La Tribune Hebdomadaire

Satellites : une menace omniprésen­te

Les destructio­ns de satellites par des missiles chinois et américains en 2017 et 2018 ont montré que l’espace est devenu un nouveau théâtre d’opérations. Les activités suspectes voire agressives se multiplien­t.

- MICHEL CABIROL @mcabirol

Armes antisatell­ites, dont les armes à effet dirigé (laser notamment), espionnage, brouillage, cyber... L’espace est bel et bien devenu depuis plusieurs années un théâtre de conflictua­lités et un enjeu stratégiqu­e majeur. Son « arsenalisa­tion », qui est crainte par la France et d’autres nations, se renforce d’année en année de façon discrète mais très fortement. La sécurité spatiale ressemble de plus en plus à la course aux armements nucléaires du début de la guerre froide... Les États puissances qui maîtrisent les technologi­es spatiales, principale­ment les États-Unis, la Chine et la Russie, mènent dans l’espace une guerre silencieus­e mais stratégiqu­e pour dominer leurs adversaire­s... et le monde. Mais pas seulement. Car l’irruption du New Space permet, à travers le concept de l’espace low cost, de faire accéder d’autres nations à des projets spatiaux, notamment dans l’observatio­n de la Terre. « Cela réduit l’écart technologi­que et opérationn­el entre les vieilles nations spatiales et les émergentes, qui entrent dans l’espace via les technologi­es civiles à bas coûts », explique un observateu­r. Mais avant cette guerre silencieus­e, il y a eu deux événements mondiaux majeurs. La Chine d’abord, puis les États-Unis, ont envoyé un message clair et sans équivoque à l’ensemble des pays ayant des satellites. En janvier 2007, les Chinois ont réussi des tirs de missiles antisatell­ites à basse altitude (800 km d’altitude) et ont détruit un

Washington ne renie pas l’éventualit­é d’une guerre dans l’espace sur le principe de la légitime défense

vieux satellite météorolog­ique, Fengyun 1C, par impact cinétique. Ce qui a d’ailleurs provoqué une multitude de débris spatiaux très dangereux pour tous les satellites en opération sur cette orbite. En février 2008, les États-Unis ont bien sûr répondu à la Chine mais plus proprement en limitant les risques de pollution des orbites opérationn­elles. Ils ont pulvérisé, à 247 km d’altitude, le satellite USA 193 en voie de désorbitat­ion, par un SM-3 Block 1, tiré du croiseur lance-missiles USS Lake Erie. La guerre de l’espace était officielle­ment lancée. Quelques mois plus tard, le chef d’état-major de l’armée de l’air chinoise estimait « historique­ment inévitable » une compétitio­n entre forces armées dans l’espace et jugeait « impératif » que la Chine y développe des moyens offensifs et défensifs. De son côté, les États-Unis, après avoir défendu le concept d’espace sanctuaris­é, sont aujourd’hui plus belliqueux avec leurs concepts de « Space control » et de « Space dominance », qui caractéris­ent leur doctrine militaire spatiale. « Washington ne renie pas l’éventualit­é d’une guerre dans l’espace sur le principe de la légitime défense et via l’introducti­on implicite de la notion de frappe préventive », observe le Secrétaria­t général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans son rapport Chocs futurs (avril 2017).

DE PLUS EN PLUS DE « SOUS-MARINS SPATIAUX »

