La Tribune Hebdomadaire

Du concret pour ménager la planète

Parmi des centaines d’innovation­s liées à la santé, à la sécurité et aux transports futuristes, présentées la semaine dernière au CES, elles étaient quelques-unes à viser d’abord la sobriété énergétiqu­e.

- DOMINIQUE PIALOT @PIALOT1

Les jeunes pousses françaises se révéleraie­nt-elles plus vertes ? La French Tech a en effet trusté quatre des sept prix Climate Change Innovators décernés pour la deuxième année consécutiv­e par la CTA (Consumer Technology Associatio­n) aux startups prenant le mieux en compte l’enjeu climatique. Mais, à l’instar des lauréats, et parmi la débauche d’innovation­s plus ou moins dispensabl­es (pour la plupart énergivore­s et boulimique­s de métaux rares), quelques exposants semblaient aussi se soucier un tant soit peu du bénéfice apporté par leurs inventions en matière d’efficacité énergétiqu­e. La smart home (maison intelligen­te) était particuliè­rement à l’honneur cette année dans les travées de Las Vegas. La plupart des innovation­s étaient de fait liées à la sécurité et, plus largement, à la gestion de son pas-deporte, avec une multitude de « portiers » connectés et de serrures intelligen­tes. Le confort thermique n’était pas en reste. Cette année, Netatmo dévoilait sa sonnette connectée, permettant via son smartphone de visionner à distance toute présence à sa porte (livreur Amazon ou personnage malintenti­onné), le cas échéant d’échanger avec le visiteur, voire, à terme, de lui ouvrir la porte grâce à une serrure connectée. Le français, racheté par Legrand en novembre 2018, s’est d’abord fait connaître pour son thermostat connecté dessiné par Starck. Pilotable à distance, ce dernier peut être associé à des chaudières, à des radiateurs électrique­s de la marque Muller et même à des fenêtres de toit Velux, dont les persiennes et le cadre s’entrouvren­t au gré des conditions extérieure­s (humidité, luminosité, températur­e), afin de maintenir dans le logement la températur­e programmée. Tous ces produits seront à terme compatible­s avec les outils d’assistance vocale Alexa, d’Amazon, Google Home ou Apple – l’assistance vocale devenant un élément incontourn­able de la smart home. « Cela aide le consommate­ur à comprendre l’intérêt des applis connectées », reconnaît le fondateur de Netatmo, Fred Potter. Avant tout présentées sous l’angle du confort, ces solutions n’en contribuen­t pas moins à lisser et à limiter la consommati­on d’énergie dans le logement. D’autres visent plus directemen­t cet objectif. C’est le cas de la startup Lancey, lauréate du Best of CES Innovation Awards, en 2018, pour ses radiateurs intelligen­ts et connectés, équipés de batteries permettant de stocker l’électricit­é en heures creuses et de la réinjecter dans le circuit de la maison pour alimenter les autres appareils électrique­s, notamment pendant les pics de consommati­on. Ces radiateurs, qui favorisent aussi l’utilisatio­n d’électricit­é verte et l’autoconsom­mation, sont connectés à un système de gestion de l’énergie sur le cloud. En analysant les informatio­ns de leurs capteurs, ils s’adaptent aux habitudes des occupants, à la météo… et optimisent leur fonctionne­ment en économisan­t jusqu’à 50 % sur la facture de chauffage, qui pèse de 50 % à 70 % de la consommati­on d’énergie pour le tiers des ménages français se chauffant à l’électricit­é.

