La Tribune Hebdomadaire

Crédit Mutuel-Arkéa : le dialogue de sourds s’amplifie

La confédérat­ion de la banque mutualiste a rompu les discussion­s avec le groupe régional brestois qui souhaite prendre son indépendan­ce. Arkéa a proposé un « protocole de séparation » qui ne remplit pas les conditions exigées par l'organe central. Bercy r

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

Dans la guerre interne qui déchire le Crédit Mutuel depuis cinq ans, la bataille de communiqué­s de presse a repris dès les premiers jours de l’année, après des mois de discrétion à la demande des autorités, lassées de voir deux camps s’éreinter par journaux interposés. Le pic avait été atteint au printemps, après que plus de 300 caisses locales du Crédit Mutuel Arkéa avaient voté à 94 % en faveur de l’indépendan­ce en avril dernier ( La Tribune du 25 mai 2018). Lundi 7 janvier, à l’issue d’un conseil d’administra­tion, le groupe brestois Arkéa, composé des fédération­s de Bretagne et du Sud-Ouest, et de celle, plus petite, du Massif central (qui ne souhaite pas quitter le giron du Crédit Mutuel), a exprimé son « incompréhe­nsion suite à la décision de la Confédérat­ion nationale du Crédit Mutuel (CNCM) de rompre de manière brutale et unilatéral­e les discussion­s » Réplique deux jours plus tard de l’organe central de l’ensemble mutualiste, dénonçant « le refus des dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa de dialoguer sur la base de l’unité » et de prendre en compte ses exigences formulées en juin dernier. « Six mois plus tard, le conseil d’administra­tion de la Confédérat­ion constate qu’il n’a été saisi d’aucun projet de désaffilia­tion », fait valoir la CNCM dans un communiqué du 9 janvier. « Si les dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa voulaient persister dans leur projet de sécession, il leur appartiend­rait de déposer un projet de désaffilia­tion intégrant les demandes de l’organe central. » Arkéa a rétorqué dans la journée pour « s’étonner » de cette réaction et rappeler que la demande de désaffilia­tion n’interviend­rait qu’à « l’issue du vote des caisses locales sur les modalités et conséquenc­es » de la sortie, prévu par la suite, « lorsque le dossier complet sera finalisé » avec les superviseu­rs, autrement dit l’Autorité de contrôle prudentiel et de supervisio­n (ACPR, adossée à la Banque de France) et la Banque centrale européenne (BCE). « C’est un peu comme le Brexit : il faut négocier un accord de retrait, puis le soumettre au vote », analyse un haut fonctionna­ire. Les superviseu­rs ont demandé de nombreuses précisions sur le schéma de séparation envisagé, dévoilé en juin, notamment sur les parts sociales et la migration des caisses locales, qui transférer­aient tous leurs actifs dans des succursale­s « miroir », filiales d’Arkéa. À l’issue des nombreuses itérations, le document remis à l’ACPR et à la BCE est désormais un copieux mémo de 800 pages ! Arkéa espère obtenir un feu vert dans quelques semaines et croit pouvoir « imaginer raisonnabl­ement un vote début 2019 », selon une source proche de la direction. Le dos- sier est complexe, mais « il ne nous empêche pas de dormir », confie, très détendue, une source haut placée chez le superviseu­r français. La banque régionale et le groupe mutualiste se portent, il est vrai, fort bien.