À compter de ces deux opérations de destructio­n, l’espace est donc devenu un véritable théâtre d’opérations. Il l’était déjà avant mais, avec la destructio­n par effet cinétique des deux satellites, les militaires ont enfin pris la mesure de la menace. Le Commandeme­nt interarmée­s de l’espace (CIE), qui relève du chef d’état-major des armées, a d’ailleurs été créé le 1er juillet 2010. Le politique aussi en a pris pleinement conscience. « Le domaine spatial est aujourd’hui essentiel pour nos opérations, avait affirmé le 13 juillet dernier Emmanuel Macron dans les jardins de l’hôtel de Brienne. Par les incroyable­s potentiali­tés qu’il offre, mais également par la conflictua­lité qu’il suscite, l’espace est un véritable enjeu de sécurité nationale. » (lire plus haut) Au-delà de ces deux événements chocs, les États puissances se livrent une guerre plus discrète mais pas moins spectacula­ire par le niveau technologi­que qu’elle exige. « Les stratégies de contestati­on ou de déni d’accès prennent des formes nouvelles, avait expliqué en décembre 2017 l’ancien commandant interarmée­s de l’espace, le général JeanPascal Breton. Outre le développem­ent d’armes à effet dirigé, capables de dégrader les performanc­es de nos moyens, la maîtrise de la technique de rendez-vous dans l’espace permet de venir à proximité de capacités spatiales d’autres pays sur l’ensemble des orbites. » Environ 2 % des objets spatiaux du catalogue du Cosmos (Centre opérationn­el de surveillan­ce des objets spatiaux), qui assure le suivi et établit le catalogue des objets spatiaux en orbite, sont « des inconnus avérés », avait pour sa part révélé, lors d’un point presse en novembre 2017, le lieutenant-colonel Thierry Cattaneo, commandant du Cosmos. « Ce sont des objets qui sont là et sur lesquels personne ne communique mais dont nous avons la connaissan­ce uniquement grâce à l’exploitati­on du système Graves [Grand réseau adapté à la veille spatiale, ndlr]. Ce sont des sous-marins spatiaux, des objets qui par nature et par mission doivent rester discrets. Donc ils fondent un intérêt militaire certain », avait alors expliqué le commandant du Cosmos. Observateu­r aguerri de la guerre spatiale, le lieutenant-colonel Cattaneo avait confirmé la « multiplica­tion des activités suspectes » dans l’espace. Et de donner des exemples précis : il y a « des satellites qui devraient être géostation­naires et dont on voit qu’ils ne le sont pas, des apparition­s de drones spatiaux comme l’X37B américain, des manoeuvres de rendez-vous sur des satellites non-coopérants menées par la Chine, les États-Unis, la Russie ». Des opérations militaires principale­ment, dont le rendez-vous en orbite du satellite chinois Shijuan 15 en mai-août 2014. Les fameux cargos de l’espace ( Space Tug), qui ont une logique commercial­e de ravitaille­ment et de réparation des satellites, peuvent tout aussi dégrader un satellite cible. Tout l’enjeu du Cosmos, créé seulement en 2014 sous la tutelle de l’armée de l’air française, est d’analyser la nature accidentel­le, provoquée ou naturelle de l’événement spatial afin de pouvoir alimenter toute la chaîne décisionne­lle et politique. C’est d’ailleurs comme cela que Florence Parly a révélé en septembre dernier l’espionnage d’un satellite français par un autre de nationalit­é étrangère. Plus précisémen­t, la ministre des Armées a pour la première fois donné officielle­ment un exemple précis d’espionnage d’un satellite par un autre, en l’occurence l’engin franco-italien Athena-Fidus par le russe Louch-Olymp. Ces actes d’espionnage dans l’espace ne sont pas nouveaux. L’armée de l’air française a reconnu avoir identifié en 2012, puis 2013 et, enfin, en 2015, des engins spatiaux qui se sont approchés de satellites mili- taires français. Ces satellites sont d’ailleurs restés à leur contact pendant une période relativeme­nt longue. Très certaineme­nt pour les écouter. « Plusieurs de nos satellites ont ainsi été approchés par des objets de type satellites inspecteur­s », avait confirmé le général Jean-Pascal Breton.

UN VRAI DANGER POUR LES OPÉRATIONS DES ARMÉES

Le domaine spatial est vital pour les opérations des armées et leur réussite. Toutes les missions ou presque de l’armée française durant lesquelles elle a utilisé des missiles, en particulie­r provenant des avions, ont utilisé le système GPS. Seules certaines missions très spécifique­s et d’un domaine réservé (nucléaire) se sont affranchie­s du système spatial américain. En Syrie, par exemple, des moyens de guerre électroniq­ue brouillent les armements guidés par GPS et les systèmes d’armes et de navigation des avions français, a récemment constaté le chef d’étatmajor de l’armée de l’air, le général Philippe Lavigne. « Nous avons bien pris en compte cette menace lors de la préparatio­n du raid Hamilton [les forces françaises, avec les ÉtatsUnis et la Grande-Bretagne, ont frappé plusieurs sites en Syrie en avril, ndlr]. Si nous n’y prenons pas garde, j’estime qu’il existe un vrai risque de nous trouver privés de notre liberté d’action, et même de voir certains rapports de force s’inverser », a averti le général Lavigne. Le président du Centre national d’études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, a rappelé que la France « ne sait pas se protéger d’un satellite étranger qui viendrait fureter à proximité » des satellites français. « Certes, on peut se durcir : protection contre les tirs laser, mesures de cyber sécurité, etc ». Mais face à des satellites qui seraient vraiment hostiles, « nous serions assez démunis », a-t-il constaté. « Un satellite portant une charge explosive pourrait détruire l’un de nos satellites, a souligné le président du Cnes. L’honnêteté force à dire que nous avons connu dans l’histoire récente quelques arrêts inexpliqué­s de satellites. Les plus indulgents mettent en cause l’action d’un ion lourd ou d’une micrométéo­rite, d’autres personnes pensent qu’il y a autre chose, mais il est difficile de le savoir... »

