Air France-KLM!: je t’aime, moi non plus
TRANSPORT AÉRIEN Air France-KLM se dote d’une nouvelle organisation, plus intégrée. Les tensions entre les deux compagnies posent la question de sa mise en oeuvre.
Àla veille de son quinzième anniversaire, Air France-KLM cherche un nouvel élan. Après la crise de gouvernance qui avait suivi l’an dernier la démission de Jean-Marc Janaillac, le PDG de l’époque, à la suite d’un référendum perdu pour éteindre un conflit salarial à Air France, le groupe, sous la houlette de son nouveau directeur général, le Canadien Ben Smith, est en pleine reconstruction. Si les tensions sociales semblent apaisées au sein de la compagnie française depuis son arrivée en septembre dernier, la relation entre Air France et KLM, les deux filiales d’Air France-KLM, est en revanche à réinventer après avoir touché le fond ces dernières semaines. Le bras de fer entre la maison mère et sa filiale KLM autour du renouvellement de Pieter Elbers à la tête de la compagnie néerlandaise, et d’une manière plus large autour de la place de KLM au sein du groupe, a provoqué une cassure nette entre Air France-KLM et sa filiale hollandaise. Menaces de grève envoyées par la direction de KLM aux membres du conseil d’administration du groupe"; manifestations et pétition des salariés"; campagne médiatique savamment orchestrée": le soutien apporté à Pieter Elbers et à la défense des intérêts hollandais a été tout aussi surréaliste que brutal. Ben Smith va devoir désormais réconcilier deux visions opposées du groupe qui empoisonnent la vie d’Air FranceKLM depuis le rachat de KLM par Air France en 2004. La sienne, qui prône davantage de coopération entre les deux transporteurs, et celle du maintien de l’autonomie de KLM, soutenue jusqu’ici bec et ongles par Pieter Elbers. Une situation qui, sur le fond, ressemble à celle de Renault-Nissan, dont le modèle avait inspiré les pères fondateurs d’Air France-KLM. À la différence près que, contrairement au groupe automobile, les tenants d’une logique d’intégration l’ont cette fois emportée. Mardi 19 février, le conseil d’administration d’Air FranceKLM a en effet validé la stratégie de Ben Smith, confiant au groupe le pouvoir de décisions sur plusieurs secteurs stratégiques clés, comme la flotte, le réseau de destinations, les alliances, les activités
« Il est difficile d’imaginer Pieter Elbers incarner le changement qui se dessine »
commerciales, des ressources humaines, les achats, le digital et la gestion des données clients. Pour sauver son poste, Pieter Elbers s’est résigné à l’accepter. Il sera ainsi reconduit à la tête de KLM et même nommé au même titre que la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, au poste de directeur général adjoint d’Air FranceKLM. Dans le même temps, Ben Smith, entrera au conseil de KLM. Ce sera le premier patron exécutif du groupe à le faire. Jusqu’ici, la compagnie néerlandaise avait toujours refusé. LES DEUX HOMMES NE S’APPRÉCIENT PAS Pour autant, les choses sont loin d’être arrangées. Trouver un accord est une chose, l’appliquer en est une autre. La défiance est telle entre les deux camps qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui les deux compagnies travailler main dans la main en un claquement de doigts. « Il va falloir reconstruire, cela ne va pas être simple » , reconnaît un cadre d’Air France-KLM. « Les manifestations de soutien des salariés à Pieter Elbers à l’initiative du top management et des syndicats, et les interventions politiques ont révélé ce que vivent depuis des années les personnels d’Air France et d’Air France-KLM!: l’obstruction quotidienne et les blocages permanents de KLM au nom de la défense des intérêts néerlan-
dais. Tout cela vient du haut de l’entreprise » , assure la même source. Une question se pose donc. Pieter Elbers va-t-il jouer le jeu"? Étiqueté « KLM First » comme son état-major et les syndicats, peut-il du jour au lendemain adhérer réellement au projet de Ben Smith"? « Il est en effet difficile de l’imaginer incarner le changement qui se dessine » , admet un bon connaisseur du groupe. La question se pose d’autant plus que le courant ne passe pas entre Ben Smith et lui. C’est un secret de polichinelle, les deux hommes ne s’apprécient pas. Dirigeant avec succès KLM depuis cinq ans, Pieter Elbers supporterait mal qu’un ancien numéro 2 d’Air Canada, légèrement plus jeune que lui (47 ans, contre 48 ans), soit le grand boss. SEPT ANNÉES DE PERTES Comment reconstruire par ailleurs une relation quand des habitudes et l’état d’esprit qui règnent chez KLM depuis l’origine du groupe ne poussent pas à les remettre en cause, parce qu’elles apportent à la compagnie hollandaise une place et une influence très forte au sein du groupe"? « Ils ont toujours fait ce qu’ils voulaient », « ils ont la
réalité du pouvoir » , entend-on depuis des années chez Air France. Cette autonomie remonte aux origines d’Air France-KLM. Dès le début du rapprochement en 2004, la compagnie tricolore a en effet toujours caressé KLM dans le sens du poil pour instaurer un climat de confiance. Alors qu’elle ne pesait qu’un tiers du chiffre d’affaires, KLM a obtenu immédiatement la parité dans les organes de management. Comment reconstruire enfin un groupe quand les irritants chez KLM ne semblent pas se dissiper ? Et notamment le principal d’entre eux": la piètre performance financière d’Air France qui, aux yeux du camp hollandais, fragilise le groupe et donc KLM. Au cours des dix dernières années, les personnels de KLM se sont arraché les cheveux en voyant la situation d’Air France s’étioler sous leurs yeux": sept années de pertes opérationnelles consécutives entre 2008 et 2015 au cours desquelles la compagnie française a perdu plus de deux milliards d’euros"; des grèves à répétition entre 2014 et 2018 qui ont coûté 1 milliard d’euros"; une augmentation de capital d’Air France par Air FranceKLM à hauteur de 760 millions d’euros en 2015 pour maintenir les fonds propres à flots"; une valse des PDG... Tous ces éléments ont forcément joué dans la prise de distance de KLM à l’égard d’Air France, dont l’incapacité à se réformer risquait, pensait-on aux PaysBas, de l’entraîner elle aussi dans le gouffre. « Tant qu’Air France n’améliora pas ses résultats, il y aura des tensions » , reconnaît un Français. Dans ce contexte, les mesures prises à ce jour par Ben Smith à Air France n’ont pas dû rassurer les Hollandais. Pour apaiser le climat social, le Canadien a dû en effet sortir le carnet de chèques. Quoi qu’il en soit, Air France et KLM n’ont pas d’autre choix que de s’entendre. Dans un marché mondial en pleine consolidation, leur avenir passe par l’appartenance à un groupe capable de jouer un rôle de pilier européen au sein d’un système d’alliances mondial. KLM a donc plutôt intérêt à jouer le jeu. D’autant plus qu’un départ semble impossible puisqu’il faudrait l’assentiment de la maison mère. Surtout, KLM, qui a énormément profité de ce rapprochement, aura du mal à trouver une alliance aussi bénéfique et aussi respectueuse de ses intérêts.