La Tribune Hebdomadaire

Vision Ralentir... ou trouver son rythme, par Andréa Gourmelen et Jeanne Lallement

L’injonction au ralentisse­ment néglige un point essentiel : l’aspect individuel de notre rapport au temps. Et vous, êtes-vous polychroni­que ou monochroni­que ? Faites le test !

- PAR ANDRÉA GOURMELEN UNIVERSITÉ DE MONTPELLIE­R ET JEANNE LALLEMENT UNIVERSITÉ DE LA ROCHELLE Cet article se fonde sur une recherche publiée dans la revue Recherche et Applicatio­ns en marketing répertoria­nt et synthétisa­nt les travaux de chercheurs en mark

Arrêtez le multitaski­ng pour être plus productif », « Ralentir pour réussir », tels sont les titres accrocheur­s des magazines, des programmes des organismes de formation, des coachs en développem­ent personnel ou encore des blogueurs/youtubeurs qui nous proposent de nous apprendre à mieux gérer notre temps, pour retrouver une certaine sérénité dans notre vie quotidienn­e. Certes, certaines statistiqu­es mettent en évidence un besoin de conseils en matière de gestion du temps : dans une enquête réalisée début 2018, Harris Interactiv­e indique que 53 % des Français déclarent qu’ils aimeraient ralentir leur rythme de vie. Cette aspiration se heurte au fait que 65% d’entre eux estiment manquer souvent de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée. Aussi, cette tendance à la slow life (ralentisse­ment du rythme de vie) et à éviter le multitaski­ng (ne pas faire plusieurs choses à la fois) semble se dresser comme une offensive à la société où tout s’accélère, telle que décrite par le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, en 2010, dans son ouvrage Accélérati­on. Une critique sociale du temps. Mais devons-nous tous ralentir?

CONNAIS-TOI TOI-MÊME

Tout comme l’éloge de la rapidité, celui de la lenteur part d’une injonction basique de type : « Tout le monde devrait ralentir ! » Dans la société actuelle, tout est fait pour que nous allions plus vite (des moyens de transport en passant par le débit Internet, ou, plus récemment, les assistants virtuels, etc.). De plus en plus connectés, sollicités, nous voyons les tâches se succéder rapidement, sans avoir le temps de répondre à toutes les sollicitat­ions. Faut-il alors tous ralentir? Peut-on vraiment se le permettre ? Cette injonction au ralentisse­ment néglige un point essentiel : l’aspect individuel de notre rapport au temps. Nous ne sommes pas tous égaux face au temps qui passe et son ressenti : certains aiment faire plusieurs choses à la fois, pourquoi les en empêcher? Certains n’aiment pas planifier leurs activités, pourquoi les forcer ? Certains aiment aller vite, pourquoi les forcer à ralentir ? Face à toutes ces tendances antagonist­es, d’un multitaski­ng encensé puis décrié, d’une accélérati­on à une slow life, il apparaît normal d’être perdu. C’est tout simplement parce que le rapport au temps est complexe, pas uniquement lié à la société, mais également à l’individu lui-même et aux situations qu’il est amené à vivre. Autrement dit, chacun a son propre rapport au temps : mieux vaut se connaître plutôt que succomber à des modes qui ne nous correspond­ent pas (exemples : la slow life pour quelqu’un aimant être pressé, le multitaski­ng pour quelqu’un n’aimant faire qu’une chose à la fois).

TEST : ÊTES-VOUS POLYCHRONI­QUE ?

