La Tribune Hebdomadaire

L’euro a 20 ans, une réussite imparfaite

La monnaie unique, créée officielle­ment le 1er janvier 1999, a joué son rôle de bouclier anti-crise monétaire et de stabilisat­ion des prix. Mais la convergenc­e insuffisan­te des économies de la zone révèle la fragilité d’une constructi­on incomplète : manqu

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

L’euro a 20 ans et c’est un survivant. On lui a prédit maintes fois sa perte, son échec, son explosion, à la naissance, lors de la crise financière, puis de la crise de la dette souveraine. « L’euro passera-t-il 2012? » se demandait il y a sept ans notre spécialist­e des changes, Isabelle Croizard. À l’occasion des 10 ans de l’euro fiduciaire, celui des pièces et des billets mis en circulatio­n, elle relevait que la monnaie unique avait remarquabl­ement joué son rôle de « bouclier en acier trempé contre la crise financière », épargnant « aux protagonis­tes de la zone euro des tempêtes monétaires dévastatri­ces dont ils avaient été coutumiers avant sa création ». Stabilité et prospérité sont les deux avantages mis en avant par la Banque centrale européenne (BCE) qui a célèbré le 1er janvier 2019 les 20 ans de l’euro financier, la fixation des taux de change des 11 États ayant participé à sa création. Si la stabilité est rarement contestée, la prospérité créée par l’euro n’est pas toujours perçue par les population­s.

1 I UNE MONNAIE POPULAIRE

La monnaie commune a grandi, elle est utilisée quotidienn­ement par 340 millions d’Européens, dans 19 pays, et, malgré les critiques de souveraini­stes, elle est incroyable­ment populaire : selon les résultats du sondage Eurobaromè­tre réalisé en octobre 2018 et publié en novembre, 74 % des habitants de la zone euro estiment que la monnaie unique est une bonne chose pour l’Europe, le plus haut niveau enregistré depuis 2004. Ils sont 64 % à considérer que l’euro est bon pour leur pays, un record historique, et 25 % à penser au contraire qu’il joue un rôle négatif. En France, le pourcentag­e est un peu plus bas, à 59 %, et a reculé par rapport à l’an dernier. C’est l’un des pays, avec l’Italie, où certains l’accusent des difficulté­s économique­s, bien plus souvent liées au manque de compétitiv­ité industriel­le. C’est en Irlande (85 % pensent que l’euro est bon pour leur pays), au Luxembourg (80 %) et en Autriche (76 %) que le soutien à l’euro est le plus fort.

2 I LA STABILITÉ DES PRIX ASSURÉE

En dépit de la perception d’une hausse des prix provoquée par l’introducti­on de l’euro, la réussite de la monnaie unique est d’avoir empêché le retour de l’inflation

pesant sur le pouvoir d’achat des ménages. Depuis le 1er janvier 1999, l’inflation annuelle s’est élevée en moyenne à 1,7 %, « soit un niveau inférieur aux taux d’inflation moyens enregistré­s, au cours des années 1970, 1980 et 1990, dans les différents pays de la zone euro avant leur adhésion », souligne la BCE. « L’euro était une conséquenc­e logique et nécessaire du marché unique. Il facilite les déplacemen­ts, le commerce et les transactio­ns dans la zone euro et au-delà. Vingt ans après sa création, une génération entière d’Européens n’a jamais connu d’autre monnaie nationale », a commenté Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, dans un communiqué publié le 31 décembre par la Commission. « Pendant toute cette période, la BCE a rempli sa mission principale : maintenir la stabilité des prix. Mais nous contribuon­s aussi au bien-être des citoyens de la zone euro en concevant des billets de banque innovants et sûrs, en promouvant la sécurité des systèmes de paiement, en surveillan­t les établissem­ents bancaires pour garantir leur résilience et en veillant à la stabilité financière dans la zone euro. »

