La Tribune Hebdomadaire

Rénover Notre-Dame en cinq ans : un défi

Emmanuel Macron souhaite que la reconstruc­tion soit bouclée avant les JO de Paris.

- CÉSAR ARMAND

« Nous sommes ce peuple de bâtiss e u r s . Nous avons tant à reconstrui­re. Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame, plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici à cinq années, nous le pouvons. Et là aussi nous mobilisero­ns. » Vingtquatr­e heures après le dramatique incendie de lundi soir, le président de la République a réaffirmé, à la télévision, sa promesse faite la veille de « rebâtir » la cathédrale. L’annonce a aussitôt été saluée par l’entourage de la maire de Paris!: « Emmanuel Macron confirme le calendrier proposé ce midi par Anne Hidalgo!: la restaurati­on devra être achevée d’ici à 2024 pour les Jeux o l y mpiques e t p a r a l y mpiques » , a tweeté son conseiller en communicat­ion Matthieu Lamarre.

AVANTAGE FISCAL

Des paroles aux actes, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé mercredi à l’issue du Conseil des ministres un « projet de loi Notre-Dame » dès « la semaine prochaine » pour donner un cadre légal à la souscripti­on nationale. Outre la nomination d’un « Monsieur Reconstruc­tion », en la personne du général Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’état-major des armées, le texte permettra aux particulie­rs qui effectuent un don d’obtenir une réduction d’impôt sur le revenu de 75 % jusqu’à 1!000 euros et 66 % au-delà. Les entreprise­s bénéficier­ont, elles, des réductions d’impôt usuelles pour le mécénat, c’est-à-dire de 90 %. Plus tôt dans la matinée de mercredi, la famille Pinault avait fait savoir qu’elle ne demanderai­t pas l’avantage fiscal pour son don de 100 millions d’euros, « considéran­t qu’il n’est pas question d’en faire porter la charge aux contribuab­les français ». Outre les propriétai­res du groupe Kering, les familles Arnault et Bettencour­t ont promis, chacune, 200 millions d’euros, suivies par Total avec un chèque de 100 millions, ainsi que Paris à hauteur de 50 millions. En attendant de connaître une première estimation du coût total des opérations, qu’en est-il de l’assurance dans un contexte de séparation de l’Église et de l’État depuis la loi de 1905!? « Les bâtiments sont assurés par l’État et les biens sont assurés par des polices d’assurance spécifique­s quand l’Église le peut », explique à l’AFP Dominique de la Fouchardiè­re, dirigeant de SLA Vespieren et spécialist­e de l’assurance de châteaux et monuments historique­s. Une enquête du procureur de Paris pour « destructio­n involontai­re par incendie » est en cours. Au moins une quinzaine d’ouvriers de cinq entreprise­s différente­s ont été auditionné­s. Toutefois, si la responsabi­lité du feu n’est imputable à aucune des compagnies engagées, l’État comme garant du bâtiment aura la charge de la reconstruc­tion. C’est sans doute pourquoi l’exécutif est monté aussi rapidement en première ligne pour cadrer les investisse­ments. Dès mardi après-midi, le Groupement des entreprise­s de restaurati­on des monuments historique­s (GMH) avait toutefois douché les espoirs des plus optimistes, évoquant un délai « raisonnabl­e » de dix à quinze ans. « Avant de restaurer, il va falloir mettre en sécurité le site » , a insisté son coprésiden­t, Frédéric Létoffé, qui a plaidé pour construire en premier lieu un « parapluie » destiné à protéger la cathédrale des intempérie­s. Dans le même temps, la filière bois a fait savoir qu’elle était prête à participer à la reconstruc­tion de la charpente. La fondation Fransylva, qui rassemble les 3,5 millions de propriétai­res privés de forêts en France, a ainsi proposé que chacun d’entre eux donne un chêne. L’assureur Groupama a é g a l e ment « o f f e r t » 1!300 chênes centenaire­s. Malgré cet élan de générosité spontané, le groupe Charlois, premier producteur français de bois de chêne, a pointé un risque de manque de ressources. « Il n’y a pas en France des stocks de bois déjà sciés disponible­s pour le chantier » , a nuancé son patron, Sylvain Charlois, auprès de l’AFP. Cependant, la question des matériaux de constructi­on s’est déjà invitée dans le débat. « On peut faire une charpente en métal, en bois lamellé-collé ou en matériaux composites. Celle du Parlement de Bretagne, qui était aussi une “forêt” de poutres, a été refaite en métal et en bois lamellé collé et je doute qu’on refasse une charpente en bois à l’identique pour Notre-Dame, cela prendrait trop de temps », relève ainsi l’architecte en chef des monuments historique­s AlainCharl­es Perrot. Pour ne citer qu’un exemple français, il a fallu vingt-quatre ans pour restaurer la toiture en plomb et reconstrui­re la charpente en béton armé de la cathédrale de Reims bombardée en 1914 par les Allemands. « Il faut absolument utiliser des matériaux de synthèse », a exhorté sur France Inter l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Des experts estiment en outre qu’il ne faut pas tout reconstrui­re. « Ce qui est perdu est malheureus­ement perdu. On ne va pas faire des dépenses irraisonna­bles à un moment où l’édifice a de gros besoins par ailleurs. Ce qu’il faudra retrouver, c’est la silhouette de l’édifice. », assure ainsi à La Croix Benjamin Mouton, architecte en chef des monuments historique­s chargé de la cathédrale parisienne de 2000 à 2013. Sans parler du manque de main-d’oeuvre en tailleurs de pierre, charpentie­rs et couvreurs, a d’ores et déjà prévenu le secrétaire général des Compagnons du devoir, JeanClaude Bellanger.

MANQUE D’INVESTISSE­MENT

D’autres profession­nels, à l’image de l’historien de l’art Alexandre Gady, interrogé par Francetvin­fo, regrettent, quant à eux, le manque chronique d’investisse­ments : « L’état du patrimoine n’est pas du tout à la hauteur d’un grand pays. On a rogné sur les budgets, cherché des pis-aller, jusqu’au dernier, le loto du patrimoine. Tout ça est bien sympathiqu­e, mais le patrimoine, c’est une charge régalienne, c’est l’image de la France, c’est notre histoire!! À force de faire des petits bouts de trucs à droite et à gauche, on finit par le mettre en danger. » En attendant, un concours internatio­nal devra trancher la question de savoir s’il faut reconstrui­re une flèche dans les mêmes conditions et à l’identique ou s’il vaut mieux se doter d’une nouvelle flèche adaptée aux techniques actuelles.

« On peut faire une charpente en métal, en bois lamellé-collé ou en matériaux composites » ALAIN-CHARLES PERROT, ARCHITECTE EN CHEF DES MONUMENTS HISTORIQUE­S

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[SIPA] Le Groupement des entreprise­s de restaurati­on des monuments historique­s (GMH) a évoqué un délai « raisonnabl­e » de dix à quinze ans.

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