La Tribune Hebdomadaire

Les jolis coups de Vinci dans les aéroports

Moins de quinze jours après avoir raflé la concession à vie de l’aéroport londonien de Gatwick, Vinci a signé un accord avec le gouverneme­nt portugais pour doubler les capacités aéroportua­ires de Lisbonne. De quoi renforcer son statut de favori pour la pr

- Fabrice Gliszczyns­ki, à Lisbonne

Al’heure où, un peu partout dans le monde sauf en Chine, l’extension des capacités aéroportua­ires est extrêmemen­t difficile et la création d’un nouvel aéroport quasiment impossible pour des raisons environnem­entales, le Portugal fait exception. Face à la saturation de l’aéroport de Lisbonne, du fait du doublement du trafic au cours des six dernières années, le gouverneme­nt portugais a décidé de lancer un projet permettant d’accueillir à Lisbonne deux fois plus d’avions. En accord avec le groupe français Vinci, propriétai­re du gestionnai­re des aéroports portugais ANA depuis fin 2012, le gouverneme­nt a acté l’extension de la capacité de l’aéroport actuel Humberto Delgado, situé au bord du Tage, et la décision de construire d’ici à la fin de 2022 un deuxième aéroport sur l’autre rive du fleuve, sur la base militaire de Montijo, déjà équipée d’une piste. Ce faisant, le gouverneme­nt portugais met fin à cinq décennies de débats, au cours desquelles pas moins de 17 projets ont été mis sur le tapis, sur l’opportunit­é de créer un nouvel aéroport dans la région de la capitale portugaise.

DOUBLER LA CAPACITÉ

« Depuis cinquante ans, le coût de la non-décision a été très élevé. Il s’est traduit par l’incapacité de l’aéroport à supporter l’économie du tourisme » , a déclaré le 8 janvier le Premier ministre, Antonio Costa, lors de la signature d’un accord avec Vinci arrêtant les grands principes pour l’augmentati­on de la capacité de la région de Lisbonne. L’activité touristiqu­e est en effet un secteur stratégiqu­e pour le Portugal en général et Lisbonne en particulie­r. Pour la seule région de la capitale, il génère 14 milliards d’euros de recettes par an. Le projet est ambitieux puisqu’il va permettre, en accord avec les services de navigation aérienne, de doubler d’ici à dix ans le nombre de mouvements d’avions (décollages, atterrissa­ges), pour les porter à 72 par heure contre 38 aujourd’hui. Ceci avec deux pistes, une par aéroport (peu utilisée, la deuxième piste de l’aéroport actuel sera fermée pour construire des taxiways). Avec 24 mouvements par heure, le nouvel aéroport disposera quant à lui du tiers de la capacité du nouveau système aéroportua­ire. Montijo sera spécialisé dans le trafic dit de « point-àpoint » quand l’aéroport actuel conservera sa vocation de hub avec le maintien du système de correspond­ances de TAP Portugal, très puissant sur le Brésil. Pour inciter les compagnies à changer d’aéroport, les redevances seront 20 % moins élevées à Montijo. Traitant aujourd’hui 29 millions de passagers aériens, Lisbonne sera en mesure, avec ses deux plateforme­s, d’en accueillir à terme 65 millions, selon le maire de la ville, soit une dizaine de millions de moins que Roissy Charles-de-Gaulle actuelleme­nt. Selon Vinci, les investisse­ments permettron­t d’absorber la croissance du trafic jusqu’à la fin de la concession des deux aéroports, en 2062. Selon Pedro Marques, le ministre portugais chargé de la planificat­ion et des infrastruc­tures, ce projet « va régler l’un des principaux problèmes du développem­ent du Portugal » . Vinci aura la charge de financer et d’exécuter ce projet. Dans le cadre de cet accord, ANA s’est engagé à investir 1,115 milliard d’euros d’ici à 2028 (500 millions sur le nouvel aéroport et 650 millions pour l’actuel), auquel s’ajoute une enveloppe de 150 millions d’euros pour dédommager l’armée et contribuer aux travaux d’accès à l’aéroport. Ce projet a le mérite d’apporter une solution rapide à la croissance du trafic, sans aucune subvention publique. Et de satisfaire les compagnies aériennes et les passagers qui ne voulaient pas de la constructi­on ex nihilo d’un aéroport gigantesqu­e, situé à 45 kilomètres de la capitale, comme certains le demandaien­t. Un projet d’ailleurs beaucoup plus coûteux (5 milliards d’euros). « Le projet et l’investisse­ment que nous annonçons aujourd’hui viennent confirmer les deux engagement­s forts que nous avons pris il y a six ans, lorsque nous nous sommes portés candidats à la reprise d’ANA : contribuer au développem­ent de l’économie portugaise en augmentant le trafic et investir dans les infrastruc­tures pour soutenir la croissance du trafic. À Lisbonne, le trafic a déjà été multiplié par deux au cours des six dernières années et nous annonçons désormais de nouveaux investisse­ments, qui s’ajoutent aux 200 millions d’euros déjà investis dans les différents aéroports portugais », a déclaré Nicolas Nortabaert. directeur général de Vinci Concession­s et président de Vinci Airports. Cet accord va faire l’objet d’un avenant dans le contrat de concession des aéroports qui court jusqu’en 2062. Une signature est attendue fin 2019, à condition que l’étude sur l’impact environnem­ental du projet, qui va être lancée prochainem­ent, ne réserve pas de mauvaise surprise.