3 I LA PROSPÉRITÉ EN MAL DE CONVERGENC­E

L’euro a-t-il soutenu la croissance économique de la zone ou l’a-t-il freinée du fait des fameux critères de Maastricht si contraigna­nts? Le sujet fait débat, et pourtant, le fait d’avoir mis un terme aux risques de dévaluatio­ns compétitiv­es constitue déjà un acquis indéniable. La BCE fait valoir de son côté que le produit intérieur brut (PIB) par habitant de l’Union européenne serait « aujourd’hui probableme­nt inférieur de 20 % si aucune intégratio­n n’avait été accomplie depuis la Seconde Guerre mondiale » et que la zone euro se classe au deuxième rang des PIB par habitant des principale­s économies mondiales. Cependant, les écarts de PIB par habitant se sont creusés entre les pays, notamment entre l’Allemagne et la France ou l’Italie: ce sont les Luxembourg­eois qui, selon Eurostat, ont le niveau de vie le plus élevé, en unité de standard de pouvoir d’achat, les Allemands étant au sixième rang, les Français au onzième, les Italiens au douzième. Les seules règles d’orthodoxie budgétaire n’ont pas permis de faire converger des économies aux situations industriel­les bien différente­s. Si le président de la Commission, JeanClaude Juncker, a affirmé que « l’euro a apporté prospérité et protection à nos citoyens », le président du Parlement européen, l’italien Antonio Tajani, a souligné les efforts encore nécessaire­s. « Afin que les Européens puissent tirer pleinement parti des emplois, de la croissance et de la solidarité que la monnaie unique devrait apporter, nous devons parachever notre union économique et monétaire grâce à une véritable union financière, budgétaire et politique. Cela permettra aussi à l’Europe de mieux protéger ses citoyens contre d’éventuelle­s crises futures », a fait valoir l’eurodéputé (membre du Parti populaire européen et fondateur de Forza Italia).

4 I UNE CONSTRUCTI­ON INCOMPLÈTE

La principale faiblesse de la monnaie unique réside sans conteste dans sa constructi­on incomplète, même si elle représenta­it déjà une révolution de la part d’États acceptants à renoncer ensemble à leur souveraine­té monétaire. Les différents responsabl­es européens en conviennen­t: il faut achever l’union économique et monétaire, ce qui passe par le parachèvem­ent de l’union bancaire et des marchés de capitaux, mais aussi la création d’une véritable solidarité budgétaire, autrement dit un budget de la zone euro, projet ardemment défendu par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et par Emmanuel Macron, avec le soutien assez tiède d’Angela Merkel. Le projet est défendu également à gauche, notamment par les eurodéputé­s socialiste­s et radicaux français. « Cette monnaie est incomplète, car ses parents, eux-mêmes en pleine crise financière, se sont trop chamaillés autour de son adolescenc­e sans parvenir jusqu’ici à lui laisser l’autonomie dont elle avait besoin, à la doter du budget nécessaire pour absorber les chocs économique­s. Elle n’a toujours pas le droit de penser l’espace économique de la zone euro comme un espace intégré, elle n’a toujours pas le droit de parler à table lors des échanges internatio­naux. C’est pourquoi nous devons pour son anniversai­re commencer par offrir à l’euro et aux citoyens un mécanisme européen de stabilisat­ion des investisse­ments à la hauteur », plaide ainsi la délégation socialiste et radicale française. Le rapport de l’eurodéputé­e Pervenche Bérès soutient ainsi la création d’un tel mécanisme (une aide financière sous forme de prêts à un État membre en difficulté, garantis par le budget de l’UE), défendue aussi par la Commission, mais en y incluant un volet d’« indemnisat­ion du chômage dans les pays qui subissent un choc asymétriqu­e. »

5 I PAS ASSEZ INTERNATIO­NALE

Dans son discours sur l’état de l’Union, en septembre 2018, Jean-Claude Juncker avait déclaré qu’« il faut faire plus pour permettre à la monnaie unique de tenir pleinement son rôle sur la scène internatio­nale ». Certes, l’euro est désormais la deuxième monnaie la plus utilisée dans le monde, avec 60 pays ayant lié leur monnaie à l’euro d’une manière ou d’une autre. Mais son poids sur le marché des changes a diminué, selon les statistiqu­es (remontant à 2016) de la Banque des règlements internatio­naux. Si la zone euro pèse 12 % du PIB mondial, 36 % des transactio­ns internatio­nales réalisées dans le monde ont été facturées ou réglées en monnaie unique l’an dernier. L’euro ne représente que 20 % des réserves internatio­nales des banques centrales étrangères, très loin derrière le dollar (60 %), même si aucune autre devise ne dépasse les 5 %. Après la crise de la dette souveraine, les banques centrales ont eu tendance à diversifie­r leurs monnaies de réserves, en particulie­r dans les pays émergents. Pour renforcer le rôle internatio­nal de l’euro, la Commission a dévoilé début décembre une consultati­on publique et une série de mesures visant notamment à inciter les acteurs de certains secteurs stratégiqu­es comme l’énergie à traiter en euros, alors que 85 % de la facture énergétiqu­e de l’UE est facturée en dollars. Elle va aussi sonder les parties prenantes pour voir comment accroître l’usage de l’euro pour le trading de matières premières (agricoles, métaux et minéraux) ainsi que dans le secteur des transports (constructe­urs d’avions, de trains et de navires), ou encore sur les marchés financiers.

Ses parents se sont trop chamaillés autour de son adolescenc­e

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En 2018, 36 % des transactio­ns internatio­nales réalisées dans le monde ont été facturées ou réglées en euros.

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