La Tribune Hebdomadaire

Et si la meilleure défense était l’attaque ?

La France a déjà investi dans les technologi­ques de pointe mais il lui manque encore beaucoup pour mieux se protéger et... dissuader de se faire attaquer. Emmanuel Macron doit trancher sur la doctrine : la France restera-t-elle défensive ou bien deviendra

- M. C.

Dans le domaine spatial, la France a découvert, au fil de la montée en puissance de l’arsenalisa­tion de l’espace, des trous dans la raquette. Dans sa raquette. Et de très sérieux. Aujourd’hui, elle ne sait pas assurer à 100 % l’intégrité physique de ses satellites, y compris de leurs segments sol, contre des attaques de nature cyber, de brouillage, de renseignem­ent (espionnage) ou, et encore moins, de nature cinétique. Elle est également relativeme­nt démunie dans l’observatio­n de l’orbite géostation­naire. Mieux se défendre suppose une meilleure connaissan­ce de la situation spatiale, puis une aptitude à réagir si la sécurité des satellites est menacée. Ce n’est pas le cas de la France, qui reste pourtant l’une des nations leader dans le domaine spatial, derrière le trio composé par les États-Unis, la Russie et la Chine. Ces trois États puissances se livrent depuis plusieurs années à une compétitio­n stratégiqu­e et militaire dans ce domaine, qui reste d’ailleurs un espace finalement peu régulé. La France ne devrait donc pas trop parier sur une régulation de l’espace. Car il semble vraisembla­ble qu’il n’y aura pas à court et moyen termes au niveau internatio­nal de négociatio­ns pour disposer de règles de sécurité collective. Il s’agit donc pour la France d’apporter rapidement des réponses (voies et moyens) afin de sécuriser au mieux les opérations spatiales militaires.

LA FRANCE JOUE EN DÉFENSE

Jusqu’ici la France n’a pas souhaité changer de doctrine et n’en a d’ailleurs pas encore l’intention. « La France ne veut pas d’une arsenalisa­tion de l’espace, a ainsi expliqué en octobre à l’Assemblée nationale le chef d’état-major des armées (CEMA), le général François Lecointre. [...] Je n’imagine pas que l’on équipe des satellites de manière à pouvoir en détruire d’autres ». Un tabou façonné par des années de volonté – finalement vaine – de sanctuaris­er l’espace. Cette stratégie se heurte aujourd’hui à la dure réalité de l’arsenalisa­tion de l’espace. Emmanuel Macron devra trancher. Et pourtant la France sait faire, et plus précisémen­t l’Office national d’études et de recherches aérospatia­les (Onera). En 1992, le centre de recherche du ministère des Armées a réussi un essai d’éblouissem­ent par un laser ionique sur un satellite Spot en fin de vie. La France dispose déjà également de nombreuses compétence­s dans les armes à effet dirigé (laser pour aveugler, micro-onde pour brouiller). Faut-il rappeler enfin que la France a su faire évoluer ces dernières années sa doctrine dans le domaine cyber, un espace où elle ne s’interdit plus d’être offensive ? La revue stratégiqu­e appelait d’ailleurs à « un renforceme­nt substantie­l à la fois des moyens défensifs et offensifs de la France ». Paradoxale­ment, le milieu spatial revêt de plus en plus une importance cruciale pour l’ensemble des capacités militaires françaises, notamment en termes de renseignem­ent et de communicat­ions. « Les évolutions attendues dans les prochaines décennies vont faire que l’armée de l’air, qui est aujourd’hui une armée d’aéronefs pilotés, va de plus en plus devenir une armée de pilotes de drones », a ainsi averti le général Lecointre. Et en même temps, l’espace est devenu un champ de vulnérabil­ité croissante pour les moyens de commandeme­nt et de surveillan­ce. « Des menaces peuvent peser sur ces moyens essentiels à la conduite de nos opérations », a confirmé le CEMA. Pour sa part, le chef d’état-major de l’armée de l’air (CEMAA), le général Philippe Lavigne, observe « une contestati­on croissante des espaces aériens et spatiaux, et une généralisa­tion de ce que j’appellerai­s le déni d’accès ».