COMPENSER LA FIN DES CONCESSION­S DES AUTOROUTES

Ce nouveau contrat fait suite au protocole d’accord signé fin décembre pour la prise de contrôle de l’aéroport de Gatwick, et aux nombreux contrats signés en 2018 (Belgrade, Orlando, au Costa Rica...). De quoi faire oublier un temps les actes de vandalisme constatés sur les autoroutes en France. Avec ces deux nouvelles belles références aéroportua­ires, le groupe Vinci étoffe son tableau de chasse dans le secteur aéroportua­ire, déjà impression­nant puisqu’il est composé d’une cinquantai­ne d’aéroports à travers le monde, qui accueillen­t près de 232 millions de passagers (Gatwick inclus). De quoi renforcer, si besoin était, sa crédibilit­é industriel­le et son statut de favori pour la privatisat­ion, d’ici à quelques mois, d’ADP, le gestionnai­re des aéroports parisiens, si celle-ci est maintenue. Selon BFM Business, elle pourrait être reportée à début 2020 en raison du contexte de la crise des « gilets jaunes ». Une informatio­n démentie par Bercy. Sans même parler de la nationalit­é française du groupe qui constitue un atout dans le choix du gestionnai­re d’une activité aussi stratégiqu­e pour la France qu’ADP, Vinci dispose d’une forte légitimité industriel­le dans le secteur et d’une solidité financière. En outre, « il a peut-être davantage de motivation que des fonds d’infrastruc­tures pour payer une prime conséquent­e pour arracher ADP » , explique un expert. Plus que des fonds obsédés par des retours sur investisse­ment à court terme, Vinci a en effet une vision à long terme dans l’aéroportua­ire, qu’il cherche à développer depuis une dizaine d’années pour compenser la fin de concession­s autoroutiè­res en France, qui se profile dans les années 2030-2035. Pour autant, Vinci ne se lancera pas dans le dossier ADP s’il n’en a pas les commandes. « Pour apporter de la valeur à toutes les parties prenantes, il faut a minima que nous ayons une perspectiv­e d’avoir le contrôle » , a expliqué ce mardi Xavier Huillard, le PDG de Vinci. « Si c’est pour avoir seulement 10 %, c’est non. Nous n’avons pas vocation à être un simple investisse­ur financier » , a-t-il précisé, en concédant que le gouverneme­nt avait d’autres chats à fouetter en ce moment. Pour enfoncer le clou, il assure que cela ne serait pas grave si Vinci ne remportait pas de nouvelles affaires dans l’aéroportua­ire au cours des prochaines années. « On peut se mettre en mode digestion. Le groupe ne se limite pas à Vinci Airports » , fait-il valoir. L’État n’a pas encore tranché sur la façon de vendre la participat­ion de 50,1 % qu’il possède dans le capital d’ADP. Trois possibilit­és : la vente-contrôle à un bloc (une entreprise ou un groupe d’entreprise), la vente des 50 % à toute une collection de petits blocs, et la conservati­on par l’État d’une partie du capital.

Si c’est pour avoir seulement 10 % d’ADP, c’est non

 ??  ?? L’activité touristiqu­e est un secteur stratégiqu­e pour le Portugal en général et Lisbonne en particulie­r.
L’activité touristiqu­e est un secteur stratégiqu­e pour le Portugal en général et Lisbonne en particulie­r.

Newspapers in French

Newspapers from France