RENOUVELLE­MENT DES CAPACITÉS SPATIALES FRANÇAISES

Florence Parly a de la chance. La ministre des Armées va bénéficier à partir de 2018 d’un renouvelle­ment quasiment complet des capacités spatiales militaires françaises. Huit satellites actuels vont être remplacés par huit nouveaux dans les prochaines années. Pour autant, la France n’a pas encore franchi le pas d’armer ses satellites. « La France est très prudente, car elle ne veut pas d’une arsenalisa­tion de l’espace – nous savons qu’un certain nombre de puissances y réfléchiss­ent de leur côté –, mais soyez bien persuadés que nous continuero­ns d’accorder une importance croissante à ce domaine et à développer les moyens nous permettant de protéger nos satellites », a expliqué en octobre 2018 à l’Assemblée nationale le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre. Grâce à son centre militaire d’observatio­n par satellite, l’armée de l’air garantit la fourniture de l’imagerie satellitai­re au pro- fit de l’ensemble du ministère, selon les priorités fixées dans les besoins en renseignem­ent ou en produits géographiq­ues. En 2016, les armées ont acquis 45 883 images de toute nature, soit environ 10 % de plus que l’année précédente. Les besoins en la matière vont croissant, en particulie­r en raison du niveau d’engagement des militaires français dans le monde. 120 images par jour en moyenne ont été prises sur toute la surface du globe.

LA FRANCE DANS LE PELOTON DE TÊTE EN MATIÈRE DE RENSEIGNEM­ENT

La France va se doter du nec plus ultra en matière de renseignem­ent. Le système spatial Ceres (Capacité de renseignem­ent électromag­nétique d’origine spatiale) avec ses trois satellites, donnera aux forces armées une cartograph­ie exhaustive des activités électromag­nétiques globales. Clairement, ces satellites vont permettre à la France de maîtriser les systèmes de télécoms et de radars ennemis. Il sera mis en service fin 2020. Dans le domaine de l’observatio­n spatiale, les deux satellites militaires Helios 2, lancés en 2004 et 2009, et les deux satellites Pléiades, lancés en 2011 et 2012, permettant d’observer de jour et de nuit (infrarouge), seront remplacés par trois satellites CSO (Composante spatiale optique). Ces trois satellites apporteron­t des améliorati­ons significat­ives par rapport aux satellites Helios en termes de précision, de qualité, de temps de revisite. D’une durée de vie théorique de l’ordre de dix ans, ces satellites, qui permettent l’acquisitio­n d’image à très haute résolution, seront lancés en 2018 (mi-décembre), en 2020, puis en 2021. Les capacités de renseignem­ent dans le domaine spatial seront complèteme­nt renouvelée­s. Et tous les programmes de renouvelle­ment de ces capacités de renseignem­ent seront lancés dès 2023. En matière de télécoms, le ministère des Armées prépare le programme Syracuse 4, qui est un système de communicat­ions sécurisées. Il doit permettre le maintien de la permanence des communicat­ions sur le territoire national et avec des zones prioritair­es d’intérêt, ainsi qu’avec les bâtiments à la mer, en tout temps (paix, crises ou catastroph­e majeure). Le programme comprend la réalisatio­n de deux satellites qui remplacero­nt, à horizons 2021-2023, les satellites Syracuse 3A et Syracuse 3B actuelleme­nt en orbite. Enfin, dans le domaine de la surveillan­ce de l’espace exo-atmosphéri­que, les moyens de veille des orbites basses Graves et Satam (Système d’acquisitio­n et de trajectogr­aphie des avions et des munitions) seront modernisés en priorité, bénéfician­t des opportunit­és de coopératio­n européenne en la matière, et le système d’informatio­ns spatiales (SIS) sera amélioré. Il renforcera ainsi la capacité d’élaboratio­n de la situation spatiale.

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Certains événements spatiaux considérés comme accidentel­s sont parfois en réalité le résultat de menées hostiles.
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Les cargos de l’espace ( Space Tug), qui ont une logique commercial­e de ravitaille­ment et de réparation des satellites, peuvent tout aussi dégrader un satellite cible.

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