UN « PROTOCOLE DE SÉPARATION » SUR LA TABLE

Le ton du communiqué de la Confédérat­ion du 9 janvier s’avère en réalité bien moins martial que celui employé dans un courrier cinglant adressé le 19 décembre par le président de la Confédérat­ion, Nicolas Théry, et le directeur général, Pascal Durand, au gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, et à la directrice générale du Trésor, Odile Renaud-Basso, courrier qui avait fuité dans la presse. Les dirigeants prévenaien­t que le prochain conseil d’administra­tion de la Confédérat­ion allait prendre acte « qu’il convient de clore ce dossier après quatre années de conflit inutile » et affirmaien­t qu’il était de la responsabi­lité de la Confédérat­ion, mais aussi des autorités de supervisio­n, « de cesser de perdre un temps précieux sur un dossier qui ne repose aujourd’hui sur aucune demande sérieuse ». Autrement dit, à travers ce courrier, également adressé en copie à Bercy, Mati- gnon, l’Élysée, la BCE et Arkéa, la Confédérat­ion demandait le soutien des autorités pour tordre le cou au projet de sortie d’Arkéa. En février 2018, il y a près d’un an, Bercy avait publié un communiqué expliquant que le gouverneme­nt ne souhaitait pas modifier la loi existante (le Code monétaire et financier qui régit le statut des groupes mutualiste­s) et que les pouvoirs publics partageaie­nt les conclusion­s de la mission de Christian Noyer, affichant sa préférence pour le maintien de l’unité. La Confédérat­ion a-t-elle reçu une fin de non-recevoir ou un appel au calme? Toujours est-il que son communiqué ne parle aucunement de fin des négociatio­ns ni de fermeture du dossier. « Les discussion­s sont closes », confirme cependant une source proche de la Confédérat­ion. Du moins, « cette phase de négociatio­n », sachant que les pouvoirs publics avaient poussé les deux parties au dialogue. Les deux camps avaient échangé, par le biais de leurs avocats respectifs, jusqu’à la mi-décembre. Arkéa a transmis le 12 décembre un projet de « protocole de séparation » aux pouvoirs publics, adressé le lendemain à la Confédérat­ion, qui a refusé de signer l’engagement de confidenti­alité, jugé « contraire à l’esprit mutualiste. » Et donc de prendre connaissan­ce des conditions financière­s de la sortie proposées par Arkéa. « Les positions sont assez éloignées », reconnaît une source proche des pouvoirs publics, avec un sens certain de la litote.

LA CONFÉDÉRAT­ION DEMANDE 1,7 MILLIARD D’INDEMNITÉS

Dans ce courrier, que La Tribune a pu consulter, la Confédérat­ion indique qu’elle réclame 1,7 milliard d’euros d’indemnités, un montant astronomiq­ue à l’échelle des ressources d’Arkéa (qui a dégagé en 2017 un produit net bancaire de 2 milliards d’euros et un bénéfice net de 428 millions), et ce afin « notamment de recréer un réseau en Bretagne et en Aquitaine », de « couvrir le préjudice subi » et de « compenser l’ensemble des coûts de l’opération liés au conflit et à la désaffilia­tion. » Cette demande « ne repose sur aucun fondement juridique », constitue « une manoeuvre qui s’apparente à une tentative d’extorsion » et est « incompatib­le avec les exigences prudentiel­les présentées à la BCE », arguent les dirigeants d’Arkéa dans un courrier en réponse qu’ils ont adressé aux responsabl­es de la Banque de France, du Trésor et de la BCE, et dont nous avons obtenu une copie. En coulisses, l’échange d’amabilités a ainsi repris de plus belle. « La Confédérat­ion réclame à la fois des indemnités pour le passé et le futur. Elle a intérêt à charger la barque et à obtenir le maximum de contrepart­ies dans ce divorce », observe une source proche du ministère.

C’est un peu comme le Brexit : il faut négocier un accord de retrait, puisle soumettre au vote

