La hausse de la taxe carbone! en suspension
Les pistes foisonnent pour tenter de rendre acceptable l’augmentation de la Contribution climat énergie, stoppée face à la colère des « gilets jaunes ». Mais le débat semble plus inflammable que jamais.
DOMINIQUE PIALOT « N
oussom mes entrés dans ce moment [la crise des « gilets jaunes », ndlr] suite à une hausse de la fiscalité et ce n’est sans doute pas par une hausse de la fiscalité qu’on répon
dra à la colère qui s’est exprimée. » C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, restituait les propos du président de la République en Conseil des ministres le 13 février dernier. Une réaction aux déclarations de plusieurs ministres et députés de la majorité, et à la publication dans Le Figaro d’un appel à « une
fiscalité carbone juste » signé par 86 députés emmenés par l’ex-LRM Matthieu Orphelin. C’est en effet la hausse de cette taxe, prévue au 1er janvier comme chaque année depuis 2015, qui a mis le feu aux poudres en novembre et donné le coup d’envoi du mouvement des « gilets jaunes ». Instaurée en 2014 (après avoir été retoquée par le Conseil constitutionnel en 2000 puis 2009), cette « Contribution climat énergie » (CCE) de son vrai nom, est l’une des composantes de la TICPE (Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques). La loi de transition éner- gétique de 2015 en fixe une trajectoire devant aboutir à environ 100 dollars la tonne de CO2 en 2030, que le gouvernement actuel avait décidé d’accélérer d’environ 10 euros par an. De 30,50 € en 2017 et 44,60 € en 2018, elle aurait ainsi dû passer à 55 € en 2019. Bien plus que celle de la CCE, c’est la hausse du prix du baril à l’automne dernier, ainsi que le rattrapage du diesel sur l’essence, qui ont renchéri le prix à la pompe. Mais la « taxe carbone » a cristallisé le mécontentement. Après avoir tenté de rester ferme sur la fiscalité écologique, présentée comme l’un des axes forts de sa politique, puis annoncé un moratoire de six mois, le gouvernement a fini par geler purement et simplement la taxe à 44,60 €.
REDISTRIBUTION ET TRANSPARENCE
Mais nombreux sont ceux qui planchent sur les moyens de renouer avec la trajectoire de hausse, dont la suspension crée un trou dans le budget de l’État et limite les fonds disponibles pour la transition énergétique. I4CE (Institute for climate economics), qui étudie depuis des années les exemples étrangers, a rappelé dans une note d’octobre 2018 les conditions d’une fiscalité carbone bien acceptée par la population. Car les exemples de taxes (65 % des cas) ou de quotas efficaces ne manquent pas. Ils ont généré 32 milliards de dollars en 2017. C’est le cas dans des régions aussi diverses que la Colombie britannique, la Suède, l’Irlande, la Suisse… Partout où cela fonctionne, la taxe a été instaurée dans la transparence et inscrite dans un narratif explicitant l’objectif poursuivi et la destination des revenus générés. Par nature régressive (frappant en proportion plus fortement les faibles revenus), elle s’accompagne de contreparties sociales et sert au moins partiellement à financer des projets en lien avec la transition écologique. L’exemple le plus fameux est celui de la Colombie britannique, dans l’Ouest canadien. D’abord mal reçue, la taxe, instaurée dans le respect de la neutralité de revenu, est désormais plébiscitée par les deux-tiers de la population. Ses recettes sont intégralement redistribuées aux ménages les plus précaires et aux entreprises. Le ministre des Finances a d’ailleurs conditionné 15 % de sa rémunération à la transparence de cette redistribution. Entre 2008 et 2012, la consommation d’énergies fossiles a baissé de 17 % quand elle augmentait de 1 % dans le reste du Canada. Surtout, la province a connu sur cette période une croissance écono- mique de 16 %. Depuis le 1er janvier dernier, la taxe a été étendue à l’ensemble du pays. En France, aucun de ces principes n’a été respecté&: instauration de la taxe en catimini, versement de l’intégralité des recettes au budget de l’État, exemptions accordées aux transports routier et aérien, faiblesse relative de la fiscalité appliquée aux sites industriels les plus émetteurs soumis au mécanisme européen de quotas (dont le cours est actuellement d’environ 22 euros quand la taxe carbone aurait dû passer à 55 € au 1er janvier). Le flou de la politique de transition écologique (retard sur les objectifs en matière d’énergies renouvelables, hausse des émissions de gaz à effet de serre, recul sur le glyphosate, etc.), n’arrange rien. « On manque d’une perspective d’ensemble crédible » , regrette Alain Grandjean, cofondateur du cabinet Carbone 4.
DES PISTES POUR SORTIR DE LA NASSE
À l’échelle mondiale, seulement 4 % des revenus de la fiscalité carbone sont directement transférés aux entreprises et aux ménages. Plutôt que sur la mise à disposition de solutions alternatives (voitures et chaudières moins polluantes, rénovation énergétique…), c’est sur cette piste que travaillent aujourd’hui les ONG environnementales françaises .« Dans la situation actuelle, nous plaidons pour un remboursement direct aux cinq
ou six premiers déciles » explique ainsi Meike Fink, responsable « transition climatique juste » pour le Réseau action climat. Les remboursements seraient faits de façon forfaitaire en fonction du lieu d’habitation et de la composition des ménages, sur la base d’une typologie précise. Les ONG planchent aussi sur une nouvelle dénomination qui refléterait mieux une fiscalité carbone devenue plus transparente et équitable. Quelque chose comme « contribution climat solidaire ». D’autres réfléchissent au rétablissement d’une forme de TICPE flottante ou à un élargissement supplémentaire du chèque énergie. Mais ces pistes sont décriées par certains, au motif qu’elles réduisent à néant l’objectif premier de la fiscalité carbone, qui n’est pas de générer des revenus