Entretien Olivier Becht : « La France doit avoir des armes dans l’espace »
Auteurs d’un rapport sur le secteur spatial de défense, Olivier Becht (Agir) et Stéphane Trompille (LRM) plaident pour une stratégie spatiale à la fois défensive et offensive. Olivier Becht évalue le coût d’un renforcement des moyens spatiaux militaires à
Dans votre rapport, vous préconisez un changement de doctrine de la politique spatiale militaire française. Vous plaidez pour une politique offensive. Pourquoi ?
OLIVIER BECHT – Nous considérons que l’espace est un champ de conflictualités. Partout où l’homme est allé, il a amené la guerre. Dernièrement, il l’a amenée dans le cyber, qui est le dernier espace dans lequel il s’est investi. Il n’y a donc pas de raison que l’espace soit exclu de ce champ de confrontations. Nous partons d’ailleurs du principe que la guerre dans l’espace a déjà commencé sous des formes d’espionnage, de hacking de satellites, et plus généralement sous une forme d’« arsenalisation » de l’espace. Les Américains ne s’en cachent pas du tout. Nous allons vers une arsenalisation de l’espace parce que les Chinois, les Russes poursuivent également cette stratégie.
Mais pas la France qui est pourtant l’une des puissances spatiales majeures dans le monde...
... À partir de ce constat, la France doit définir une doctrine globale: si ses intérêts, ou peut-être demain ceux de l’Europe, sont attaqués dans l’espace, il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de réponse offensive à la fois dans l’espace ou dans un autre milieu. Nous plaidons pour une doctrine globale, qui part du principe que ce qui se passe dans l’espace est susceptible de nous affecter sévèrement. Il suffit seulement de constater l’influence énorme qu’ont aujourd’hui les satellites civils dans le domaine des transports, des transactions bancaires, des téléphones, de l’Internet, de la télévision. Si nos satellites devaient être shootés dans l’espace, il y aurait beaucoup de choses qui s’arrêteraient sur Terre et le chaos ne serait pas loin. De la même manière, la France ne peut pas bâtir demain des systèmes globaux de données comme elle l’a fait avec le programme Scorpion ou comme elle le fera avec SCAF, sans se protéger dans l’espace. Car ces systèmes de systèmes dépendent des satellites pour les échanges de données, en vue notamment d’un emploi et d’un usage des armes. Si ces satellites sont attaqués, la France doit évidemment pouvoir riposter sur Terre ou dans l’espace. Le meilleur moyen pour neutraliser la menace est que la France se donne les moyens d’avoir des armes dans l’espace.
Cette stratégie a un coût. La France en a-t-elle les moyens ?
Son coût n’est pas aussi élevé que cela. Nous avons chiffré entre 2 et 3 milliards d’euros les efforts qui seraient nécessaires sur une ou deux lois de programmation militaire (LPM) pour arriver à un niveau de défense satisfaisant dans le domaine spatial. Quand vous comparez cette enveloppe avec le coût d’autres équipements, la politique spatiale ne coûte pas cher. La France va investir 300 milliards dans la défense rien que sur cette LPM. Nous sommes en train de renouveler toute notre flotte de satellites de défense pour un coût vraiment raisonnable (3,5 milliards d’euros).
Que préconisez-vous pour augmenter les capacités spatiales de la France ?
Ces efforts passent bien sûr par la surveillance de l’espace, ce qui représente environ 1 à 1,3 milliard d’euros. Il faut à la France deux nouveaux systèmes Graves [Grand réseau adapté à la veille spatiale, ndlr], un pour remplacer l’actuel en métropole et un autre qui pourrait être installé en Guyane sur l’axe équatorial pour surveiller les orbites basses. Nous devons également renforcer notre réseau de télescopes, qui permet de surveiller les orbites géostationnaires. Nous sommes convaincus qu’il faut deux à trois télescopes supplémentaires au système Tarot exploité par le Cnes et le CNRS. Soit 300000 euros par télescope environ. Nous pensons qu’il faut dupliquer le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) du Mont Verdun pour augmenter sa résilience, en en construisant un deuxième dans le Pacifique, en NouvelleCalédonie ou en Polynésie. Cela nous paraîtrait être un signal intéressant pour surveiller ce qui se passe sur le plan géopolitique dans la zone Asie-Pacifique.
Et pour les armes offensives ?
Différents types de lasers peuvent équiper à l’avenir des satellites ou des centres ter- restres. Les lasers de type ionique sont capables d’affecter les capteurs, et donc de neutraliser momentanément un satellite. La France pourrait utiliser des lasers classiques qui peuvent détruire, grâce à une frappe chirurgicale, un équipement sur un satellite. Par ailleurs, sur le domaine capacitaire, la France a éventuellement besoin d’une mini-navette de type X-37B (ÉtatsUnis) qui pourrait être développée à partir du projet de l’Agence spatiale européenne Space Rider. Elle pourrait être équipée de bras articulés, voire de lasers. Enfin, des CubeSat pourraient être développés pour tenir le rôle de chiens de garde vis-à-vis de certains satellites.
Pourquoi la feuille de route de l’Onera [Office national d’études et de recherches aérospatiales, ndlr] est-elle intéressante dans le cadre de la politique spatiale ?
Surtout par la mise en place d’un certain nombre de démonstrateurs et par la rénovation du radar Graves. Le drone spatial de type Altair développé par l’Onera et financé dans le cadre du programme européen H2020 nous paraît particulièrement intéressant. Il permettrait de lancer très rapidement des satellites dans l’hypothèse d’une neutralisation de moyens de lancement classiques.
Avez-vous le sentiment que le président et le gouvernement sont enclins à réviser la doctrine spatiale de défense ?
En tout cas, Stéphane Trompille et moimême recommandons dans notre rapport une stratégie à la fois défensive et offensive. Il y a déjà une prise de conscience des enjeux et il existe une volonté très claire de stratégie spatiale de défense. Les militaires sont plutôt favorables à une doctrine globale qui soit à la fois offensive et défensive. Maintenant, c’est au président de la République, qui est le chef des armées, et au gouvernement, qui fixe la politique de défense de la France, de décider.