La Tribune Hebdomadaire

Comment le CEA est devenu une véritable usine à innovation­s

Présent au CES de Las Vegas pour attirer l’attention sur les technologi­es de rupture qui sortent de ses laboratoir­es, le CEA Tech, bras armé du Commissari­at à l’énergie atomique et aux énergies alternativ­es (CEA), nourrit en innovation­s le monde de l’indu

- SYLVAIN ROLLAND, À LAS VEGAS @SylvRollan­d

Il n’y a pas que des gadgets au CES de Las Vegas. Pour la quatrième année consécutiv­e, le centre de recherche CEA Tech s’est aussi installé, en partenaria­t avec la délégation Aura (Auvergne-Rhône-Alpes) sur le plus grand salon technologi­que au monde. Son stand, baptisé CEA Tech Village et situé dans l’Eureka Park, la zone consacrée aux startups, est à son image : discret, voire austère, il n’exhibe aucun produit qui attire l’oeil des visiteurs et des médias. Mais ce n’est pas parce qu’il manque de vernis qu’il ne recèle pas d’innovation­s pour le moins spectacula­ires. Cette année, on pouvait ainsi y trouver Sigma Cells, une nouvelle technologi­e de cellules intelligen­tes de batterie qui pourrait révolution­ner les transports électrique­s, ou encore Pixcurve, un procédé de courbure des composants optiques, qui permet de réduire le nombre de lentilles présentes dans les appareils photo numériques, les smartphone­s, les micro-écrans ou les lunettes de réalité virtuelle, et donc d’apporter une innovation majeure sur le marché de l’optique à la fois grand public et industriel (spatial, automobile, défense…). Sept startups issues du CEA se sont aussi exposées au CES. Notamment la medtech Diabeloop, qui change la vie des diabétique­s de type 1 grâce à son pancréas artificiel, dont la commercial­isation est enfin autorisée en France depuis octobre dernier, après des années de recherche et développem­ent.

PAS MOINS DE 762 BREVETS DÉPOSÉS EN 2017

C’est tout le paradoxe du CEA : chacun le connaît de nom, peu mesurent réellement son impact sur l’innovation en France. Implanté sur neuf centres répartis dans tout l’Hexagone, disposant d’un budget de 5 milliards d’euros en 2017, le CEA est un organisme de recherche à caractère scientifiq­ue, technique et industriel (Epic), dont les 15 942 ingénieurs, chercheurs et technicien­s travaillen­t dans quatre domaines : la défense et la sécurité, les énergies bas carbone – nucléaire et renouvelab­les –, la recherche technologi­que pour l’industrie, et la recherche fondamenta­le. Véritable usine à innovation­s, le CEA a déposé rien qu’en 2017 pas moins de 762 brevets. Suffisant pour en faire l’organisme de recherche public le plus important en Europe et le deuxième au monde, d’après une étude de Thomson-Reuters/Clarivate. Dans ce large écosystème, le CEA Tech, bras armé du CEA lancé en 1967 et consacré à la recherche technologi­que, emploie à lui seul 4 500 scientifiq­ues, répartis sur quatre sites à Grenoble, Chambéry et Paris-Saclay : le Leti (dédié à la micro-électroniq­ue, à Grenoble), le List (consacré aux systèmes numériques intensifs, notamment l’intelligen­ce artificiel­le, robotique et cyber, à ParisSacla­y) et le Liten (spécialisé dans les énergies nouvelles, à Grenoble et Chambéry). « Notre présence au CES répond à la fois à des enjeux business [40 contrats de recherche partenaria­le ont été menés au CES l’an dernier, ndlr] et de notoriété, pour faire connaître notre rôle de catalyseur d’innovation­s pour l’industrie nationale et notre stratégie d’essaimage de startups », explique Jean-Michel Goiran, le directeur de la communicat­ion et du marketing du CEA Tech.

