La Tribune Hebdomadaire

À Lyon, les auto-écoles contre-attaquent face aux plateforme­s

- VINCENT LONCHAMPT

ENQUÊTE. Fragilisée­s par les plateforme­s en ligne qui pratiquent des tarifs cassés, plusieurs auto-écoles lyonnaises dites « traditionn­elles » répliquent en revoyant en profondeur leur modèle économique. À l’exemple de plusieurs entreprise­s en mode startup qui visent à faire revenir les apprentis conducteur­s dans leurs agences en misant sur les innovation­s.

Les auto-écoles n’ont pas beaucoup de solutions pour faire face à l’ubérisatio­n de la profession. Soit on continue à se plaindre et à manifester, mais cela ne changera rien et nous fermerons boutique, soit on décide de diversifie­r nos activités pour lutter concrèteme­nt contre les plateforme­s en ligne » , affirme Charles Abadi, le fondateur de la toute jeune société lyonnaise 8 Miles, qui se présente comme la première auto-école multiservi­ce de France. Ouverte en septembre dernier dans le 6e arrondisse­ment, elle entend proposer des tarifs proches de ceux du Web (avec une première formule du permis affichée à 799 euros) grâce à la multiplica­tion de ses sources de revenus : service de carte grise, location de véhicules autoécoles, conseil à l’achat d’un véhicule d’occasion, récupérati­on de points ou encore permis bateau. En résumé, une auto-école

où la formation des élèves au code et à la conduite n’est plus l’unique coeur de métier. « L’objectif à court terme est d’arriver à un équilibre des revenus entre l’activité permis B et la location de voitures auto-écoles, qui devraient chacune réaliser 35 % à 40 % du chiffre d’affaires, le reste provenant des activités annexes » , détaille Charles Abadi. L’entreprene­ur compte embarquer avec lui des confrères en dupliquant 8 Miles, dès la rentrée prochaine, sous forme de franchises. Bien conscient qu’il devra prendre son bâton de pèlerin.

« Il est évident que les auto-écoles ne sont pas encore prêtes à cette diversific­ation, mais elles n’ont pas d’autre choix. Je leur propose de lutter, ensemble, contre les auto-écoles en ligne », poursuit Charles Abadi, fondateur de la société 8 Miles. Le dirigeant, qui prépare une levée de fonds de 250"000 euros, ambitionne de compter une dizaine d’agences en France d’ici à la rentrée 2020. « Il faut aller vite car nous sommes dans un moment charnière », insiste-t-il.

OUTILS DIGITAUX

Un déploiemen­t en franchises sans attendre pour donner une dimension nationale à son concept, c’est aussi l’objectif de Yohann Berthe, le fondateur de l’autoprocla­mée « auto-école interactiv­e » Drive Innov, qui compte pour l’instant cinq agences dans la région AuvergneRh­ône-Alpes (Lyon, Valence, Portes-lès-Valence, Chambéry et Saint-Étienne). Fils de gérants d’une auto-école à l’ancienne, ce diplômé d’école de commerce a décidé de dépoussiér­er l’affaire familiale en faisant entrer les outils digitaux tout au long du parcours pédagogiqu­e : vidéo e-learning, applicatio­n pour aider à la gestion du stress, leçon de conduite filmée en lunettesca­méra pour un débriefing des temps forts, lunettes de réalité virtuelle, mais surtout un simulateur monté sur vérins hydrauliqu­es sur lequel les élèves découvrent la conduite avant d’aller sur la route. Un investisse­ment global estimé autour de 100"000 euros par agence, selon Yohann Berthe, pour transforme­r les écoles de conduite « où l’on enferme les élèves dans des salles de code un peu sombres » en auto-école nouvelle génération « à la fois interactiv­e et humaine ». « Le but de l’ensemble de ces outils est d’intensifie­r la formation pour faire gagner du temps aux élèves. À titre d’exemple, 5 heures de conduite sur un simulateur équivalent à 8 ou 10 heures sur la route. Notre positionne­ment, c’est d’être moins cher parce que l’on facture moins d’heures. En moyenne, les élèves prennent 35 heures de conduite avant d’obtenir le permis. Nous sommes plus autour de 28-30 heures. Cela se ressent sur la facture finale », explique-t-il. Alors que Drive Innov est train de préparer une augmentati­on de capital de 700"000 euros, le groupe projette d’inaugurer quatre ou cinq nouvelles agences d’ici à fin 2020. « Le concept plaît. C’est la preuve qu’une auto-école dite classique est capable d’attirer du monde à condition d’apporter une plus-value comparée aux plateforme­s en ligne », affirme Yohann Berthe.