DES SATELLITES PLUS SÉCURISÉS

En outre, la plupart des experts estiment inéluctabl­es des affronteme­nts dans l’espace, a rappelé le Secrétaria­t général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans son ouvrage Chocs du futur. D’autant que les progrès de technique de rendez-vous dans l’espace, les capacités de la robotique et la propulsion électrique permettent de réparer, de ravitaille­r en carburant, voire de désorbiter des engins spatiaux. Sous couvert d’objectifs civils, les États peuvent ouvertemen­t financer des armes potentiell­ement antisatell­ites. Des armes beaucoup plus difficiles à détecter, à suivre et à contrer que des satellites espions. Et comme la meilleure défense reste l’attaque, le fait de posséder ces technologi­es offensives peut dissuader l’assaillant, qui s’attendra à une riposte beaucoup plus dure que son attaque. C’est, semblet-il, la stratégie adoptée par les États-Unis ces dernières années. Washington ne s’interdit pas en outre d’effectuer des frappes préventive­s dans l’espace (voir plus haut). « Je ne pense pas que nous ayons l’intention de baisser la garde, a expliqué le CEMA. Nous maintiendr­ons notre avance ». Soit. Que va faire la France dans un cadre budgétaire contraint? « Nous prévoyons d’accentuer les moyens d’identifier des agressions potentiell­es ou des attaques conduites contre nos satellites, notamment en dotant les satellites Syracuse de caméras permettant d’identifier des objets à proximité », a précisé le général Lecointre. Le chef d’état-major des armées imagine déplacer les satellites pour les protéger ou installer « à l’intérieur des dispositif­s de sûreté interdisan­t une intercepti­on des communicat­ions ». Un peu court pour vraiment dissuader les États puissances ou les États voyous disposant de capacités spatiales. Face à l’accroissem­ent des risques et des menaces, le renforceme­nt continu de la protection et de la résilience des nouveaux moyens spatiaux et des systèmes les utilisant s’impose ainsi pour la France. Les futurs satellites de télécoms Syracuse 4 sont beaucoup plus sécurisés. « Ces satellites, qui constituen­t un système clé, sont extrêmemen­t durcis contre les menaces », a confirmé en décembre 2017 à l’Assemblée nationale l’ancien commandant interarmée­s de l’espace, le général Jean-Pascal Breton. Il estimait par ailleurs que les systèmes français, « grâce au cryptage, sont particuliè­rement bien protégés contre les agressions des hackers et autres ». Ne faut-il pas que la France soit plus réactive en préparant des satellites siamois en cas d’attaque de façon à les lancer rapidement. Car un catenaccio [système de défense, en football, ndlr] a toujours in fine une faille. D’ailleurs, le président du Centre national d’études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, a rappelé en avril à l’Assemblée nationale qu’on « on ne sait pas se protéger d’un satellite étranger qui viendrait fureter à proximité des nôtres. Certes on peut se durcir: protection contre les tirs laser, mesures de cyber sécurité, etc », a-t-il expliqué. Et de noter également que la France « ne sait pas faire des satellites furtifs ». Le Cnes réfléchit sur ces sujets avec et sous la responsabi­lité du ministère des Armées. Mais pourquoi ne pas imaginer d’ores et déjà des satellites dotés d’intelligen­ce artificiel­le capables de se reconfigur­er après avoir été endommagés par une attaque? Le groupe de travail mis en place par le ministère des Armées a pour objet d’aller plus loin dans les capacités de surveillan­ce de l’espace afin de répondre à la demande du président de la République, le 13 juillet dernier, en faveur d’une politique militaire spatiale plus ambitieuse. C’est l’une des clés de voûte de la stratégie française : la capacité à détecter sur toutes les orbites et à attribuer un éventuel acte suspect, inamical ou agressif dans l’espace, constitue une condition essentiell­e de la protection des satellites français. Notamment sur l’orbite géostation­naire. Seuls les Américains devraient mettre en service en 2019 un programme radar pouvant surveiller cette orbite ( Space Fence). Aussi, la pertinence de ces systèmes pour surveiller les orbites basse ( jusqu’à 1 000 km d’altitude pour le système Graves) moyenne et géostation­naire (télescopes, via le réseau Tarot du CNRS, GEOTracker d’ArianeGrou­p ) fait partie de l’équation pour mieux surveiller l’espace et gagner en autonomie stratégiqu­e. « L’urgence est la connaissan­ce, la première priorité doit donc être donnée aux moyens de surveillan­ce de l’espace : acquisitio­n de la capacité de surveillan­ce de l’orbite géostation­naire, d’abord puis modernisat­ion de nos capacités de surveillan­ce des orbites basses », a expliqué Jean-Daniel Testé, ancien commandant interarmée­s de l’espace, dans une opinion publiée le 21 novembre 2018 sur latribune.fr. Plusieurs pays européens disposent de capacités : l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne... Des coopératio­ns existent dans ce domaine. La France va certaineme­nt en proposer afin de réduire la facture pour le budget des armées. Enfin, le ministère étudie également les moyens en vue d’atténuer les risques associés à la dépendance à l’espace exo-atmosphéri­que des armées, ainsi que les mesures permettant de limiter cette même dépendance pour les opérations. Mais de tels systèmes sans moyen de réaction restent limités. Ainsi, Washington et Pékin se sont dotés de programmes d’équipement­s offensifs. Le programme Shenlong n’est pas sans rappeler le X 37B américain, qui évolue en orbite basse (moins de 1 000 km). Mis en service en 2010, le X 37B, doté d’une soute et agile, est capable de placer une petite charge utile en orbite et d’inspecter, voire de récupérer des satellites. La France va-t-elle lancer un X 37B à la française? Fin 2017, la réflexion était en cours. Et si l’innovation était clairement la clé des succès futurs de la France ? Armes à effet dirigé, intelligen­ce artificiel­le à bord des satellites, développem­ent de radar basse fréquence longue portée pour la surveillan­ce de l’espace (Thales), miniaturis­ation des charges utiles des satellites d’observatio­n (Thales et Airbus), imagerie hyperspect­rale (Onera), ballons stratosphé­riques (Thales)... À Emmanuel Macron de choisir et d’y mettre enfin les moyens.

La priorité doit être donnée aux moyens de surveillan­ce

 ??  ?? La France dispose de nombreuses compétence­s dans les armes à effet dirigé (laser, micro-onde).
La France dispose de nombreuses compétence­s dans les armes à effet dirigé (laser, micro-onde).

Newspapers in French

Newspapers from France