Comment réinventer l’écologie ?
En dépit d’une mobilisation généralisée, les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front du climat et de la biodiversité. Pourtant, les pistes pour inverser la tendance ne manquent pas.
Réenchanter le monde, réinventer Paris… La sémantique de l’époque traduit la nécessité d’insuffler de nouveau du rêve, de l’espoir, voire de l’utopie. Faut-il réinventer l’écologie ? Issu du grec oikos, « demeure », et logos, « science », ce terme désigne la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent. Il recouvre aujourd’hui de multiples réalités : des ONG plus ou moins radicales, des citoyens engagés, des politiques et des élus de tous bords, et même des chefs d’entreprise qui inventent de nouveaux modèles et entraînent l eurs troupes avec eux. De l’apparition d’un premier candidat écologiste à l’élection présidentielle française de 1974 (René Dumont, pionnier en matière d’écologie politique) jusqu’à l’absence de tout candidat en 2017, en passant par le score record d’Yves Cochet en 2002 (5,25 %) ou l’apogée du mouvement aux élections européennes de 2009 (avec 16,28 % des suffrages pour la liste emmenée par Daniel Cohn-Bendit, contre 16,48 % pour le PS), l’histoire de l’écologie politique française est émaillée de luttes intestines. On peut choisir d’y voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. À propos du développement durable dans l’entreprise, d’aucuns estiment que le sujet aura réellement gagné ses lettres de noblesse lorsque la « direction du développement durable » n’existera plus mais aura irrigué de ses thèses tous les départements. En politique, l’absence de candidat vert au scrutin suprême peut être le signe que les idées écologistes se sont tant et si bien diffusées dans les partis traditionnels qu’il n’est plus besoin pour les défendre d’un parti dédié. Mais pour le think tank transpartisan La Fabrique écologique, ni l’existence d’un parti politique écologique, ni la prise en charge de la thématique par les partis traditionnels ne constituent des solutions adéquates, et il faut « imaginer de nouvelles formes d’action et de représentation politique correspondant aux profondes mutations en cours de l’économie et de la société ». Ces dernières années, essentiellement en raison de leur impact en matière de santé publique, et le développement des réseaux sociaux aidant, les citoyens se sont approprié de nombreux sujets affé- rents à l’écologie. Le lien entre pollution de l’air, des eaux ou des sols, congestion automobile et mauvaises pratiques industrielles ou agricoles est mieux compris. Sur fond de crises sanitaires, la souffrance animale, l’agriculture productiviste, la malbouffe et le gaspillage alimentaire forment un tout auquel les consommateurs se montrent toujours plus sensibles.
TOUS MOBILISÉS
L’appétence pour des produits durables ou des aliments de saison et de proximité, la préférence pour des modes de distribution en circuits courts dépassent de plus en plus le seul cercle des « écolosbobos ». De leur côté, les entreprises sont toujours plus nombreuses à comprendre que le choix de pratiques environnementales, sociales et de gouvernance plus vertueuses, fût-ce au prix d’investissements amortis sur de plus ou moins longues durées, voire de profonds bouleversements de leurs modèles économiques, répondaient aux attentes de leurs clients (particuliers comme entreprises), mais aussi à celles des jeunes recrues qu’elles s’efforcent d’attirer. Sans oublier la garantie d’une gestion des risques plus rigoureuse. Le monde de la finance lui-même se verdit peu à peu au-delà du microcosme de l’investissement socialement responsable, comme l’illustre le mouvement de désinvestissement des industries fossiles et de verdissement des portefeuilles, ou encore la multiplication des émissions d’obligations vertes tournées vers des projets respectueux du climat et de l’environnement. Quant aux élus locaux, ils adoptent des objectifs toujours plus ambitieux en matière d’énergies renouvelables ou d’émissions de CO2. C’est le cas des maires d’une centaine de villes dans le monde en pointe contre le changement climatique et regroupées au sein du réseau C40, aujourd’hui présidé par la maire de Paris, Anne Hidalgo. En Europe, de plus petites villes et certaines communautés de communes rurales ne sont pas en reste, tandis qu’aux États-Unis, de nombreux États s’engagent, d’autant plus volontaristes face aux positions climatosceptiques affichées par Donald Trump et son administration, et au détricotage systématique de la politique environnementale de Barack Obama. Du citoyen lambda à certains chefs d’État (à l’instar d’Emmanuel Macron, qui clame haut et fort un Make our planet great again), le climat mobilise de plus en plus large- ment. Surtout depuis décembre 2015 et la signature de l’accord de Paris, lors de la COP21. Mais depuis, les écologistes tentent de porter un autre sujet, la biodiversité, ambitionnant de lui donner autant d’importance que le climat dans l’agenda politique et l’opinion publique. Ils misent en particulier sur la COP15, la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, organisée par la Chine en 2020, et sur un « accord de Pékin » qui pourrait devenir le deuxième pilier d’une stratégie de préservation de la biosphère.
VIT-ON LA SIXIÈME EXTINCTION DE MASSE DE L’HISTOIRE ?
Pourtant, en dépit de cette mobilisation autour de ces deux grandes croisades actuelles, que certains opposent mais qui souvent convergent, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Les émissions de CO2, qui, pour respecter l’accord de Paris (hausse maximale de la température moyenne de + 2 °C), doivent impérativement atteindre un plafond d’ici à 2050 avant de décliner dans la seconde moitié du xxie siècle, sont reparties à la hausse depuis 2017, pour atteindre un niveau record en 2018. La tendance s’accélère : + 1,6 % en 2017 et + 2,7 % en 2018. À Paris, les experts de Météo France prédisent une hausse de la température de 4 °C en hiver et 5 °C en été dans la capitale à l’horizon 2071-2100 si rien n’est fait pour modifier radicalement nos comportements. Quelques j ours avant la COP23 en novembre 2017, 15 000 scientifiques de 184 pays poussaient un cri d’alarme sur l’état de la planète dans la revue
Une appétence qui dépasse le cercle des “écolos-bobos”