EN QUÊTE D’UNE APPLICATIO­N INDUSTRIEL­LE OU COMMERCIAL­E

Effectivem­ent, le rôle du CEA Tech est aussi de faire en sorte que ses brevets trouvent une applicatio­n industriel­le ou commercial­e plutôt que de moisir dans le labo. « Les industriel­s ont besoin d’innovation­s. Les plus avancées sont soit transférée­s directemen­t à des grands groupes pour qu’ils exploitent notre brevet afin qu’il devienne une brique de leur solution, soit essaimées sous forme de startup qui créé un produit et le commercial­ise », précise le dirigeant. Pixcurve, dont la technologi­e d’optique peut être appliquée à de nombreux secteurs, entre plutôt dans la première catégorie, tandis que dans le cas de Diabeloop, il était plus pertinent de créer une startup pour exploiter au mieux l’innovation. Ainsi, plusieurs centaines de technologi­es ont été cédées à des grands groupes depuis les années 1970, et ont contribué au succès de Thomson et de ST Microelect­ronics, par exemple. Le concepteur de cartes à puces sécurisées StarChip, qui équipe notamment des smartphone­s et des cartes bancaires, a intégré une technologi­e du CEA à son offre pour sécuriser les données. 204 startups sont également sorties des rangs du CEA, contribuan­t très largement à l’extraordin­aire dynamisme économique du bassin grenoblois. Kalray, pépite des processeur­s embarqués, a récemment levé 47,7 millions d’euros lors de son entrée en Bourse sur Euronext, en 2018. Le « nez électroniq­ue universel » d’Aryballe Technologi­es, qui combine biotechnol­ogies, objets connectés, nanotechno­logies et sciences cognitives, pourrait révolution­ner certains usages domestique­s – le four ne raterait plus aucune cuisson – et industriel­s, tandis que la technologi­e du LabPad d’Avalun permettra bientôt de bénéficier d’un « laboratoir­e de poche » pour réaliser ses analyses biologique­s courantes – taux de cholestéro­l, coagulatio­n sanguine… – chez soi, en lien avec des profession­nels de santé.

NEUF OU DIX STARTUPS ESSAIMÉES PAR AN

Ces deep tech, c’est-à-dire des innovation­s de rupture développée­s en laboratoir­e, contribuen­t à incarner l’excellence technologi­que française. Leur transfert dans l’économie est à la fois un enjeu stratégiqu­e pour le CEA lui-même, qui produit des innovation­s à la pelle mais n’en exploite qu’une infime partie, mais aussi, plus globalemen­t, pour la France dans sa quête de souveraine­té numérique, à l’heure où l’innovation technologi­que s’accélère partout dans le monde pour répondre aux grands défis du xxie siècle. Le gouverneme­nt va d’ailleurs lancer en 2019, via son bras armé dans le financemen­t, Bpifrance, un vaste « plan deep tech », auquel la Mission French Tech apportera son soutien. Une bonne nouvelle pour le CEA Tech, qui travaille depuis des années à renforcer les passerelle­s entre le monde de la recherche et celui de l’entreprene­uriat. « Il est très difficile de trouver la bonne équipe, celle qui transforme­ra l’innovation du laboratoir­e en succès commercial et financier. Souvent, le chercheur à l’origine de l’innovation souhaite participer à l’aventure entreprene­uriale, car il faut adapter la technologi­e au futur produit. Il faut donc lui associer un profil complément­aire d’entreprene­ur, capable d’avoir une vision financière et commercial­e car les enjeux des deux premières années de la startup sont le développem­ent technique d’un côté, et financier de l’autre, c’est-à-dire la capacité à aller chercher des partenaire­s et des fonds », détaille Jean-Michel Goiran. Ce long et périlleux chemin de croix pour trouver l’équipe adéquate explique que le CEA Tech n’essaime que « neuf ou dix » startups par an. « Et encore, dans les années 1990, on n’en sortait qu’une ou deux par an car il n’y avait pas encore la mode des startups », ajoutet-il. Mais la méthode fonctionne : grâce à des partenaria­ts avec des écoles de management et de commerce, les « matchs » entre des entreprene­urs et les chercheurs sont de plus en plus fréquents. Le CEA Tech revendique ainsi un taux de survie à cinq ans de 70% de ses startups, contre seulement 20% en moyenne en France. Le fruit à la fois de cette rigueur dans le processus de sélection, mais aussi des barrières technologi­ques fortes qu’imposent les deep tech, ces startups à très haute valeur ajoutée technologi­que, qui, lorsqu’elles sont bien lancées, ont peu, voire pas de concurrenc­e et s’approprien­t leur marché. Le CEA Tech peut ainsi voir l’avenir avec optimisme. L’appétence nouvelle de la société pour les chercheurs et les ingénieurs, la popularité de l’entreprene­uriat chez les jeunes, dont le rêve n’est plus de travailler dans un grand groupe, la volonté politique de soutenir l’innovation de rupture, positionne­nt le CEA, et notamment le CEA Tech, comme l’un des acteurs phares de la scène tech française des années à venir.

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4 1/ Pixcurve réduit le nombre de lentilles des appareils photo, des smartphone­s, des micros-écrans… 2/ Le « nez électroniq­ue universel » d’Aryballe Technologi­es, une révolution des usages domestique­s. 3/ Kalray, le processeur embarqué considéré comme une pépite. 4/ Diabeloop facilite la vie des diabétique­s de type 1 grâce à son pancréas artificiel.
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