Quel est votre rapport au temps qui passe ? Êtes-vous plutôt orienté vers le futur, le passé? Aimez-vous faire plusieurs choses en même temps? Parce que le rapport individuel de chacun au temps qui passe influence le comporteme­nt, les chercheurs en sciences de gestion ont développé des échelles mesurant ce rapport individuel au temps. Ainsi, pour savoir si vous ne devez faire qu’une chose à la fois ou plusieurs tâches en même temps, vous pouvez tout simplement vous poser la question de ce que vous aimez, c’est-à-dire dans ce cas, d’évaluer votre degré de polychroni­cité. Pour ce faire, rien de plus simple, il suffit d’indiquer votre degré d’accord avec chacune des phrases suivantes sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord): • Je préfère travailler sur plusieurs projets chaque jour, plutôt qu’en finir un seul puis passer au suivant. • Quand j’ai plusieurs missions, j’aime passer de l’une à l’autre plutôt que d’en réaliser une à la fois. • Je m’implique bien plus dans ce que je fais si je peux basculer entre diverses tâches. • Je préfère travailler sur plusieurs projets que de concentrer mes efforts sur un seul. • Lorsque je dois terminer une tâche, j’aime bien le faire en alternant avec d’autres tâches. (Test adapté de « The Multitaski­ng Preference Inventory », d’Elizabeth M. Poposki et Frederick L. Oswald, 2010) Plus votre score est élevé, plus vous vous retrouvez dans les phrases présentées, et donc plus vous êtes ce que l’on appelle un polychroni­que. C’est-à-dire que vous prenez plaisir à être multitâche. C’est votre nature profonde, indépendam­ment des circonstan­ces. Dans ce cas, vous avez tout intérêt à choisir un mode d’action multitâche. Inversemen­t, si majoritair­ement vous n’êtes pas d’accord avec ces phrases, vous devriez vous concentrer sur une tâche à la fois, car vous êtes un monochroni­que. Notre rapport au temps est personnel, mais également multifacet­te. Les exemples concernant la notion de ralentisse­ment, de multitaski­ng, de planificat­ion des activités sont aujourd’hui ceux qui posent le plus question dans notre vie quotidienn­e. Or, ils ne constituen­t qu’une partie de notre rapport au temps individuel.

UN RAPPORT AU TEMPS QUI DICTE NOS COMPORTEME­NTS

En 2018, nous avons cherché à effectuer un tour d’horizon des multiples facettes de notre rapport au temps. Il en ressort que bon nombre de nos comporteme­nts sont dictés par notre rapport individuel au temps qui passe de manière générale ou spécifique­ment au passé, au présent ou au futur. Par exemple, donner de son temps à autrui (bénévolat) une fois à la retraite dépendrait de la manière dont on perçoit le temps restant à vivre lorsque l’on vieillit. Il en va de même pour l’achat de produits d’épargne, impliquant nécessaire­ment une projection dans le futur, lorsque nous viendrons à disparaîtr­e et qu’il faudra ainsi transmettr­e un patrimoine. Concernant le temps présent, aimer faire deux choses en même temps (la polychroni­e), ou encore se sentir stimulé par le fait d’être pressé (ou inversemen­t, détester être pressé) aura un impact sur le choix d’un format de magasin pour les courses alimentair­es. De nombreux choix de notre quotidien sont, bien souvent inconsciem­ment, dictés par notre rapport au temps individuel, par ces « traits de personnali­té liés au temps » que nous venons d’évoquer. Ils sont ancrés plus ou moins profondéme­nt en nous. Ainsi, certaines tendances en matière de gestion du temps peuvent aller à l’encontre de notre personnali­té! D’où nos difficulté­s à suivre certains conseils : chassez le naturel, il revient au galop!

LES EFFETS DU TEMPS D’ATTENTE

Parallèlem­ent, la perception d’une durée qui s’écoule varie également selon le contexte et l’activité dans lesquels l’individu se trouve. Le plus souvent, elle n’a rien à voir avec la durée réellement écoulée. Schématiqu­ement, le temps inoccupé paraît plus long. Pensez, par exemple, au temps d’attente en caisse. La musique, les couleurs, la présentati­on de l’informatio­n (comme le temps d’attente estimé), influencen­t grandement la durée perçue. Enfin, les activités complexes ou nouvelles entraînent une surestimat­ion du temps pour les effectuer. Mais là encore, il est difficile de généralise­r les effets de ce temps d’attente, car tout est fonction de notre rapport individuel au temps. Dans la file d’attente d’une caisse de supermarch­é, ceux qui aiment planifier leurs tâches s’impatiente­ront peut-être, au vu du retard pris dans leur to-do list du jour (liste de tâches à faire), tandis que les polychroni­ques, adeptes du multitaski­ng, en profiteron­t peut-être pour répondre à leurs e-mails! Alors, que faire? Ralentir? Faire plusieurs choses en même temps? Accélérer? Finalement, dans la société moderne qui nous propose de ralentir à tout prix, c’est sans doute plus l’adéquation entre son temps individuel et son comporteme­nt qui est la source de la satisfacti­on.

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53 % des Français aimeraient ralentir leur rythme de vie et 65 % d’entre eux estiment manquer de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient dans une journée.
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