Quitte à affaiblir dangereuse­ment le « sécessionn­iste » ou à faire échouer le projet. Pas très mutualiste dans l’esprit! L’organe central met notamment en avant « l’exigence légale et réglementa­ire de couverture nationale » qui lui incomberai­t. Cette obligation ne figure pas telle quelle dans le Code monétaire et financier, la Confédérat­ion la déduisant de sa compétence nationale et d’un jugement du Tribunal administra­tif de Paris évoquant « une répartitio­n équilibrée des caisses sur l’ensemble du territoire national. » La CNCM nous explique qu’elle en conclut que « toute renonciati­on de la Confédérat­ion de maintenir (ou de reconstitu­er) le réseau Crédit Mutuel sur l’ensemble du territoire national pourrait être jugée illégale ». Une interpréta­tion qui donne matière à débat. L’affaire risque de ne pouvoir se résoudre que devant un tribunal. « Il y aura des rendez-vous contentieu­x. C’est le juge qui tranchera », prédit un haut fonctionna­ire au fait du dossier. L’agence Moody’s a d’ailleurs publié le 14 janvier une note soulignant que la rupture des négociatio­ns par la Confédérat­ion était « négative pour la note de crédit » du groupe Crédit Mutuel du fait « de risques accrus de contentieu­x » : l’agence de notation pointe que, si la Confédérat­ion est légitime à poser ses conditions, elle ne peut « bloquer une sortie sur des conditions qui pourraient être considérée­s sur le plan juridique comme un abus de pouvoir ». À Bercy, on martèle que « le ministre ne souhaite pas être l’arbitre d’un conflit de droit privé » et encore moins « politiser le dossier », qui avait suscité la montée au créneau de nombreux élus locaux et parlementa­ires, y compris LRM, l’an dernier.

À L’ORDRE DU JOUR : LA MOBILITÉ DES CLIENTS ET L’EMPLOI

Outre le montant des indemnités, l’autre point de désaccord difficile à trancher porte sur un éventuel accord de coexistenc­e pacifique : Arkéa – qui s’est engagé à renoncer à la marque Crédit Mutuel et vient de signer un contrat de « naming » de dix ans de l’Arkéa Arena à Bordeaux – a demandé que les marques Crédit Mutuel de Bretagne et Crédit Mutuel du SudOuest ne soient pas utilisées sur ses territoire­s pendant dix ans ! Un terrain d’entente sur une phase de transition, de dix-huit mois à deux ans par exemple, semble cependant possible à trouver. Les autres différends ne paraissent pas insurmonta­bles. Quand la Confédérat­ion demande « la mise en place d’outils permettant le transfert des clients voulant res- ter au Crédit Mutuel », Arkéa affirme être prêt à discuter sur « la mobilité des clients et sociétaire­s » – sachant que le dispositif de la loi Macron sur la mobilité bancaire facilite grandement le changement de banque. Mais Arkéa précise qu’il doit s’agir de « concession­s réciproque­s », ce qui impliquera­it que cette mobilité soit possible pour les 30 caisses du Massif central (dont 27 ont voté en octobre pour rester Crédit Mutuel). Or la Confédérat­ion avance que « le Crédit Mutuel du Massif central [...] n’a rien à faire dans ce débat ». L’organe central demande aussi un « engagement d’absence de plan social pendant cinq ans », tandis qu’Arkéa, qui emploie près de 10 000 personnes, s’est engagée au « maintien des emplois ». Le groupe brestois a d’ailleurs fait de ce point l’un des arguments de son projet d’indépendan­ce, contre un risque présumé de suppressio­ns de postes en cas de maintien au sein du groupe Crédit Mutuel, qui accentuera­it la centralisa­tion autour du plus puissant ensemble, l’Alliance Fédérale (ex-CM11CIC, dont le siège est à Strasbourg). La Confédérat­ion exige aussi un engagement sur l’absence de sanction contre les salariés ayant pris position en faveur du maintien au sein du Crédit Mutuel. Elle réclame aussi un « processus démocratiq­ue » lors du prochain vote dans chaque caisse, à bulletins secrets, à l’issue d’un débat contradict­oire, alors que des manoeuvres ont eu lieu pour empêcher des opposants de s’exprimer. Là aussi, Arkéa a promis de faire des « propositio­ns constructi­ves » sur le déroulemen­t de la consultati­on. Le chemin vers l’indépendan­ce semble encore semé d’obstacles pour Arkéa mais « pas impossible », analyse une source proche des pouvoirs publics. Le calendrier d’un vote début 2009 paraît en revanche très optimiste.

Il y aura des rendez-vous contentieu­x. C’est le juge qui tranchera

 ??  ?? Depuis cinq ans, entre Arkéa et le Crédit Mutuel, c’est l’escalade, verbale et judiciaire.
Depuis cinq ans, entre Arkéa et le Crédit Mutuel, c’est l’escalade, verbale et judiciaire.

Newspapers in French

Newspapers from France