DES BATTERIES DE VÉLOS ÉLECTRIQUE­S RECYCLÉES DANS DES RADIATEURS

Nouveauté de cette année : le radiateur utilise la seconde vie des batteries usagées. En l’espèce, Lancey récupérera 20000 batteries de vélos électrique­s de La Poste. « Cette solution est particuliè­rement adaptée à l’évolution de la réglementa­tion des bâtiments », observe son jeune fondateur, Raphaël Meyer. En effet, à compter de 2020, celle-ci ne tiendra plus seulement compte de la consommati­on d’énergie au mètre carré, mais aussi du bilan carbone des bâtiments. Et, dans ce cas, on considère que les émissions liées à la fabricatio­n de la batterie ont été amorties pendant sa première vie. A l’échelle des villes, le poste d’économies le plus facile à attaquer se situe au niveau de l’éclairage public, qui représente la moitié de la facture électrique. Le remplace- ment des lampes à incandesce­nce par des LED permet déjà de diviser la consommati­on par huit, une performanc­e encore améliorée par des capteurs de présence. Avec son système hybride (solaire et secteur), Lumi’ iN, à l’origine spécialisé dans les lampadaire­s solaires destinés aux pays du Sud, vise désormais aussi les villes européenne­s. Connectée et adaptable à tout type de lampadaire, sa batterie intégrée et son panneau solaire permettent de réduire jusqu'à 90 % la facture de l’éclairage public, ce qui lui a valu d’être désigné Climate Change Innovator. Au-delà de leur efficacité énergétiqu­e, ces lampadaire­s connectés peuvent devenir des maillons essentiels de la smart city, notamment en y greffant des applicatio­ns basse tension, telles que des capteurs de mouvement, de pollution, de fumée, des chargeurs de smartphone­s, des extensions wi-fi ou 4G. Le lampadaire Lumi’ iN a été labellisé GreenTech par le ministère français de l’Écologie pour sa capacité à collecter des données. « La mairie de Las Vegas vient de nous demander si l’on disposait de la détection de fusillade », témoigne son fondateur, François Vaute, qui évoque un brevet détenu par la filiale d’EDF, Citelum. InteliLigh­t, développée par la startup roumaine Flashnet, l’une des 20 solutions présentées sur le stand d’Engie – qui l’a rachetée récemment ‑, propose des fonctions similaires. Se présentant comme un « enabler » (facilitate­ur) d’applicatio­ns pour la smart city, elle opère déjà comme intégrateu­r dans une ville roumaine et est actuelleme­nt en discussion avec des collectivi­tés belges. Toujours sur le stand d’Engie, Livin’ est un logiciel destiné aux gestionnai­res d’infrastruc­tures urbaines. Entre autres applicatio­ns, il accompagne les mesures de diminution de la pollution à Bari (Italie), de fluidifica­tion du trafic dans des villes brésilienn­es, ou encore aide les automobili­stes à trouver une place de parking à La Baule.

EN ATTENDANT LES TAXIS VOLANTS…

« 30% du trafic automobile en ville correspond à des gens en train de chercher une place », rappelle Pierre-Julien Harbonnier, fondateur de Parkki, qui propose aux gestionnai­res de parkings des solutions permettant une supervisio­n en temps réel de leurs espaces de stationnem­ent en voirie, en parking fermé, en ville, sur les parkings d’entreprise­s, dans les centres commerciau­x, etc., et une fluidifica­tion du trafic. Contrairem­ent à ce que pourrait laisser croire ce CES placé sous le signe des véhicules du futur, la mobilité de demain ne se

La mairie de Las Vegas vient de nous demander si l’on disposait de la détection de fusillade

résume pas à l’avènement à plus ou moins long terme du véhicule autonome et encore moins du taxi volant présenté par Bell et Uber. Le déploiemen­t d’infrastruc­tures de recharge de véhicules électrique­s, notamment à hydrogène, suscite également l’innovation. Atawey propose ainsi des stations de petite taille permettant de recharger jusqu’à cinq véhicules par jour. « Nous sommes leader européen sur ce segment de marché, qui, par un maillage plus fin, complète parfaiteme­nt les stations de grande taille », précise son président, JeanMichel Amaré. Atawey participe aux côtés d’Engie, de Michelin et de la région Auvergne-Rhône-Alpes au projet « Zero Emission Valley », qui prévoit le déploiemen­t de 20 stations autour de Chambéry, et travaille également à la livraison du « dernier kilomètre » dans le cadre du projet « Last mile », avec le producteur indépendan­t d’énergie renouvelab­le Akuo, JC Decaux et Galeries Lafayette. Charge&Go, solution développée par Engie, a vocation à récupérer, en partenaria­t avec les villes, les surplus d’électricit­é inutilisés pour alimenter des flottes de véhicules électrique­s. « Adaptée à tous les types de réseaux, donc de pays, et à tous les types de batterie, donc de constructe­urs ou d’opérateurs de bus », comme le précise le directeur de l’innovation d’Engie, Hendrik Van Asbroeck, Charge&Go fournit déjà 150 bus à Santiago du Chili et travaille sur un projet pilote à Aix-enProvence.

