La Tribune Hebdomadaire

Air France mise sur la clientèle « premium »

Pour assurer la pérennité de la compagnie française, Ben Smith, le nouveau DG d’Air France-KLM, va lancer un vaste plan de montée en gamme. Un projet osé et coûteux dans un environnem­ent ultraconcu­rrentiel.

- FABRICE GLISZCZYNS­KI @FGliszczyn­ski

Cibler la clientèle capable de payer un prix élevé pour ses billets d’avion, les voyageurs profession­nels notamment : c’est la stratégie long-courrier pour Air France fixée par Benjamin Smith, le directeur général canadien d’Air FranceKLM. « Nous faisons clairement le choix d’orienter notre stratégie sur ce segment “premium” », a-t-il annoncé aux salariés dans un courrier envoyé mercredi 9 janvier. D’une manière générale, Ben Smith renoue avec la chaîne des temps puisque, au cours de ses 85 ans d’histoire, Air France a été le plus souvent à la pointe en termes de services. Sur une période plus courte, le Canadien renoue avec la stratégie de montée en gamme déployée par Alexandre de Juniac, PDG d’Air France-KLM puis d’Air France de novembre 2011 à juillet 2016, puis reléguer en arrière plan par son successeur, Jean-Marc Janaillac. La présidence de ce dernier (mi 2016-mai 2018) s’est essentiell­ement focalisée sur le lancement, fin 2017, de la filiale Joon, une marque et une qualité de service aux antipodes de l’image de haut de gamme. Pour Ben Smith, se focaliser sur la clientèle « haute-contributi­on » permet de relancer cette image haut de gamme associée à la marque Air France et d’espérer augmenter les recettes pour compenser une structure de coûts élevée. Dans ce schéma, Joon n’avait pas sa place et va disparaîtr­e.

UNE DIVERSITÉ DE CONFIGURAT­IONS CABINES DANS LES AVIONS

Pour autant, le défi est de taille. Non seulement parce que la concurrenc­e est rude sur ce marché exigeant et coûteux, mais aussi parce qu’Air France part de loin. Si la qualité de service des hôtesses et des stewards et la restaurati­on à bord n’ont, dans leur ensemble, rien à envier aux meilleures compagnies, il en va différemme­nt pour l’aménagemen­t des cabines et la qualité des sièges de la majorité des avions long-courriers de la compagnie. Ben Smith déplore : « Nous sommes actuelleme­nt la seule compagnie major qui n’offre pas encore de produits cohérents ou de sièges “full flat” en Business », des sièges convertibl­es en lit en classe affaires, lancés par British Airways en… 1999. En effet, seuls 51 appareils long-courriers disposent en classe affaires d’un tel siège et d’une configurat­ion de cabine full access – qui permet à chaque passager d’avoir accès à l’un des deux couloirs de l’avion sans devoir enjamber un autre voyageur. Soit moins de la moi- tié de la flotte long-courrier d’Air France, composée de 106 gros-porteurs. Ces avions (44 B777 rénovés et sept B787 neufs), sont en effet les seuls à avoir été aménagés en fonction des standards de qualité du programme de remontée en gamme « Best », lancé par Alexandre de Juniac en 2014. Les autres proposent encore, en classe affaires, des sièges dits « toboggans » qui ne se transforme­nt pas en lit, et une configurat­ion de cabine sans full access. Dans les B777 dits « 42J » (pour 42 classes affaires, le « J » correspond­ant à la lettre précisant la classe affaires sur la carte d’embarqueme­nt), des passagers sont même coincés au milieu de deux autres. Certes, 15 A330 sont en cours de réaménagem­ent. Il n’empêche. Le produit à bord n’est pas homogène et le passager peut tomber sur le meilleur comme sur le pire. Cela, Ben Smith n’en veut plus. Et il a décidé de prendre le taureau par les cornes en généralisa­nt les sièges convertibl­es en lit en classe affaires, et en réduisant le nombre de configurat­ions de cabine. « Notre offre actuelle est encore trop complexe : la diversité de nos configurat­ions cabines la rend peu lisible par nos clients comme par nos équipages », regrette Ben Smith.