QUALITÉ ET CONTACT HUMAIN

Reste que nombre d’auto-écoles traditionn­elles, même attaquées par les plateforme­s en ligne, ne savent pas toujours comment s’y prendre pour franchir le pas de l’innovation. C’est de ce constat qu’est née la startup lyonnaise Mounki, spécialisé­e dans l’édition de logiciels pédagogiqu­es à destinatio­n des auto-écoles. Cette jeune pousse

commercial­ise depuis l’été dernier une solution entièremen­t dématérial­isée du suivi pédagogiqu­e des élèves. « Notre outil permet un suivi plus qualitatif et transparen­t de la formation. Cela permet notamment aux élèves de se situer et de comprendre pourquoi leur formateur juge qu’ils doivent, ou non, prendre encore des heures de

leçon », affirme le fondateur, Cédric Quadjovie. Coconstrui­te avec des gérants d’auto-école, la solution Mounki, qui a reçu plusieurs prix de l’innovation et récemment intégré l’incubateur parisien Station F, est actuelleme­nt déployée dans une centaine d’auto-écoles en France, selon son fondateur. La startup compte doubler son réseau de clients d’ici à la fin de l’année. « Les auto-écoles sont encore en retard, mais il faut se rendre compte que l’on parle d’un métier dont l’innovation technologi­que n’a longtemps pas été le coeur du sujet. Je remarque une vraie prise de conscience de l’impératif de se moderniser », juge-t-il. Les petits acteurs du secteur ne sont pas les seuls à vouloir contrer l’offensive des plateforme­s en ligne. Les réseaux avec plus d’envergure cherchent, eux aussi, la parade. À l’image du groupe d’auto-écoles Marietton, une institutio­n lyonnaise établie depuis 1955, à la tête d’un réseau de huit agences dans la métropole, qui réalise environ 5 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. Le groupe aux voitures bariolées s’est posé la question, il y a quelques années, de faire basculer sa cinquantai­ne de collaborat­eurs enseignant­s sous statut d’indépendan­ts. L’idée : payer moins de charges et baisser ainsi la facture client pour concurrenc­er les plateforme­s en ligne. « Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n’était pas forcément légal en raison du lien de subordinat­ion qu’il y aurait eu avec les moniteurs. Nous ne pouvons donc pas nous aligner sur le prix des plateforme­s, à moins de payer nos moniteurs au noir ou en dessous du Smic », rapporte ironiqueme­nt Nicola Gibert, le responsabl­e marketing de Marietton. L’enseigne décide alors de répondre sur le terrain de l’argumentai­re. « Nous sommes confrontés à des plateforme­s en ligne qui savent communique­r, mais les outils innovants existaient déjà avant chez nous ! On avait des supports vidéo sur VHS dans les années 1980. Notre réponse marketing, c’est donc de dire que l’on n’a pas de retard technologi­que. Et de mettre en avant ce qui nous différenci­e des plateforme­s en ligne, comme la qualité et le contact humain », rapporte le directeur marketing. L’entreprise est, en tout cas, toujours florissant­e, avec une croissance de 5,2"% enregistré­e à la fin septembre 2018, selon les derniers comptes déposés. « Nous ne sommes pas contre la concurrenc­e. À condition, bien sûr, que cette concurrenc­e soit loyale », précise Nicola Gibert. Qui se montre presque philosophe : « Seuls ceux qui font du travail de qualité vont vraiment durer. Car on commence déjà à voir pas mal de clients qui reviennent des plateforme­s en ligne parce que les leçons sont trop espacées ou qu’ils n’arrivent pas à avoir de date de permis. »

« On parle d’un métier dont l’innovation technologi­que n’a longtemps pas été le coeur du sujet. » CÉDRIC QUADJOVIE, FONDATEUR DE MOUNKI

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[DR] Les lunettes de réalité virtuelle font partie des nouveaux outils pédagogiqu­es utilisés par la jeune génération d’auto-écoles pour dépoussiér­er l’apprentiss­age de la conduite.

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