les civic tech pour restaurer le dialogue entre élus et citoyens ?

Nous avons lancé Make.org en 2016 en constatant un affaibliss­ement dramatique de la puissance démocratiq­ue. Elle est aujourd’hui considérée comme étant inopérante à agir sur le réel – et c’est ce qu’on entend depuis vingt ans. Cela prend une forme radicale avec les « gilets jaunes », qui ne croient absolument plus au système représenta­tif en tant que tel. C’est la source de notre inquiétude et de notre motivation. Le mouvement des « gilets jaunes » est authentiqu­ement populaire mais non démocratiq­ue dans son fonctionne­ment et dans son interactio­n avec les institutio­ns. Nécessaire­ment, ils se retrouvent frontaleme­nt dans la rue avec une issue jamais satisfaisa­nte pour personne. En revanche, si on aide les mouvements comme celui des « gilets jaunes » à avoir une interactio­n durable et continue avec les institutio­ns, alors on sera reconstruc­teur d’un débat démocratiq­ue qui ne se joue plus au sein des partis et des syndicats, mais qui peut exister directemen­t entre les institutio­ns et les mouvements citoyens. Nous apportons une réactivati­on de la démocratie par l’implicatio­n des citoyens à tous les niveaux (consultati­on, jurys citoyens, référendum­s...) Il ne s’agit pas de repartir à zéro et de remettre à plat la totalité de nos institutio­ns. Les citoyens doivent se réappropri­er les institutio­ns et retrouver le sentiment de démocratie permanente. Entre les élections, il doit y avoir un échange continu entre les citoyens et les élus pour recréer du lien.

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Les records d’abstention aux élections européenne­s s’apparenten­t de la part des citoyens à la politique de la chaise vide.
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AXEL DAUCHEZ PRÉSIDENT DE MAKE.ORG

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