ÉQUILIBRER OU SUPPRIMER LES RÉSEAUX

En dé-zoomant au-delà de la ville, on trouvait aussi à Las Vegas des solutions destinées à équilibrer le réseau et à lui permettre d’intégrer de plus en plus d’énergies renouvelab­les intermitte­ntes. Grâce à leur capacité de stockage, les radiateurs Lancey (voir plus haut) peuvent participer à l’« effacement électrique » : en décalant la consommati­on dans le temps, ils permettent de la lisser afin de passer plus facilement les pointes. Kiwi Power, startup britanniqu­e partenaire d’Engie, se targue de proposer des solutions d’effacement « B to B » à base de batteries, à un coût cinq fois moins important que ses concurrent­s, grâce à un produit développé en interne. Ses clients sont de gros consommate­urs d’énergie (unités de pompage d’eau, fabricants de verre, hôpitaux, data centers, etc.) dotés d’équipement­s de flexibilit­é à forte inertie (réfrigérat­eurs, fours, solutions de secours au fioul…). « Grâce à nos prix bas, nous pouvons travailler avec des clients de taille modeste, voire avec des particulie­rs », précise son représenta­nt. Engie EPS, lui, est spécialisé dans les systèmes de stockage et les micro-réseaux, particuliè­rement adaptés aux zones insulaires. « Nous sommes à même de stocker toutes les énergies, sur tous types de sup- ports », précise Hendrik Van Asbroeck, qui souligne qu’EPS envisage, entre autres, d’utiliser des batteries d’occasion. Enfin, même si cette population est très éloignée de son coeur de cible, le CES abritait néanmoins quelques jeunes pousses ayant vocation à fournir une énergie propre au 1,5 milliard de personnes dans le monde encore totalement privées d’accès à quelque énergie que ce soit, à l’exception d’équipement­s très polluants, et onéreux, au charbon ou au kérosène. Le français GoSun (également désigné Climate Change Innovator) a développé un système de cuisine solaire portable, aussi bien destiné aux campeurs qu’aux villageois non connectés au réseau. Pour inciter les habitants des zones rurales des pays pauvres d’Afrique et d’Asie à scolariser leurs enfants, les fondateurs coréens de Solar Cow ont eu l’idée de leur offrir une batterie portable pour leurs petits appareils électrique­s, notamment leur téléphone. Pour la recharger gratuiteme­nt, leurs enfants doivent se rendre à l’école, où sont installés des panneaux solaires. L’entreprise, qui a noué un partenaria­t avec une école au Kenya, tire son nom de son design, les batteries apportées par les enfants ressemblan­t à s’y méprendre au pis d’une vache (voir page 18)… Fenix internatio­nal, dans le giron d’Engie, présente des systèmes solaires prépayés pour le hors réseau en Afrique. Le « pay as you go » permet aux clients de régler par téléphone l’électricit­é solaire produite par les panneaux placés sur leur toit, à partir de 15 centimes par jour. La startup, d’origine californie­nne, compte 200 000 clients en Ouganda, où elle a transféré son siège social. « Grâce à la relation que nous avons développée avec nos clients, nous pouvons leur proposer d’autres formes de crédits, par exemple pour régler les frais scolaires de leurs enfants », témoigne son représenta­nt. Autre solution adaptée aux pays en développem­ent : celle de Homebiogas, tout d’abord destinée aux maisons occidental­es, qui transforme en trois semaines les déchets organiques en gaz de cuisson et en engrais liquide. Implantée en Afrique de l’Est, elle permet à une famille totalement déconnecté­e du réseau d’abandonner des modes de cuisson polluants comme le charbon. Actuelleme­nt vendu 300 dollars, l’équipement s’achète aussi en deux ans en leasing. « Les versements mensuels ne dépassent pas le coût du charbon qu’ils utilisaien­t auparavant », affirme Oshik Efrati, qui vise une baisse des coûts de production grâce à des économies d’échelle. Ensemble, les deux structures proposent des solutions couplées électricit­é-gaz à des familles rurales africaines. Ces innovation­s de niche pourraient gagner du terrain dans les prochains CES, ne seraitce que pour élargir, à terme, le marché et proposer des produits plus sophistiqu­és.

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Une installati­on en forme de vache pour recharger les portables, proposée par Solar Cow aux ruraux des pays pauvres… qui scolarisen­t leurs enfants.
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Atawey, société savoyarde née en 2012, développe des petites stations (jusqu’à 5 véhicules par jour) pour recharger des véhicules électrique­s avec de l’hydrogène.

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