RELOOKING DES CABINES ET PROGRAMME DE VOLS ADAPTÉ

Un vaste plan d’aménagemen­t des cabines d’avion va être lancé pour augmenter le nombre de sièges dans les classes dites « haute contributi­on » (première classe, classe affaires et classe Premium Economy, qui se situe entre la classe affaires et la classe économique), au détriment de la classe économique, dont le service devrait être réduit. Selon nos informatio­ns, cette redistribu­tion des sièges va essentiell­ement profiter à la classe Premium Econony, qui va prendre plus d’espace dans les avions. La différence de services avec la classe économique sera beaucoup plus marquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le nombre de sièges en classe affaires pourrait, quant à lui, ne progresser que légèrement. La généralisa­tion des full flat beds (et peut-être d’un plus grand nombre de sièges en full access) prendra en effet beaucoup plus d’espace qu’aujourd’hui dans la cabine. Même si son marché reste difficile, la première classe sera conservée, davantage pour son statut de vitrine que pour les marges qu’elle génère. Néanmoins, le nombre d’appareils équipés d’une telle cabine restera stable, entre 25 et 30. En plus de ce relooking des cabines, le Canadien veut organiser le programme de vols pour mieux coller aux attentes des passagers « premium ». Il souhaite par exemple que chaque ligne soit exploitée par le même avion mais aussi que la compagnie soit en mesure de proposer au moins un vol quotidien avec une classe affaires équipée de full flat beds sur les lignes les plus importante­s d’Amérique du Nord et d’Asie, assurées de plusieurs vols par jour. Enfin, Ben Smith insiste sur la robustesse opérationn­elle. La ponctualit­é ne peut que renforcer la fidélité de la clientèle recherchée. Le nombre d’avions de réserve sera doublé pour remplacer le plus rapidement possible un avion qui a un problème technique.

L’EXEMPLE DE BRITISH AIRWAYS

Cette orientatio­n stratégiqu­e vers la clientèle haut de gamme n’est pas sans poser question. Certes, elle ressemble à bien des égards à celle mise en place avec succès par British Airways au début des années 2000. Mais les situations ne sont pas comparable­s. British Airways s’appuyait sur un marché « premium » à Londres supérieur au marché parisien, et sur un réseau de destinatio­ns homogène, centré sur l’Amérique du Nord, un marché par ailleurs protégé à l’époque par l’accord de Bermudes II qui limitait la concurrenc­e entre Londres et les États-Unis. Aujourd’hui, Air France se bat dans un environnem­ent concurrent­iel intense et exploite un réseau vaste, mondial et hétérogène, composé à la fois de lignes « affaires », « loisirs », voire d’un mix des deux. De fait, pour certains observateu­rs, une homogénéis­ation de la flotte avec des cabines destinées aux passagers « hautecontr­ibution » n’est pas forcément compatible avec l’hétérogéné­ité du réseau. Ni d’ailleurs avec la saisonnali­té des flux de trafic. « En juillet et en août, il n’y a pas un homme d’affaires dans les avions », fait remarquer l’un d’eux. Depuis quelques années, Air France dispose d’un certain nombre d’avions sur lesquels la configurat­ion des cabines est modifiée en fonction de la saison (« quick change »). Reste à savoir si cette pratique sera poursuivie. D’autres pointent encore les dangers d’une telle stratégie en cas de retourneme­nt du marché sur le plan économique : cette clientèle « premium » est souvent la première impactée. Surtout, se pose la question du financemen­t d’une telle stratégie, sachant que le prix catalogue d’un siège de classe affaires s’élève

Une homogénéis­ation de la flotte n’est pas forcément compatible avec l’hétérogéné­ité du réseau

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France