La Tribune Hebdomadaire

Joon reste au sol

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C’est bel et bien fini pour Joon. Treize mois à peine après son lancement en grande pompe par l’ancien PDG d’Air France-KLM, Jean-Marc Janaillac, et l’ancien directeur général, Franck Terner, cette filiale d’Air France à coûts inférieurs par rapport à ceux de sa maison mère (sans pour autant être une low cost) est définitive­ment enterrée, malgré un premier exercice bénéficiai­re. Joon va être absorbée d’ici à juillet par Air France dans le cadre d’une fusion-absorption.

LES PERSONNELS NAVIGANTS INTÉGRÉS

Un accord sur l’intégratio­n des hôtesses et des stewards de Joon au sein d’Air France vient d’être signé entre la direction et les syndicats de personnels navigants d’Air France. Étant les seuls salariés de Joon, les personnels navigants commerciau­x (PNC) sont les seuls concernés par cette intégratio­n. Pilotes, agents de maintenanc­e et de commercial­isation de Joon sont en effet des salariés d’Air France travaillan­t indifférem­ment pour les deux compagnies. Les hôtesses et les stewards de Joon entreront au niveau de rémunérati­on des embauchés d’Air France et bénéficier­ont des conditions de travail en vigueur dans la maison mère. Soit une nette améliorati­on pour ces salariés qui se plaignaien­t de leur faible rémunérati­on et de leurs dures conditions de travail : la quasi-totalité du différenti­el de coûts de Joon par rapport à Air France (– 15 %) était portée par les PNC, embauchés au « prix du marché », soit à des salaires 40 % au-dessous de ceux d’Air France, avec des conditions de travail au plus bas de la réglementa­tion européenne. En revanche, leur progressio­n de carrière, comme pour toutes les nouvelles embauches, sera ralentie. Si cette concession des syndicats générera des économies pour la compagnie sur le long terme, l’intégratio­n des personnels de Joon aura évidemment un coût important. Il s’ajoutera aux mesures d’améliorati­on des conditions de travail des PNC d’Air France qui viennent d’être négociées. Joon s’arrête avec une flotte de 9 appareils de la famille A320 et quatre A340-300. Elle devait atteindre 28 appareils à l’horizon 2020, notamment dix long-courriers A350 flambant neufs.

UNE STRATÉGIE ILLISIBLE

En abandonnan­t le principal fait d’armes de son prédécesse­ur, Benjamin Smith met fin à une compagnie au positionne­ment commercial illisible. Le choix de la marque et de la qualité de service à bord était aux antipodes de l’image haut de gamme qu’avait remise en avant Alexandre de Juniac. L’absence de référence à Air France retirait en effet l’avantage de la francité (et de l’image de luxe associée), qui constitue un atout réel sur les nombreux marchés étrangers, notamment asiatiques, que Joon avait vocation à desservir pour reprendre des parts de marché aux compagnies du Golfe. C’était aussi le cas en France : une partie de la clientèle s’agaçait de réserver sur Air France, de payer le prix d’Air France, mais d’avoir un produit moins luxueux qu’Air France. Si, avec Joon, Air France pouvait attirer une nouvelle clientèle, plus jeune, plus technophil­e (les fameux « millennial­s »), elle prenait aussi le risque de perdre la clientèle fidèle à Air France. Or, Ben Smith veut jouer sur la puissance de la marque Air France et développer une stratégie haut de gamme. Pour autant, la fin de Joon et cette montée en gamme ne doivent pas faire oublier la question des coûts. La création de Joon résultait de l’incapacité d’Air France à baisser ses coûts en propre. La première permettait en effet d’exploiter de manière rentable des lignes sur lesquelles la seconde perd de l’argent et d’en rouvrir d’autres qui avaient été abandonnée­s, faute de rentabilit­é. Il y a encore dix-huit mois, 35 % des lignes long-courriers et 80 % des moyen-courriers d’Air France étaient encore déficitair­es. La problémati­que de la compétitiv­ité intrinsèqu­e d’Air France reste donc posée, alors que l’allègement du fardeau fiscal, espéré dans le cadre des Assises du transport aérien, est aujourd’hui dans les limbes avec la crise des « gilets jaunes ». Or, après la hausse de salaires de 4 % consentie en septembre à tous les personnels pour tourner la page d’un conflit social qui a coûté 350 millions d’euros au premier semestre, l’arrivée de Ben Smith se traduit davantage par une augmentati­on des coûts que par une baisse. Ils vont d’ailleurs encore grimper avec les augmentati­ons individuel­les de 1,8 % pour le personnel au sol en 2019 et la hausse de 4 % environ de rémunérati­on pour les pilotes, en contrepart­ie de mesures permettant d’améliorer la performanc­e de la compagnie.

Cette filiale était aux antipodes de l’image haut de gamme d’Air France

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L’arrêt de la compagnie à moindres coûts après treize mois d’existence repose le problème de la compétitiv­ité d’Air france.

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